29 avril 2009
Hier, pour la première fois de ma vie,
à quarante-neuf ans tout de même, j’ai allumé un feu dans la cheminée avec du bois coupé par mon père décédé en 2003. La veille, j’ai profité de la visite de José, un ami, pour lui demander des conseils sur la façon d’utiliser la cheminée en toute sécurité.
C’est aussi grâce à José que la table sur laquelle j’écris ces notes ne tangue plus. Comme les autres enfants de la famille, je m'installais sous cette grande table Art nouveau pour lire ou rêvasser. Pendant de nombreuses décennies, elle n'a jamais bougé mais a pourtant perdu tout équilibre après son arrivée dans mon ancienne maison d’Oyonnax, à la suite du décès de ma grand-mère. La voici enfin stabilisée, comme si elle avait retrouvé à la campagne, dans cette autre résidence de famille où j’habite désormais, une maison à sa convenance.
Lorsque je regarde José ainsi que mes autres amis et proches voler à mon secours pour réparer ce qui se détraque, entretenir ce qui s’use et remettre en marche ce qui tombe en panne, je pense à mes écrits et je me demande à quoi et surtout à qui va bien pouvoir servir cette prose...
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21 avril 2009
Silences
Les petits travaux de la vie quotidienne me plongent dans une hébétude qui me fait honte. Depuis au moins trois semaines, je ne réponds pas au courrier, ne donne pas de nouvelles aux amis et trouve pourtant que le temps passe trop vite. Et ce spleen qui m’envahit chaque fois qu’une fête est passée, en particulier Pâques que j’aime beaucoup.
Au courrier de ces vacances de Pâques, un nouveau livre dédicacé de François Perche * au titre prometteur, Les Petites filles de mon enfance ne clignent pas les yeux (éditions MLD) que je lirai lorsque je ne me sentirai plus fermé comme une vieille serrure grippée.
Répondu à une interview du magazine en ligne BSC News qui paraît vendredi. J’avais donné mon accord voici quelques temps, donc pas question de me défiler au dernier moment.
Encore pas réagi à la proposition du responsable d’une revue que je lis depuis longtemps et dont il m’ouvre amicalement les pages pour une chronique régulière où, pour reprendre son expression, j’aurais le champ libre. J’hésite en voyant mes livres en cours prendre du retard mais j’ai bien envie d’accepter. Toujours ces hésitations, ces réticences à me lancer. Un pas en avant, deux pas en arrière. Je voudrais lasser tout le monde que je ne m’y prendrais pas autrement. Ce doit être ce que Montale appelait « la vie à 5 % » (je cite de mémoire et ne suis donc pas sûr du pourcentage).
Retrouvé dans des papiers anciens un mot de Christian Bobin qui m’adresse de sa belle écriture ronde des gentillesses sur mon recueil de petites proses L’Inventaire des fétiches, publié en 1988. Étrange de voir remonter cette lettre du désordre de mes archives au moment où je commence à feuilleter son livre La Dame blanche avec ces lignes en quatrième de couverture : « Sous le soleil clouté d’Arabie et dans la chambre interdite d’Amherst, les deux ascétiques amants de la beauté (Arthur Rimbaud et Emily Dickinson, NDR) travaillent à se faire oublier. » N’étant ni l’un ni l’autre et encore moins ascétique, j’ai bon espoir de me rappeler bientôt au souvenir de celles et ceux qui ont bien du mérite à ne pas m’oublier... Comme ce jeune chat en quête d’un territoire qui me toise à juste raison, tous les soirs à la même heure, d’un regard perplexe.
* François Perche lisant un de ses livres au salon du livre de Saint-Claude, Jura. (Photo MCC)
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24 mars 2009
Musique des jours
La campagne me rend beaucoup plus matinal. Difficile de résister aux promesses des chemins et des sentiers qui partent derrière la maison vers les prairies et les collines. Au saut du lit, je n’ai que quelques centaines de mètres à parcourir pour gravir le petit mont en forme de pain de sucre où je vois jouer les premiers rayons du soleil depuis la fenêtre de ma chambre. La semaine dernière, la bise a empilé des nuits claires et glaciales et des journées sèches et lumineuses. La neige récemment fondue a libéré le parfum de la blache, cette épaisseur d’herbe couchée et jaunie au grand soleil. Éclosion des anémones pulsatilles dans la cendre noire des premiers écobuages. La lumière n’oublie pas les tapis de feuilles qui craquent sous les pas.
