10 octobre 2006
En forêt
Tu as une réunion mais en même temps pas mal de dossiers à traiter
Tu as cette réunion qui ne te concerne en rien et tout ce travail qui ne te concerne en rien mais que tu dois abattre car tu es payé pour cela
Mais la réunion qui ne te concerne en rien prime sur les dossiers à traiter parce que le directeur régional s’est déplacé
Il tutoie tout le monde et aime beaucoup prononcer le mot “crapoteux” pour qualifier tout ce qui relève de la vie privée de ses subalternes
Tu n’as rien à craindre du directeur régional car tu quittes le navire aussi as-tu sur le bord des lèvres : “nous n’avons pas gardé les cochons ensemble que je sache” mais tu ne dis rien car tu ne veux pas mettre dans l’embarras ton directeur local que tu estimes et tes collègues qui sont sympathiques tu ne vas pas jeter un froid pas aujourd’hui le moment serait mal choisi
À tes débuts on t’a expliqué qu’il était nécessaire que les dossiers soient traités rapidement mais du seul fait de la présence du directeur régional cela n’a plus aucune importance
Après tout s’ils ne veulent pas que leurs dossiers avancent en quoi cela te concerne-t-il ? La réunion avec le directeur régional perturbe le traitement des dossiers et alors ?
Travail ou pas réunion ou pas directeur régional ou pas 90 % de toi sont déjà en forêt et 10 % seulement à la réunion ou en bagarre avec les dossiers (pourcentages donnés à titre indicatif car pouvant varier)
Il est 15h45 et à 16h00 tu seras sorti même si à 16h00 seule une infime partie des dossiers aura été expédiée à cause de la réunion avec le directeur régional et à 16h00 les 10 % de toi qui assistaient au numéro du directeur régional s’en iront rejoindre les 90 % qui sont déjà en forêt
À 16h00 tu sors à 16h02 tu dis au revoir au gardien tu passes la porte à 16h05 tu conduis ton auto en direction de la forêt et à 16h10 tu te retrouves sous l’épicéa columnaire (circonférence 2m75 hauteur totale 43m volume grume 12m3) et rien absolument rien d’autre n’a d’importance
C’est drôle tu marches dans la forêt en costume cravate (ça pressait trop) tu respires mieux tu respires l’air des grands arbres qui font le même bruit que la mer quand le vent met les voiles tu respires le grand air des trois sapins pectinés de plus de 40m de haut âgés de plus de 200 ans
Voici à peine 20 mn tu respirais mal tu respirais le même air que le directeur régional
Maintenant tu respires mieux tu entends la rivière tu respires l’air des feuilles mouillées tu vas pouvoir rentrer chez toi tout propre
Copyright : Orage-Lagune-Express, 2006
01:15 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Forêt, épicéa, sapin, rivière, feuilles
09 octobre 2006
Grande fête sous la lune
Ce soir après le concert d’orgue de vingt heures en l’abbatiale Saint-Michel tu rentreras avec dans la tête la musique et l’idée des sandwiches en remplacement du repas de vingt heures
“Parce qu’on ne sait jamais la nuit” tu choisiras la route nationale et non la petite route de montagne celle qui monte et descend sous les nuages ou les étoiles et qui passe non loin du lac au milieu des sapins et des épicéas
À l’âge de vingt ans au retour d’un concert d’orgue en l’abbatiale Saint-Michel tu serais rentré avec dans la tête la musique et l’idée des sandwiches mais la route nationale ne te serait même pas venue à l’esprit pas plus que “parce qu’on ne sait jamais la nuit”
Tu n’aurais eu dans la tête que la musique, le lac, la forêt et les sandwiches et tu serais donc rentré du concert d’orgue en l’abbatiale Saint-Michel par la petite route sans hésiter malgré ton auto beaucoup moins fiable que celle d’aujourd’hui
Bien qu’impatient de manger des sandwiches tu aurais arrêté la vieille auto pour écouter le lac la nuit et seule la faim t’aurait décidé à repartir pour rentrer chez toi comme après une grande fête sous la lune
Ce soir tu rentreras du concert d’orgue en l’abbatiale Saint-Michel par la route nationale “parce qu’on ne sait jamais la nuit”
Tu dénoueras ta cravate tu enfileras ton vieux pull en coton tu mangeras des sandwiches tu boiras du vin ou de la bière une fine du Jura tu fumeras un cigare tu auras dans l’idée d’écrire un poème sur ton retour du concert d’orgue en l’abbatiale Saint-Michel avec renoncement à la petite route de montagne sous la lune “parce qu’on ne sait jamais la nuit”
