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17 avril 2020

Carnet / Du roman de l’enfance

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Le récit autobiographique d’enfance et de jeunesse est la peau de banane que l’auteur dépose lui-même sous son pied, surtout si l’auteur en question n’a pas publié quinze romans à succès chez Galligrasseuil et, circonstance aggravante, s’il raconte des épisodes heureux.

Je me suis donc autocensuré pendant des décennies jusqu’au jour où, surpris d’atteindre ma sixième, j’ai réalisé qu’en matière d’édition, je n’étais plus soumis à l’obligation de résultat et que je pouvais donc désormais écrire et publier tout ce qui me passait par la tête, en particulier ces fameux souvenirs d’enfance réputés n’intéresser personne.

J’ai commencé à mettre en ligne sur ce blog un extrait du recueil dans lequel je décrivais l’environnement de mon enfance, ce qui m’a valu le commentaire émouvant d’un photographe que je connaissais un peu mais qui ne faisait pas partie de mon cercle d’amis proches. Il m’expliquait qu’il n’avait pas eu la même enfance que la mienne mais que le texte l’avait beaucoup touché. (On peut le lire aussi dans le premier tome de mes carnets, Prairie Journal, page 428).

Cette réaction inattendue m’a été non seulement agréable mais encore et surtout utile car elle a réveillé en moi une vieille intuition : l’enfance, souvent plus que toute autre période de la vie, est un roman, non pas parce qu’elle peut être romancée au moyen de libertés prises avec la vérité mais parce que son récit s’organise comme celui d’une fiction. C’est sans doute principalement pour cette raison que mon commentateur photographe a pu s’intéresser à l’épisode que je racontais et, de manière secondaire, parce qu’il n’a pas eu la même enfance que la mienne.

Le récit autobiographique d’enfance a bien des raisons propres à chacun de nous toucher s’il est bien écrit. L’une de celles qui me portent le plus vers ce genre est la plongée en ce passé à la fois proche et lointain où l’on observait le monde avant d’avoir compris que le corps est la prison, l’esprit le geôlier et les rêves et désirs les prisonniers.

 

07 avril 2020

Carnet / Qui a peur de l’autobiographie ? (1)

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En dehors des futiles fluctuations de la mode, je ne comprends pas les raisons du mépris dans lequel la littérature autobiographique est tenue.

Le reproche le plus récurrent est le supposé narcissisme émanant des journaux plus ou moins intimes, des récits de vie, des mémoires et autres carnets de jour ou de nuit. On ne trouverait dans ce corpus qu’immaturité, complaisance, égocentrisme et autres maladies honteuses affectant l’auteur qui trouve tout aussi intéressant de raconter sa vie que celle de personnages de fiction.

On sait pourtant que la réalité et la fiction, dans la vie comme en littérature, s’entremêlent en permanence. Le roman est à l’œuvre dans l’autobiographie (au moins dans la construction du récit autobiographique qui lui-même peut se nourrir de fictions inconscientes ou au contraire pleinement assumées).

Pour tenter de ne pas prêter le flanc à l’accusation fielleuse de narcissisme ou au moins d’égocentrisme, l’auteur peut introduire des quantités variables d’autobiographie dans le roman ou la nouvelle, ce qui produit ce qu’on appelle communément de l’autofiction, un sous-genre littéraire que certains critiques et commentateurs dénigrent sous prétexte qu’en voulant être du roman et de l’autobiographie, il n’est finalement ni l’un ni l’autre. Un produit impur, en quelque sorte.

Notre époque qui connaît en tous domaines de nouveaux accès de pruderie aussi pervers qu’inattendus n’aime rien tant que ce qui est pur, or ni la fiction ni la réalité ne le sont. L’impur est le principal matériau de l’écrivain. Le roman est impur, l’autobiographie aussi.

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Si je me réfère à ma propre pratique de l’écriture autobiographique, je crois pouvoir affirmer que les auteurs adeptes de ce genre ne sont pas plus autocentrés que les autres, notamment ceux qui nous enjoignent à nous dépouiller de notre ego alors qu’ils en sont à la publication du neuvième tome de leur journal.

La dynamique de l’auteur doté d’un ego raisonnablement maîtrisé qui puise dans sa vie et dans son expérience le matériau de son œuvre est l’étonnement de vivre, un sentiment qui n’est étrangement pas partagé par le commun des mortels.