Jeudi, j’écris « merci » sur une plaque de neige dans une poche d’ombre à l’entrée d’un grand pré bordé de murets et de taillis. Apparition d’un buisson de bois joli qu’on appelle aussi bois gentil, aussi délicieusement parfumé que brutalement toxique !
Vendredi, journée printanière et légère bise dans les sapinières odorantes. Premiers pollens des chatons de saules et de noisetiers.
Samedi après-midi, je descends à Nantua par les petites routes ensoleillées. J’ai entendu parler d’un concert de piano en l’abbatiale Saint-Michel. Je ne m’attendais pas à un moment musical d’une telle qualité avec au clavier une pianiste de vingt-cinq ans, Caroline Marty, qui interprète César Franck, Jean-Sébastien Bach et Franz Liszt en un pur alliage de grâce et de force, d’une densité et d’une élégance exceptionnelles pour une musicienne aussi jeune. On entend aujourd’hui beaucoup de bons pianistes qui ne sont souvent que des techniciens, y compris dans les rangs des concertistes connus. Qui aura la chance d’écouter Caroline Marty dans le prélude, choral et fugue de César Franck ne pourra oublier la profondeur et la clarté de sa lecture nous rappelant que Franck, trop souvent emprisonné dans un romantisme ténébreux, est avant tout un mélodiste. Après la musique, achat de quelques cigares de Saint-Domingue que j’arrive encore à trouver à Nantua et retour à la maison par la même route de montagne dans le cache-cache du couchant.
Le lendemain dimanche, je retourne à l’abbatiale en fin d’après-midi pour écouter les organistes Olivier Leguay et Pierre-François Baron qui interprètent des chorals de Brahms, œuvres tardives en harmonie avec les reflets crépusculaires qui se concentrent dans les vitraux. J'imagine le vieux Brahms, avec sa bedaine et sa barbe hirsute parfumée au cigare froid, composant sur « Es ist ein ros'entsprungen » (une tendre rose a jailli d'une racine) ! Seule fausse note de cette belle journée, la malchanceuse plante grasse ramenée de Sardaigne que j’ai oubliée sur la terrasse et qui a passé la nuit dehors par moins cinq degrés. Pour elle, entre la vie et la mort, une simple vitre. Les plantes souffrent-elles ? Elles ont à tout le moins cela de commun avec les humains de périr parfois à un cheveux de ce qui pourrait les sauver.
Tard dans la nuit, je ne résiste pas à la tentation de revoir pour au moins la quatrième fois I Vitelloni de Federico Fellini, un de mes très rares films cultes. À chaque séance, je découvre un nouveau détail : par exemple, en second plan, la cliente qui entre dans la boutique de bondieuseries en déclarant « je voudrais voir un ange » !
Lundi matin, je trouve au courrier des disques parmi lesquels certaines œuvres du compositeur britannique Sir William Walton (1902-1983), notamment sa symphonie concertante et ses Variations sur un thème de Paul Hindemith. J’avais aussi commandé « Façade » sur des poèmes d’Edith Sitwell
mais on m’informe que le disque est indisponible, ce qui est d’autant plus frustrant que par une recherche sur internet, je finis par trouver l’enregistrement que je cherche depuis longtemps avec les narrateurs Susana Walton (épouse du compositeur) et Richard Baker, dans l’interprétation du City of London Sinfonia dirigé par Richard Hickox. Le CD est paru le 01/09/2006 chez Chandos Records.
L’après-midi avec M*, nous profitons du soleil pour replanter les pivoines sauvées du récent déménagement. Des dards roses vigoureux sortent déjà des racines et j’espère que ces pivoines que nous avions déjà M* et moi ramenées voici des années du jardin de la maison perdue de mon enfance s’acclimateront une fois encore dans cette nouvelle propriété de famille.
Couché avec une légère migraine non pas due au cigare et à la Fine du Jura mais à un changement brutal de la météo à la suite duquel, ce mardi matin, j’ai ouvert les volets sur une opération commando du Général Hiver.
Note : le portrait d'Edith Sitwell est signé du peintre Roger Fry. (Source Wikipédia)
17:28 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carnet, journal, note, pivoine, musique, cigare, jura, abbatiale saint-michel, nantua, orgue