09 juillet 2011
Carnet des gentianes et des chardons bleus
Bel été du Haut-Jura. Rose éclatant des massifs d’épilobes. Chardons bleus. Gentianes. L’odeur des foins. Promenades non pas mahleriennes ainsi que j’ai la manie de qualifier mes balades estivales mais, ces temps-ci, walseriennes.
Le premier livre que j’ai lu de Robert Walser est La Promenade. Dans ce texte comme dans l’œuvre de Walser en général, on est encore dans l’univers faussement bucolique de la fantaisie du voyageur avec le vieux thème romantique du rêveur sans qualité partant au hasard des chemins. La petite musique des Scènes de la vie d’un propre à rien de Joseph von Eichendorff (1788-1857) est toujours perceptible chez Walser qui lui apporte cependant de plus en plus insistantes dissonances. Walser, né en 1878, était un grand marcheur, jusqu’à sa mort dans la campagne enneigée le jour de Noël 1956.
Dans son roman Les enfants Tanner publié en 1907, Walser lance Simon, son personnage principal, grand marcheur lui aussi, sur un long chemin dans la campagne hivernale où il trouve le corps gelé du jeune poète Sebastian. Walser décrit le chapeau qui recouvre le visage du défunt.
Saisissante description lorsqu’on pense à la célèbre photo de Walser gisant dans la neige où l’on voit les pas qui s’arrêtent et le chapeau qui a roulé par terre. Jeune romancier, Walser fixe un instant qui sera celui de sa propre fin presque cinquante ans plus tard.
01:09 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : robert walser, joseph von eichendorff, fantaisie du voyageur, romantisme, promenade, les enfants tanner, scènes de la vie d'un propre à rien, épilobes, gentianes, chardons, christian cottet-emard, littérature, marche, carnet, blog littéraire de christian cottet-emard
17 juin 2011
Dans mon carnet rouge
Capitalisme sauvage
La question n’est pas de savoir combien de temps cela peut encore durer mais plutôt combien de temps cela mérite de durer.
Nouvelle veste
Il vient un âge où l’on s’inquiète d’acheter une nouvelle veste car ce sera peut-être celle avec laquelle on sera porté en terre.
Échec
L’échec est un rideau de théâtre. La pièce est finie mais derrière le rideau, il se passe encore quelque chose.
Liberté
La liberté dans le langage courant, c’est comme l’oiseau dans les poèmes de Jacques Prévert, mièvre et vague.
Beauté
La beauté n’a rien d’autre à nous dire que « je suis belle » .
Sans joie
Ce n’est pas par orgueil et vanité que je dédaigne la politique, l’économie, le sport et tout ce qui est censé intéresser mon prochain. C’est parce que tout cela est sans joie et sans bonté. Surtout sans joie.
Écrivain
Un écrivain est un auteur qui est capable de retenir notre attention, même avec une histoire sans intérêt.
Anomalie
La vie n’a que le sens que nous lui donnons. Autant dire qu’elle n’en a pas.
La vie fonce tout droit devant sans autre objectif que de se développer tant que la possibilité lui en est donnée. Une anomalie.
Poème
Un poème est toujours nostalgique. On essaye de retrouver quelque chose qui n’existe plus ou qui aurait dû exister. Un poème est une tentative de retrouvailles.
Science fiction
Pourquoi je ne suis guère intéressé par la science fiction ? Parce que nous sommes arrivés à une époque où les pires scénarios de la science fiction se sont déjà réalisés.
© Éditions Orage-Lagune-Express 2011.
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13 juin 2011
C’est payé combien ?
Je viens une fois de plus de me rendre sympathique en répondant « c’est payé combien ? » à l’invitation d’une élue organisatrice d’un salon du livre où pas même un défraiement des auteurs n’est prévu. Face à ce genre de proposition, je m’en tiens désormais à cette question pour faire comprendre à qui ne serait pas encore prévenu que lorsque j’entends le mot bénévolat, je sors mon revolver.
