Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14 août 2012

Carnet des concerts : quand Euterpe s'en fout...

carnet,concert,musique,fâcheux,blog littéraire,christian cottet-emard,debussy,euterpeEn ce moment, c’est la saison des concerts et je ne boude pas mon plaisir malgré les fausses notes qui ne viennent pas des musiciens mais du public.

D’abord, cette manie des ovations debout qui devient systématique et qui prive les personnes forcées ou simplement désireuses de rester assises de toute vision sur le salut des artistes. Applaudir à la fin du concert suffit amplement à remercier les interprètes, on n’est pas au Proms que diable ! Pendant le concert, rien de pire que l’applaudisseur fou toujours prêt à faire claquer ses grosses paluches et à déclencher une réaction en chaîne dès qu’il n’entend plus de notes. Sans doute ignore-t-il que la musique est aussi faite de pauses et de silence. Toujours à propos des applaudissements, ils gênent les musiciens et les mélomanes s’ils crépitent entre les différents mouvements d’une sonate. Si l’on ne connaît pas l’œuvre, ce qui n’a rien de honteux, on applaudit à la fin, voire à la fin du concert, ce n’est pourtant pas compliqué.

Autre calamité du concert, le bambin pleureur ou plutôt ses parents qui devraient pourtant savoir qu’il est stupide et cruel d’imposer deux heures de musique à un enfant en bas âge ou à un nourrisson qui n’a pas fait son rot et qui aura largement le temps de devenir un mélomane quelques années plus tard s’il n’en a pas été irrémédiablement dégoûté par ses géniteurs.

Dernièrement, arrivé une heure à l’avance pour être bien placé, j’ai vécu le pire avec un papa poule flanqué de sa marmaille qui a installé un véritable campement scout juste devant moi pendant que le concert débutait : dépose du matériel Gogosports, goûter tiré des sacs, habillage et déshabillage produisant un concerto pour fermetures éclair et froissements caractéristiques des habits en bouteilles de plastique recyclé. Vous allez me dire que j’ai oublié un autre fâcheux, le tousseur, frère de l’applaudisseur fou. Impossible de l’oublier. Il est venu spécialement au concert pour tousser. À l’entracte, il ne tousse plus, c’est magique ! Peut-être est-il allergique à la musique ? Sans doute pas autant que les deux mamies que le destin a choisi de me catapulter le même jour que celui du papa poule avec son campement. Avaient-elles toutes les deux la cataracte au point d’avoir confondu un concert classique avec un thé dansant ? En tous cas, pendant une de mes sonates préférées de Debussy, elles n’ont pas arrêté de faire des risettes et des goulis-goulis aux bambins qui croquaient leurs Pépitos. Du coup, elles ont sorti les petits beurres en sachets individuels et ont fait elles aussi leur goûter.

Il y a des jours où Euterpe s'en fout...

Vignette représentant Euterpe prise ici.

06 juillet 2012

En relisant ce livre,

jorge luis borges,ernesto sabato,écrivains,orlando barone,conversations à buenos aires,éditions 10/18,éditions du rocher,anatolia,molière,collège,lycée,enseignement,culture,littérature,quichotte,cervantès,divine comédie,dante,blog littéraire,christian cottet-emardje tombe sur ce passage qui me rappelle mes années de collège et de lycée au cours desquelles j’ai été dégoûté de Molière qu’on nous faisait lamentablement ânonner en cours ou apprendre par cœur. Comme il m’aurait été agréable, à l’époque, de connaître ces conversations entre les deux écrivains enregistrées par Orlando Barone et d'en opposer cet extrait à l’exercice stupide et destructeur qu’on nous imposait :

« Pendant un moment, tous deux (Borges et Sabato) évoquent avec ferveur des aspects de cette œuvre unique (Quichotte) et je pense — je le dis tout à coup à voix haute — qu’il est dommage qu’on nous ait obligés à la lire au collège, quand nous étions incapables de l’apprécier. Borges reconnaît que c’est une erreur, la même que celle qu’on commet avec La Divine Comédie en Italie. Et Sabato affirme qu’il faudrait enseigner la littérature en sens inverse, en commençant par les contemporains, qui sont plus proches du langage, des problèmes des jeunes, pour terminer par les classiques. »


(Extrait de : Jorge Luis Borges, Ernesto Sabato, Conversations à Buenos Aires, animées par Orlando Barone, éditions 10/18.)

