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05 octobre 2015

Carnet / D’une étrange manie

Retour d’une semaine à Barcelone. Mon poids au début du séjour, 81 kg, mon poids au retour, 80 kg malgré les kilomètres de marche dans cette ville gigantesque et les repas de poissons grillés.

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J’ai même réussi à avaler quelques coquillages, moi qui n’en mange jamais. Pour un tel résultat, pas la peine de s’obstiner avec ces machins à la consistance caoutchouteuse qui font crouips crouips quand ont les croque.

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En plus, je n’ai pas grignoté un seul carré de chocolat de tout le séjour. Et toujours cette sensation bizarre des trajets en avion qui permettent de remonter la Rambla le matin et de flâner dans la campagne jurassienne l’après-midi. Voyager est une étrange manie.

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À la fin du vol pour Barcelone, une forte odeur de brûlé s’est répandue dans l’appareil. À l’avant, le personnel de bord regardait quelque chose à travers un hublot. Un homme de l’équipage est sorti de la cabine de pilotage pour jeter un coup d’œil dans la même direction et le visage d’un membre du personnel exprimait une réelle inquiétude. À l’atterrissage, plusieurs camions de pompier, des autos avec gyrophares et une ambulance se sont positionnés à côté de l’avion. Impossible de savoir ce qui s’est passé. 

J’en conclus qu’il est inutile de se priver de plats en sauce et de chocolat.

16 septembre 2015

Carnet / En écoutant le vent nocturne dans les frênes

Le grand vent doux secoue les frênes dans la nuit sans lune. Dérangée par les volets qui tremblent, la chatte Linette dresse l’oreille dans son fauteuil. 

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Ces derniers jours, comme chaque année à la fin de l'été, un bouvreuil vient régulièrement se percher sur le vieux banc de bois et reste ainsi immobile comme s'il attendait quelque chose. Sans doute se gave-t-il tout simplement des baies rouges du sorbier des oiseleurs, juste au-dessus de lui, en prévision des frimas.

Ces temps, j’écoute surtout Francis Poulenc, notamment les concertos pour piano, Aubade, le concerto pour orgue, cordes et timbales, le concerto pour clavecin et le Gloria. Je reviens très souvent à ce Gloria écrit l’année de ma naissance, 1959, quatre ans avant la mort de Poulenc.

Après pas mal de lectures décevantes, notamment Expo 58 de Jonathan Coe, un roman laborieux comme on en produit aujourd’hui à l’échelle industrielle, je retrouve le plaisir de lire avec Autre chose de Thomas Vinau (éditions Les carnets du Dessert de Lune) et des nouvelles de Tchékhov, en particulier Les Groseilliers qu’on peut aussi trouver en Folio 2€. Je commencerai bientôt Les mille et une gaffes de l’ange gardien Ariel Auvinen d’Arto Paasilinna (Folio). Cette année comme les autres, aucun livre de la rentrée littéraire d’automne malgré le matraquage de la presse littéraire en kiosque et surtout pas les nouveautés françaises défendues par Le Monde et Télérama qui nous servent la soupe, je dirais même un brouet dont le pire ingrédient est Christine Angot.

L’incroyable suffisance de Télérama : « Comme chaque année, nous avons choisi, parmi les nouveautés de l’automne, les romans les plus réussis... » Ils auraient au moins pu écrire « les romans que nous estimons les plus réussis ! »  Quant à Angot en tête de leur sélection, elle n'a pas de style, je trouve qu’elle écrit avec les pieds. C'est aussi ce que déplore Nicolas Ungemuth du Figaro, l’un des rares critiques rétif à ce remède contre la littérature. Il ne s'en prend d'ailleurs pas à la personne mais à l'engouement médiatique pour ce néant (tout à fait révélateur à mon avis de l'état famélique dans lequel se trouve aujourd'hui la littérature française de grande diffusion). Il n'y a que le débonnaire François Busnel de La Grande librairie pour avoir la patience de rester professionnel face à cette caractérielle qui passe son temps à reprendre ses interlocuteurs à seule fin de leur démontrer qu'ils ne comprennent vraiment rien à ses radotages amphigouriques.

J'ai lu deux livres d'Angot : un paru chez Mille et une nuits il y a longtemps, acheté chez un soldeur (je ne me rappelle plus du titre et du contenu) et un plus récent en poche Folio où il est question d'une tranche de jambon utilisée comme accessoire sexuel. Le seul souvenir que je garde de ces lectures est le charabia (pardon le style) d'Angot, le même qu'elle utilise dans les interviews exaspérées qu'elle donne. Pathétique.
J’attends maintenant mon prochain départ pour Barcelone. Les billets d’avion et l’hôtel sont réservés. Bientôt la douceur de la promenade dans une grande ville du sud et le repos de ne rien comprendre à la langue qui se parle autour de moi ! À moi la Rambla, les cigares, la Sagrada Familia, la façade maritime et les coupes de Cava, panoplie du parfait touriste !

02 septembre 2015

Carnet / Le jour des blouses grises

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Quand j’étais encore concerné, la rentrée des classes marquait pour moi le jour le plus noir de l’année, surtout à l’école primaire. À cette époque, au début des années soixante du vingtième siècle, les vacances d’été commençaient le 27 juin et se terminaient le 15 septembre, ce qui en faisait véritablement, selon l’expression consacrée, les grandes vacances.

