29 mai 2019
Carnet / Prisonnier du roman
Tout devrait me dissuader de travailler le roman, notamment cette part déplaisante de bricolage dont j’ai déjà parlé. Et pourtant je m’y colle presque tous les jours ou plutôt toutes les nuits car ce genre littéraire ne souffre pas les baisses de rythme qui peuvent conduire à la panne. Pour l’éviter, je trouve commode d’écrire plusieurs romans en même temps.
Ce sont vraiment des chantiers avec leurs retards et leurs problèmes techniques. L’avantage de passer d’un chantier à l’autre est de mettre les difficultés entre parenthèses. Si je suis dans une impasse dans l’un, je suis mon chemin dans l’autre. Le problème de l’un est parfois la solution de l’autre.
À l’inverse des chroniques paresseuses que j’affectionne, souvent écrites d’un trait au gré de l’humeur et de la fantaisie et dont je vois tout de suite le résultat, le roman est une forme absurde d’artisanat, une activité vaguement perverse qui permet de faire dire tout haut à des personnages ce que l’auteur pense tout bas.
Et si l’on va jusqu’à la publication, tout ce travail finira devant l’œil distrait d’un type qui s’arrête quelques secondes devant une vitrine rescapée d’un autre monde. Tout ça pour ça ! Il faudrait cesser ces enfantillages, grandir un peu !
Mais voilà que quelques mètres plus loin, apparaît cette femme peinte sur une porte de garage. De quelle joie ou de quel chagrin vient-elle ? De quel espace-temps surgit-elle ? Qui a-t-elle emprisonné dans la peinture de son portrait au hasard des rues ? Seul le roman peut donner des pistes. Misère, voilà que ça me reprend !
02:42 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : prisonnier du roman, littérature, roman, blog littéraire de christian cottet-emard, fiction, barcelone, espagne, voyage, portrait, chantier romanesque, histoire, intrigue, rêverie, christian cottet-emard, femme au chapeau rouge, peinture, art de rue, carnet, note, journal, écriture, chapeau rouge
10 février 2019
Carnet d'atelier / Petite cuisine du bon gros roman
Dans l’écriture de fiction, notamment dans le roman, le diable est dans les détails. Plus l’histoire que vous racontez est abracadabrante, plus les détails doivent être soignés. L’enjeu n’est pas la vraisemblance mais l’arrimage de la narration au peu de réalisme qui reste. Le soin des détails ne réside pas forcément dans une description minutieuse, souvent longue et fastidieuse (il saisit la tasse de café entre le pouce, l’index et le majeur, la porta à sa bouche, but la moitié du contenu et reposa la tasse sur la soucoupe). À moins d’avoir une bonne raison de décrire le cheminement de la tasse de café jusqu’à la bouche et son retour sur la soucoupe, autant se passer de cette séquence.
Il en va de même dans la description d’un personnage. Plutôt que de chercher à imposer au lecteur un portrait développé sur dix ou quinze lignes, mieux vaut se contenter de mentionner un détail de sa tenue parce qu’il est fréquent que le lecteur, consciemment ou non, donne lui-même au personnage un aspect voire un visage connu de lui.
Si vous voulez décrire une jeune fille mince, vous allez tout de suite être confronté à quelques petits problèmes qui risquent de vous couper dans votre élan si vous n’avez pas pris au préalable un peu de recul. Qu’est-ce qu’une jeune fille du point de vue du narrateur ? Cela dépendra en partie de l’âge du narrateur, qu’il soit l’auteur ou un personnage. (Que ce narrateur soit omniscient ou non pourra aussi revêtir une certaine importance dans la définition d’une jeune fille). Si le narrateur est très jeune, il ne décrira pas la même jeune fille qu’un narrateur plus âgé. Un narrateur qui, comme moi, s’approche dangereusement de la soixantaine en ce début de vingt-et-unième siècle court le risque de décrire une jeune femme plutôt qu’une jeune fille car il verra encore une jeune fille dans une femme de vingt ans. Le même narrateur bientôt sexagénaire aura tendance à qualifier de jeune femme une femme de quarante ans (pardon de m’avancer en terrain miné !)
Revenons au projet de description de la jeune fille mince. On peut tout simplement l’affubler de cet adjectif mais on gagnera beaucoup plus à écrire qu’elle porte un manteau cintré, ce qui permettra de fournir au lecteur des informations sur sa silhouette (fine), son maintien (un peu strict), son style (plutôt élégant) son caractère (peut-être rigoureux) et par la même occasion une indication de la température ou de la saison.
Alors, toujours envie de continuer dans la petite cuisine du bon gros roman ?
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05 février 2019
Carnet / Magique !
L’hiver est décidément une bonne saison pour travailler à mes deux chantiers de roman. Pour oublier la neige, rien de mieux que de rédiger les scènes d’été. La pratique du roman a ses avantages quand on fait partie de la morne confrérie des météo-dépendants, poètes et boulimiques à leurs heures. C'est aussi une forme de narration qui peut souvent marcher toute seule comme si tous les matins, la cafetière venait d'elle-même remplir le bol par la seule grâce d'une rêverie routinière.
Le roman, c’est vraiment la double vie, une de ces petites libertés qui font oublier que ce mot tant galvaudé n’a de sens réel qu’au pluriel. Dans ce cas-là comme dans d’autres, (amour, bonheur, désir) il est amusant de constater que le pluriel n’est pas augmentatif mais diminutif. Les libertés ne sont pas la liberté, les amours ne sont pas l’amour, les bonheurs ne sont pas le bonheur, les désirs ne sont pas le désir.
Il arrive que les amis qui ne lisent pas et qui, de ce fait, ont une excellente raison de ne pas me lire, s’aventurent quand même parfois à me questionner sur ma perversion (l’écriture). La question qui revient le plus souvent est d’ordre technique : as-tu un plan ? Je recommande à l’auteur qui a encore l’âge, le statut social ou l’obligation professionnelle de se prendre au sérieux (ou de faire semblant) de répondre oui, ce qui rassurera la majorité du public dont les valeurs seront toujours l’effort, la peine, le boulot, le turbin, la tâche, le défi, le challenge, enfin bref, tout le saint-frusquin.
N’ayant plus aucune de ces obligations, j’ai le plaisir d’affirmer que lorsque j’écris un roman, je ne veux surtout pas établir un plan. Cela m'arrive pour la nouvelle dont le format requiert éventuellement plus de rigueur alors que dans le roman, on peut à mon avis se permettre de se vautrer avec autant d’aisance qu’un sanglier dans une belle ornière pleine de boue bien épaisse.
Par exemple, intégrer à la scène romantique le menu du restaurant où dînent les amoureux m’enchante, ce qui présentera d’ailleurs peut-être plus d’intérêt que ce qu’ils ont à se dire dans un tel moment avec le risque élevé d'un fragment de salade coincé entre les incisives.
Ah ! La magie de la littérature !
Image : ma cafetière volante photographiée par Marie
02:05 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, roman, nouvelle, blog littéraire de christian cottet-emard, écriture, littérature, tu écris toujours ?, christian cottet-emard, hiver, été, saison, sanglier, boue, ornière, saint-frusquin, effort, peine, boulot, turbin, tâche, défi, challenge, restaurant, dîner, menu, salade, cafetière volante, magie, cafetière italienne, bol, café au lait, petit déjeuner, matin, poète, boulimie, liberté, amour, désir, bonheur