02 juillet 2012

Carnet : de la vraisemblance et de la vérité

carnet,vérité,vraisemblance,roman,littérature,fiction,le grand variable,christian cottet-emard,narration,invisible,paul auster,romancier,écritureLe romancier navigue entre vérité et vraisemblance mais bien sûr, très souvent, la vérité est au-delà de la vraisemblance. Quant à vouloir rendre vraisemblable la vérité, c’est prendre un gros risque de s’en éloigner.

Telle est en substance la réponse que je donne aux personnes qui me demandent pourquoi, dans mes ouvrages de fiction, je privilégie fréquemment la narration en fragments peu voire pas du tout reliés les uns aux autres et par le fait, suspectés d’enlever de la vraisemblance à l’ensemble. Mais lorsque nous considérons notre vie, nous constatons qu’elle se structure plus volontiers en une accumulation d’épisodes fragmentés avec accélérations et ralentissements, sans véritable début ni fin, plutôt qu’en un développement progressif et logique en attente d’un épilogue amenant la résolution de tout ce qui s’est mis en place depuis le début. Toute la littérature fondée sur ce deuxième postulat m’apparaît comme le comble de l’artifice alors que la construction en fragments est vécue comme plus artificielle encore par les lecteurs. Cette question m’en rappelle une autre, récurrente, qui n’est finalement qu’une variation de la première et qui porte sur ma réticence à me lancer dans un bon gros roman avec intrigue bien ficelée plaquée sur fond de fresque sociale ou historique : toujours ce problème de vérité et de vraisemblance.

En écrivant mon Grand Variable, j’ai pu laisser croire que j’avais sacrifié toute vraisemblance au profit d’une forme de vérité. Comme je m’attendais à ce reproche qui m’a été formulé de diverses manières, j’avais pris soin d’indiquer en quatrième de couverture que le livre mêlait fiction romanesque et narration onirique, ce qui n’a pas suffi à faire comprendre mon point de vue aux inconditionnels des genres littéraires dûment étiquetés Roman, Nouvelle, Récit, Poésie, autant d’ingrédients qui composent, à mon avis, le Grand Variable. Cela ne m’a guère surpris, excepté de la part d’un lecteur aussi avisé que l’éditeur Maurice Nadeau qui, dans la lettre argumentée de refus de publication qu’il m’a adressée après étude du manuscrit, déplorait « le manque d’épaisseur » de mes personnages. Heureusement pour moi, j’ai trouvé un éditeur qui n’était pas du même avis !  Il n’empêche que cet épisode nourrit encore mes réflexions sur la vérité et la vraisemblance dans le roman. Par exemple, comment définir « l’épaisseur » d’un personnage ? Cette épaisseur est-elle souhaitable, obligatoire ? En quoi se manifeste-t-elle ? Par des descriptions détaillées, minutieuses, de son physique, de ses vêtements, de ses mouvements ? Je ne trouve quant à moi utile de donner ces informations que lorsqu’elles font vraiment sens. Dans le cas contraire, je pense qu’elles ne servent qu’à étirer le texte et à perpétuer le cliché selon lequel la narration doit se vautrer pour donner un vrai roman. Trois lignes pour décomposer le mouvement de la main qui saisit la tasse de café avant de la porter à la bouche, deux autres pour renseigner sur la force du café et une pour décrire le retour de la tasse sur la soucoupe avec, tant qu’on y est, une précision sur l’intensité du choc entre la tasse et la soucoupe, franchement, je préfère laisser ça, aussi bien en tant qu’auteur qu’en tant que lecteur, au Nouveau Roman, à Donna Leon ou à Paul Auster.

L’exemple de Paul Auster, romancier bavard par excellence, je voulais justement y venir à propos de ma réflexion sur la vérité et la vraisemblance dans le roman. Il se trouve que pour la première fois après de nombreuses tentatives, je viens de réussir à lire en entier un roman de Paul Auster. Il s’agit d’Invisible qui compte dans l’édition de poche Babel chez Acte Sud 290 pages bien tassées en petits caractères, probablement du corps 10, un tour de force car une nouvelle suffirait au déploiement de l’intrigue. Mais ce serait oublier le métier de Paul Auster qui multiplie les angles, les points de vue, les variations et les récits gigognes dont il use et souvent abuse dans son œuvre romanesque et en particulier dans Invisible. Dans ce roman, l’exploitation extrême d’une intrigue rudimentaire (un personnage fait une mauvaise rencontre, vit une péripétie consécutive à cette mauvaise rencontre et se retrouve trente ans après ayant construit sa vie sur ces deux épisodes) confine à l’exercice de style, ce qui ruine toute vraisemblance mais n’en permet pas moins au lecteur d’accéder à certaines vérités.