Le jour de la rentrée, l’odeur des goûters que les élèves transportaient en plus du cartable dans une petite besace de plastique tressée me révulsait plus que de coutume avec son mélange d’effluves de chocolat et d’orange. Cette odeur se répandait dans le couloir obscur qui servait de hall d’entrée à l’école et qui se prolongeait par un vaste escalier donnant accès aux étages et aux salles de classe. Sur le palier du premier étage, une porte ouverte donnait sur le préau et la cour de récréation, celle-ci constituant déjà plus à mes yeux une arène qu’un lieu de détente dans cet univers masculin. Il fallait attendre l’entrée en sixième au collège situé quelques rues plus bas pour retrouver la mixité dont nous étions subitement privés après la maternelle dès l’entrée à l’école primaire. 

J’avais trois rues à traverser pour aller du domicile de mes parents jusqu’à l’école. Le trajet s’égayait deux fois par an avec l’installation de la fête foraine aux abords de l’église. En attendant de scintiller et de tourbillonner, les manèges dormaient sous leurs bâches dans le matin brumeux. En bas des marches d’un étroit passage entre des maisons et des ateliers, le dernier maréchal-ferrant faisait tinter son marteau. À la sortie du passage, l’immeuble de l’école s’élançait dans le ciel gris. Lorsque j'arrivais (assez rarement) en retard, je levais les yeux vers la lourde porte à deux battants fermée et je restais quelques instants immobile pendant que me saisissait l’idée de la fugue en direction de la forêt distante d’à peine quelques centaines de mètres au bout d’une petite route en pente. Je me demandais alors comment j’allais pouvoir manger, boire et dormir une fois les hautes silhouettes des épicéas englouties par l’énorme nuit de l’automne. J’avais souvent entendu parler de la Grande Ourse sans bien comprendre de quoi il s’agissait dans le ciel et j’écoutais en boucle mon disque de Pierre et le loup de Prokofiev, ce qui ne m’encourageait guère dans mes projets de désertion. 

J’entrouvrais donc ce que j’allais appeler des décennies plus tard dans un poème la grande porte de la fugue et je me faufilais dans le hall sombre pour rejoindre les gamins les moins pressés d’obéir à l’ordre de se mettre en rang. J’avais alors vue sur les nuques et les oreilles de tous ces marmots de mon âge, à peu près tous tondus par le même coiffeur auquel nous confiaient nos mères lorsque nos têtes se hérissait d’un excès d’épis et de mèches rebelles. Nous gardions ainsi la posture tant que le silence n’était pas obtenu puis chaque cortège montait pesamment l’escalier pour rejoindre sa salle de classe respective sous l’œil suspicieux des maîtres. 

Le regard le plus noir, jaillissant du visage assombri d’un collier de barbe, appartenait au maître du cours préparatoire, un grand type aux épaules légèrement voûtées qui portait souvent ses vestons anthracite sans enfiler les manches, ce qui lui donnait l’allure évanescente d’un spectre à quatre bras. Cet homme très brun aux sourcils épais et noirs et au teint gris, jeune et taciturne, n’avait jamais besoin d’élever sa voix sourde pour donner des ordres. Ses larges mains recouvertes d’une peau blafarde pouvaient à tout moment s’envoler en direction de notre figure pour y atterrir en un claquement sec. Contrairement à son collègue tonnant du CM1, le maître du CP n’avait pas besoin de théâtraliser ses colères parce qu’il semblait tout entier habité par une colère permanente, froide et silencieuse qui me glaçait le sang. Ses annotations à l’encre rouge dans les marges de nos exercices exprimaient en une impeccable calligraphie l’ironie amère et  le réfrigérant dédain que lui inspiraient nos fautes d’orthographe et nos erreurs de calcul.

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Une fois en classe, nous devions attendre le signal du maître pour nous asseoir, non sans avoir auparavant récité collectivement le Notre Père ou le Je vous salue Marie. J’avais pour ma part une préférence pour cette Marie pleine de grâce dont l’évocation me souriait plus, dans cette poche de tristesse et d’inquiétude qu’était la classe, que l’image intimidante de ce Père énigmatique et si haut dans les Cieux. Mes prières n’en étaient pas moins sincères mais tournées vers de bien prosaïques soucis : Sainte Marie pleine de Grâce, faites que je ne sois pas interrogé au tableau, Notre Père qui êtes aux Cieux, délivrez-moi du calcul mental et faites que je ne sois pas collé jeudi.

Le reste de la matinée coulait alors au rythme du glas qui tombait du clocher tout proche de la bien mal nommée église Saint-Léger. L’après-midi était du même tonneau mais j’avais la chance de rentrer chez moi pour le déjeuner. Je sais gré à mes parents de ne m’avoir jamais imposé une seule fois de manger à la cantine. En voyant vivre les enfants aujourd’hui, j'ai conscience du luxe qui m’a été donné de connaître une enfance sans nounou, sans cantine scolaire et sans étude du soir.

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Il faut dire que mon aversion définitive pour toute forme de vie en collectivité, pour toute activité sportive et pour tout engagement associatif est née dans la cour de récréation où la seule forme de loisir admise (à part une brève partie de billes) était le jeu de ballon obligatoire auquel s’ajoutait la séance d’éducation physique, activités qui m’ont inspiré mépris et dégoût dès mon plus jeune âge.

Lorsque je repense à ces rentrées scolaires déprimantes avec leurs relents de gymnase et leurs instituteurs en blouses grises pointant leurs baguettes du haut de leurs estrades, je mesure à quel point elles ont pu déterminer quelques aspects de mes débuts dans le monde et ma vision de la vie humaine tout en sachant qu’elles m’ont aussi ouvert une autre grande porte de la fugue, non pas celle qui me donnait envie de détaler en direction d’une sombre forêt mais celle, autrement imposante, qui m’indiquait l’étrange chemin vers les horizons du récit.

 

Les Variations symphoniques (extrait)

 

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