28 mars 2007
La grande porte de la fugue
« Les écoles sont les bergeries des moutons de Panurge » (Françoise Dolto)
Se dresse devant toi la grande porte de la fugue
Point de billet d’absence plus de mot d’excuse qu’adviendra-t-il dans la forêt une fois le pas franchi ?
Peut-on boire l’eau de la rivière ?
Et s’il fait froid le soir ?
Et qu’en est-il du mufle humide de la nuit et de la belladone qui fait de l’œil aux enfants perdus pour leur tordre le cœur ?
Mais l’heure n’est pas à la résolution de ces problèmes et tu es en retard pour les autres dont se joue le premier de la classe
En retard face à la haute porte ouvrant sur des trains qui n’arrivent pas à l’heure des baignoires et des robinets en folie tu dois choisir entre la fugue et les heures de colle
Avant de te libérer avec les autres punis du jeudi le Maître dit « vous avez bien travaillé » et donne cahiers et crayons en récompense car ainsi fonctionne ce monde qu’il enseigne : punition récompense
Et s’ouvre et se ferme inlassablement sur ces mots la lourde porte entre la classe et la forêt la grande porte de la fugue
Copyright : éd. Orage-Lagune-Express, 2007
00:30 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : souvenirs, brouillon de poème, fugue, belladone
20 mars 2007
Et Bach dans tout ça ?
Dans un malheureux petit chaos de tôles de planches et de vieilles tuiles qui fut un jardinet poussait tranquille un saule marsault le plus aimable de tes voisins
La tronçonneuse le dévora en quelques minutes d’un de ces dimanches aimés des bricoleurs et tu informas le bricoleur que le temps tournait pour lui à l’orage
L’homme fila sans attendre d’autres précisions et le calme revint mais il y manquait la brise dans le saule et une lumière crue s’écoula comme de l’huile
Dix ans ont passé aujourd’hui et tu viens de t’apercevoir que le saule marsault pousse à nouveau ses chatons argentés dans le petit soleil ce qui a pour effet de te mettre en tête le cinquième choral Schübler de Jean-Sébastien Bach
« Le silence du monde avant Bach » a écrit le poète Lars Gustafsson tu comprends bien ce qu’il veut dire mais il ne faudrait pas oublier Dietrich Buxtehude, Nicolas de Grigny et Nikolaus Bruhns et tant d’autres dans un monde sans tronçonneuses dans un monde de saules
Tu le verrais bien pour ton enterrement le cinquième choral Schübler (si le curé n’est pas trop pressé) puisque c’est la musique qui te vient à l’esprit lors de la renaissance du saule marsault
Mais le saule est-il heureux de renaître dans le même chaos ou ne sait-il pas qu’il renaît ?
Et toi veux-tu renaître dans le monde des bricoleurs et des tronçonneuses ? Et Bach dans tout ça ?
Copyright : Orage-Lagune-Express, 2007.
Photo : chatons de saule marsault
14:45 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Saule marsault, Bach, Schübler, Buxtehude, Grigny, Gustafsson, brouillon de poème
09 mars 2007
Un petit avion rouge
Il fait vrombir son hélice au-dessus des jardins communaux vous chercherez le mot « girouette » dans le dictionnaire et si vous en voyez une durant la promenade vous la montrerez à vos camarades dit le maître d’école
Pendant que tu te mets en rang avec les autres dès l’arrivée au panneau Oyonnax le petit avion rouge traverse une zone de turbulences son hélice mouline vaillamment l’air fantasque du premier printemps qu’on appelle le printemps des jardiniers
Très bien voici effectivement une girouette dit le maître d’école et d’où vient le vent ?
Ce maître d’école aime savoir d’où vient le vent et les promenades en forêt il a raconté en classe comment s’est terminée sa captivité il a erré sur une plage avec d’autres prisonniers et l’un de ses camarades a marché sur une mine
Le maître d’école est un homme qui a de sérieuses raisons d’aimer les promenades en forêt et de savoir d’où vient le vent
Car le vent fait tourner à plein régime l’hélice du petit avion rouge et cela peut suffire à ramener de la joie dans la tête décoiffée du maître et dans la tienne par la même occasion
Tu t’en doutais déjà en 1969 de l’importance d’un petit avion rouge lancé dans les joyeuses bourrasques parfumées au buis
Et l’idée séduisante de voler l’avion germa dans ton ennui d’écolier comme un haricot dans du coton
Mais tu n’étais pas un enfant pragmatique et entreprenant et le petit avion rouge volera encore longtemps au ras des sapins, des épicéas, des pins sylvestres et au-dessus du panneau Oyonnax
Aujourd’hui 9 mars 2007 tu sors de la grande forêt souple et odorante
Le petit avion traverse comme il peut les âges et les nuages qui lui ont piqué sa couleur rouge
Mais il vole toujours sur les cabanes et les fournaches des jardiniers
Et la Rose des Vents pourra toujours l’égratigner s’obstiner à l’entraîner de l’autre côté de la vallée où la colline a vendu son âme là où le diable en profite pour tirer la langue noire de l’autoroute
Rien n’y fera c’est ainsi ce sera toujours le même et le seul petit avion rouge de toute la Création à ne voler qu’en lisière de la grande forêt souple et odorante
Copyright : Orage-Lagune-Express, 2007.
16:00 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Brouillon de poème, avion rouge, forêt, Oyonnax, jardins, cabanes, maître d'école