Copyright : Orage-Lagune-Express 2006
02:00 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poème, orgue, abbatiale, Saint Michel, lac, forêt
25 septembre 2006
Le poète mène une vie quotidienne (extrait)
Poète tu sors la poubelle
Vient un poème dehors apporté par le vent humide de la nuit
Ainsi va ta vie de poète qui produit des déchets joue au loto débarrasse la table essuie les miettes fait tremper la vaisselle attend du vent nocturne les premiers mots d’un poème juste après la poubelle
Tu voudrais disparaître de la circulation automobile casser la course “préférer ne pas”
Tu voudrais en vouloir encore plus à tes ennemis t’en sortir être aussi malin que les arbres
Tout ce que tu voudrais ce n’est pas grave ce n’est rien
Bruits de la ville de province dans la pluie
Orange rouge vert dans les gouttes sur le pare-brise
Les cloches du samedi soir et les magasins où paient et sortent les derniers clients
Certains vont à la messe et te regardent sans crainte assis dans ton auto confortable emmitouflé dans ton manteau
Ils te prendraient presque pour un des leurs parce que tu stationnes sur un emplacement autorisé et que tu es vêtu très comme il faut et que tes cheveux sont coupés courts et que ta grosse voiture inspire confiance
Tu présentes assez bien et ce n’est pas marqué sur ta figure que tu ne veux pas participer et que la seule chose intéressante pour toi c’est attendre regarder écrire
L’idée que le monde pourrait te quitter la voici
Elle arrive aux quatre décennies plus six années quand s’éloignent les petites lettres
Que cela t’encourage à laisser la poésie à d’autres pour dire simplement ta fatigue qui lasse le monde
Le moment vient peut-être d’écrire à l’américaine “je sors prendre un verre au soleil”
Ce n’est peut-être rien d’autre un poème
Le matin tu n’arrives pas à te lever tôt tu aimerais rejoindre l’aube pour vivre plus
L’aube avec ses beaux sentiments
Mais tu n’adhères pas tu n’y crois pas (pas encore pas avant dix heures pas avant l’heure du facteur)
Pas à pas jusqu’au bol de café qui part dans l’évier si tu as des obligations
L’obligation de te lever tôt pour gagner pour gagner quoi ?
L’argent
Et quand l’argent rentre sans que tu doives te lever tôt alors vers dix heures tu peux avaler
Tu peux avaler le café et y croire et adhérer un peu un tant soit peu comme on dit comme ils disent juste ce qu’il faut pour continuer poursuivre
Quoi ?
Tu n’arrives pas à te lever tôt parce que tu te couches tard tu exagères tu te couches tard
Parce que
Parce que tu ne peux pas te lever tôt
Couché trop tard juste pour entendre la pluie d’août dans tes voisins les tilleuls que tu ne peux écouter en paix que lorsque tes voisins humains ont renoncé pour quelques heures à la radio à la télé au bricolage à la tonte du gazon à la chasse motorisée aux herbes folles
C’est encore plus facile en août d’écouter la pluie dans les tilleuls car tes voisins se sont jetés sur les autoroutes
Et voilà que ta rue et la ville entière ont retrouvé le beau silence provincial des années soixante du vingtième siècle
Quand, au lit, ta veille d’enfant s’inquiétait de l’aventure inexplicable d’un vélomoteur sous la grosse patte de la Grande Ourse
Ne repique pas à la cigarette couche-toi plus tôt lève-toi plus tôt souviens-toi de la chanson du cours élémentaire première année (“Hop dès le matin lève-toi lève-toi ah ! Hop dès le matin lève-toi gaiement”)
Fume
Fume le paquet que tu as acheté en vacances parce que tu n’as pas trouvé de bons cigares et n’en parlons plus ne repique pas à la cigarette
N’en parlons plus fais un effort reprends-toi
Reprends ton effort toi n’en parlons plus
Moins de fumée moins de fuite moins de frites moins de saucisses fumées moins de charcuterie moins de vin moins de bière fais une effort reprends-toi tant qu’il est temps
Merci
Merci du conseil un conseil aussi dis bonjour à tes voisins même si tu ne peux pas avaler ton café parce que tu t’es levé trop tôt même si (reprends-toi) tu digères mal même si te reste sur l’estomac (reprends-toi) leur présence
Copyright : Orage-Lagune-Express, 2006
00:00 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Poésie, vie quotidienne, poète, quotidien