Pour la plupart des humains, vivre est normal mais pas pour les artistes et les écrivains. Ceux-là sont plus conscients que les autres qu’être au monde relève d’une combinaison infiniment complexe de hasards et de probabilités extrêmement restreintes. Se regarder un moment dans le miroir équivaut à voir ce qui n’avait qu’une chance (ou un risque) infime d’exister. Il s’agit donc d’un sujet digne d’intérêt qui mérite par conséquent la narration littéraire.

Évidemment, cette conclusion n’est pertinente qu’à condition de croire en l’individu unique et irremplaçable. Serait-ce cette idée-force de la culture occidentale qui ferait peur aux contempteurs de l’autobiographie ou tout au moins qui les dérangerait ? 

 

P. S. En suite de ce billet, j’évoquerai prochainement sur ce blog les préjugés politiques et psychologiques à l'origine de la défiance vis-à-vis de l'autobiographie et le thème du récit autobiographique d’enfance et de jeunesse.

 

02 avril 2020

Demi-sommeil

(Extrait d'un roman en chantier)

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Photo Christian Cottet-Emard

Mhorn n’attachait guère d’importance à ses rêves nocturnes car il était gouverné par ceux qu’il concevait bien éveillé chaque jour depuis qu’il était conscient d’être au monde mais celui de la nuit dernière ne cessait de le tourmenter. Quelle était cette apparition qui l’avait questionné sur l’attitude de son ami Marius lorsque celui-ci avait été tenté de frapper le voyou à terre ? Pourquoi cette même apparition s’était-elle manifestée sous la forme de Marius en sa jeunesse ? Pourquoi Mhorn eût été effrayé si l’apparition avait revêtu une autre forme et laquelle ?

Ce rêve ouvrait une porte qui ne menait que dans un couloir obscur barré par une autre porte. Telle est ma vie et celle de tout le monde, pensa-t-il. Une fois de plus, il se vit incapable de rejeter ces considérations dans le néant parce que, telles des nuées de pipistrelles dérangées, elles retournèrent nicher dans un coin de son esprit où s’entassaient des rebuts, comme dans le fourgon de brocante de son ami. Parmi tout ce fatras, gisaient les breloques de la jeunesse, les photos et les vieilles lettres d’amour qui n’auraient même pas besoin d’être fixées sur du papier pour mettre une éternité à jaunir et à s’effacer, en tous cas bien plus de temps qu’il n’en faut à une vie humaine pour accomplir son cycle.

Dans leur trentaine, Mhorn et le Bernois avaient aimé la même femme, une mésaventure banale qui avait failli tout aussi banalement détruire leur amitié. Lasse de cette rivalité qu’elle jugeait archaïque, machiste et petite bourgeoise, Mariana avait résolu le problème en partant avec quelqu’un autre. L’amitié s’en était ainsi trouvée préservée mais avaient-ils gagné au change ?

Ils avaient pris leurs distances au gré de leurs activités professionnelles, le Bernois dans la brocante et Mhorn dans la marine marchande pendant quelques années durant lesquelles son caractère rugueux et son maintien un peu rigide lui avait valu le surnom ironique d’enseigne de vaisseau. Il avait beau s’être ingénié à échapper au service militaire, ce surnom l’avait poursuivi au point que la plupart de ses anciens collègues et compagnons de boisson l’appelaient toujours l’enseigne de vaisseau Mhorn quand ils parlaient de lui et plus familièrement l’enseigne quand ils le rencontraient.

Maintenant, après ce fameux rêve, Mhorn repensait aux souffrances endurées à cause de cet amour raté. Ces tourments avaient atteint leur paroxysme le jour où quelques affaires douteuses lui avaient amené dans les mains son Makarov en parfait état de fonctionnement pour une arme aussi ancienne. Après l’avoir démonté, nettoyé et entretenu, il l’avait essayé en tirant sur des plaques de tôles dans une décharge sauvage. Les impacts donnaient une idée du résultat sur un corps humain et il s’était dit qu’il pourrait toujours s’en servir pour se brûler la cervelle s’il venait à souffrir encore plus mais au même instant, il eut honte de cette idée ridicule. 

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