04 décembre 2009
Carnet de la première neige
Peut-être un peu plus futée ou chanceuse que ses pauvres congénères,
la poule faisane a élu domicile dans les hautes herbes derrière la maison durant la période de chasse. Elle est grassouillette, gracieuse et ne semble pas craindre grand-chose des chats mendiants que je ne peux pas m’empêcher de nourrir, une minette aussi élégante que peureuse et un matou d’un certain âge, dominant redoutable, énorme, glouton, mais débonnaire à mon égard. L’autre jour, la minette m’a filé un coup de patte. Elle m’avait pourtant bien fait comprendre que la distance entre nous ne devait pas être inférieure à cinquante centimètres. Avertissement reçu cinq sur cinq.
***
J’entends parfois des gens se plaindre d’avoir « raté leur vie » . Comment peut-on rater (ou réussir, d’ailleurs) quelque chose que l’on n’a pas entrepris ? Je me suis quant à moi senti beaucoup plus léger le jour où j’ai réalisé qu’en ce monde, les mots échec ou réussite n’étaient que du jargon de capitaine d’industrie.
***
Matin blanc. Je lève les yeux de mon bol de café pour regarder à travers les vitres le grand nuage envelopper la maison, la petite route, et, dans quelques secondes, le clocher. Que demander de plus ?
***
L’œuvre du compositeur britannique Ralph Vaughan Williams (1872-1958) me tenait à distance depuis de nombreuses années, comme s’il me manquait une clef pour y entrer. J’ai trouvé cette clef en écoutant ces dernières semaines sa très élégiaque et majestueuse Norfolk Rhapsody. En avant pour ses dix symphonies dont je ne connais que la quatrième.
***
Le jour de la première neige, la poule faisane s’est approchée de la maison et n’a rien trouvé de mieux à faire que de sortir du pré puis de longer la route en direction du village. Les chasseurs n’ont certes plus le droit de la flinguer mais si peu de temps avant Noël, le risque d’enlèvement paraît sérieux. J’hésitais entre chanceuse et futée. Elle n’était que chanceuse, très provisoirement.
Photo : la poulette faisane photographiée depuis la fenêtre... de la cuisine.
02:26 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carnet, journal, neige, vaughan williams, chat, poule faisane, blog christian cottet-emard
14 novembre 2009
Du rythme et de la vision
Un écrivain c'est quelqu'un qui a du rythme et une vision. Le style n'est rien d'autre que le rythme et la vision. Le rythme permet d'accéder à la vision. Si vous n'avez que la vision, vous n'êtes pas compris.
01:37 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : carnet, journal, littérature, blog littéraire, christian cottet-emard
20 octobre 2009
« Et qui est mort et qui ne l’est pas ? » (Ezra Pound)
Cet été, je n’ai pas été entièrement satisfait de mes lectures et ce n’est pas le marronnier de la rentrée littéraire qui risquait de me combler de ses fruits. En plusieurs décennies, je n’ai pas le souvenir d’avoir lu un seul livre des différentes rentrées littéraires en édition brochée. Mes lectures ont pour gisement le poche et l’occasion et je ne m’aventure du côté des nouveautés que dans la petite ou microédition voire par le canal du service de presse. Seule exception, la volonté mûrement réfléchie de me procurer ce que j’appelle un livre par moi élu ou attendu. Cela ne m’empêche évidemment pas d’abuser de la presse péri ou paralittéraire, même si je ne suis presque jamais ses avis.
Ne pas tomber sur les bons livres au moment où j’en ai besoin ne serait pas grave si cela ne réveillait pas tout de suite en moi la très désagréable sensation de ne pas être vivant, sensation que j’éprouve encore plus profondément dès que me parviennent les bribes du radotage permanent qu’on appelle les informations à la radio et à la télé, ces chroniques de la non-vie censées refléter nos préoccupations quotidiennes débitées dans un vocabulaire dont tous les mots sont truqués ou vides de sens. Dans ces informations qui n’en sont pas et dans lesquelles j’inclus la publicité, je trouve encarté dans un hebdo culturel un dépliant où le mot « joie » est répété à satiété à seule fin de fourguer de la bagnole et encore de la bagnole. On a la « joie » qu’on peut...
Heureusement, dans le courrier des lecteurs du même hebdo, cette apostrophe d’un correspondant, Rémy Aune : « Esclaves... qui vont faire leurs courses le dimanche dans un supermarché désormais ouvert, qui dorment avec leur portable et sont incapables de l’éteindre, qui se battent lors des soldes pour un objet ou des vêtements superfétatoires, qui marchent dans la rue la bouche ouverte, le regard vide, l’œil bovin et les oreilles explosées de bruit, qui campent trois jours devant une salle de concert, qui achètent mille fois son prix le maillot d’une équipe de football, qui s’endettent pour un écran plat, à tous ces esclaves qui se croient libres, je suggérerais la lecture du texte d’Etienne de la Boétie : Discours de la servitude volontaire. »
J’ai toujours aimé aborder les œuvres littéraires par le biais des musiques qu’elles inspirent parce que la musique a autant d’importance pour moi, parfois plus, que la littérature. Je n’ai pas procédé autrement lorsque j’ai découvert, voici bien des années, Le Lieutenant Kijé de Serge Prokofiev, œuvre composée d’après la nouvelle de Iouri Tynianov, et Le Coq d’or, l’opéra de Nikolaï Rimsky-Korsakov, d’après le conte de Pouchkine. Dès que mes explorations littéraires marquent le pas, je retourne à la mise en perspective de ces chefs-d’œuvre dont le sens n’en finit plus de ricocher. Je ne peux évoquer les auteurs russes qui me parlent le plus sans évoquer Nikolaï Gogol, notamment ses Âmes mortes. Malgré leur part d’engagement politique contestataire, Le Lieutenant Kijé, Le Coq d’or et Les Âmes mortes restent avant tout des créations artistiques d’une portée bien supérieure et sont des œuvres ironiques à propos desquelles on pourrait citer Ezra Pound : « Et qui est mort et qui ne l’est pas ? » . Question que posait Pier Paolo Pasolini en pleine société de consommation au vingtième siècle : « Ce nivellement culturel auquel le fascisme n’avait pu parvenir en vingt ans, la civilisation du bien-être l’a obtenu en quelques années seulement. Nous sommes tous morts et nous ne le savons pas encore... » Question d’une lancinante actualité dans nos pays riches en ce début du vingt-et-unième siècle.
Note : Le Lieutenant Kijé est un officier inexistant (au sens propre) né d’une ligne fautive dans un registre de la bureaucratie tsariste. Personne n’osant avouer la coquille à l’origine de l’erreur, l’officier inexistant va poursuivre toute sa carrière militaire.
Dans l’épilogue du Coq d’or, il apparaît que la plupart des personnages n’existaient pas.
Dans Les Âmes mortes, le mot « âmes » désigne des serfs décédés mais considérés comme vivants d’un point de vue administratif.
Photo de citrouille Halloween prise sur Wikipédia
15:55 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : carnet, tynianov, pouchkine, gogol, pasolini, prokofiev, rimsky-korsakov, ezra pound, blog littéraire christian cottet-emard, la boétie