Petite parenthèse : j’ai plaisir à lire des extraits de mes livres en public mais il faut que ce soit du sérieux, comme dans le cadre de la Scène poétique de Patrick Dubost où l’on témoigne de la considération et de la bienveillance pour le travail des auteurs invités, ce qui se traduit aussi par une rémunération. Je précise au passage que je suis intervenu lors d’une des dernières séances de la Scène poétique à la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon. Suite à la suppression brutale de ce cycle de poésie parlée, la Scène poétique a trouvé un nouveau havre à l’ENS (École Normale Supérieure) de Lyon, ce qui est une très bonne nouvelle.
Revenons à ma dernière participation à un grand salon du livre. Cela remonte à la publication de mon Club des pantouflards. J’intervenais une journée sur le stand de mon éditeur et le lendemain sur le stand d’un important groupe de librairies où j’ai d’ailleurs été très gentiment accueilli par le personnel. J’avais accepté cet arrangement (en l’absence de tout défraiement) pour être agréable à mon éditeur qui fait du bon travail auprès des libraires, notamment chez celui qui me recevait pour la deuxième partie de ma prestation. La bonne ambiance qui régnait sur le stand du libraire me faisait oublier mes réticences à travailler bénévolement à une animation commerciale lorsque je vis se diriger droit sur moi un monsieur âgé mais énergique, coiffé d’un chapeau et vêtu d’un pardessus classique à la mode des années soixante-dix du siècle dernier. Il me gratifia d’une poignée de main vigoureuse en prononçant son nom d’une voix forte. J’avais devant moi le fondateur de la chaîne de librairies où je faisais de la figuration. Je me présentai à mon tour puis, voyant ce monsieur disposé à bavarder alors que je ne trouvais pas grand chose à lui dire, je fis allusion à la formation aux métiers de la librairie que j’avais suivie de nombreuses années auparavant. Il enchaîna sur ce sujet, évoquant même des personnalités que nous connaissions tous deux, lorsqu’il interrompit la conversation en me coupant fort grossièrement la parole. Il m’indiqua du doigt trois personnes qui feuilletaient mes livres et déclara sur le ton de qui est habitué à se faire obéir, comme si je faisais partie de son personnel : « vous avez des clients. » L’âge vénérable de ce boutiquier me préserva de la tentation d’envoyer valdinguer son chapeau à l’autre bout du salon pour lui apprendre la politesse, ce qui eût certes été conforme à l’idée que je me fais des relations humaines lorsqu’on me prend à rebrousse-poil mais qui eût sans doute aussi ruiné les patients efforts de mon éditeur en faveur de la diffusion de la littérature.
Je ne peux m’empêcher de rapprocher cette anecdote d’une autre, impliquant le même genre de personnage dans un contexte en apparence différent. En apparence seulement.
L’été de mes seize ans, j’eus la chance de découvrir en compagnie de quelques camarades les joies d’un mois d’usine pour financer mes vacances. Parfois, les conducteurs de machines devaient procéder à quelques réglages, ce qui nous ménageait à nous, simples manœuvres, un temps de répit bref mais appréciable en ces longues heures exténuantes. Au cours d’une de ces pauses, le vieux fondateur de l’usine, en retraite depuis longtemps, vint faire son petit tour du propriétaire et nous repéra tout de suite en train de souffler en attendant la fin des réglages. Il nous ordonna de nous saisir des balais qui ne servaient qu’en fin de journée pour débarrasser le sol des débris de fabrication, ce qui était parfaitement inutile puisque nous allions reprendre la production et donc encombrer le sol de nouveaux débris quelques minutes après. Naturellement, dès qu’il eut le dos tourné, les régleurs nous firent poser les balais en rigolant et en nous disant de ne pas nous en faire : « ça lui rappelle ses bonnes années ! »
Quel rapport avec le premier épisode ? Eh bien là au moins, nous étions payés.
02:45 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : salon du livre, lecture en public, dédicace, signature, scène poétique, ens de lyon, école normale supérieure, bibliothèque de la part-dieu, christian cottet-emard