06 avril 2018
Carnet / Des résidences d'écrivains
Ces derniers jours, sur internet, j’ai découvert le site d’Isabelle Collombat. Elle tient sur son blog, semaine après semaine, le journal de sa résidence d’écrivain à Oyonnax, ville où j’ai passé la majeure partie de ma vie et dont je ne me suis éloigné que de dix kilomètres pour habiter dans la nature à la limite d’un village.
J’ai lu ce journal avec beaucoup d’intérêt car, conforme à ce que j’imaginais d’un tel dispositif dans une ville qui confond action culturelle et action sociale, il m’a enlevé tout regret d’avoir écarté l’idée même de partir en résidence. Le quotidien de sa mission (qu’elle décrit d’ailleurs sans se plaindre) serait au-dessus de mes forces et de ma capacité pratiquement inexistante d’adaptation à un tel contexte.
Pour les auteurs qui n’ont pas comme moi la chance de pouvoir se consacrer exclusivement à l’écriture, la résidence d’écrivain constitue l’une des alternatives à la pratique d’un second métier alimentaire.
À l’origine, le concept offrait un indéniable attrait pour qui ne craignait pas de bouger d’un pays ou d’une région à l’autre, surtout lorsqu’il s’agissait de résidences essentiellement destinées à favoriser la création littéraire en donnant à l’auteur toute liberté de mener une de ses œuvres à terme et en lui garantissant non seulement le gîte mais encore une rémunération correcte. Dans le meilleur des cas, cette œuvre n’avait pas forcément un rapport avec le lieu d’accueil et l’on pouvait ainsi parler d’une forme de mécénat.
Hélas, ce concept est aujourd’hui de plus en plus dévoyé et rares sont désormais les résidences qui n’obligent pas l’auteur à se prêter à des activités d’animation scolaire et sociale souvent au détriment de la création littéraire. Le but premier de la résidence qui consistait en l’écriture d’un ouvrage littéraire est de nos jours passé au second plan.
Cette dérive a commencé le jour où l’on a demandé à l’auteur d’écrire un texte en lien avec son lieu de résidence, ce qui a rapidement et fréquemment donné de piètres résultats, des textes de commande au pire sens du terme. La situation s’est aggravée lorsque l’auteur a été contraint d’animer des ateliers d’écriture, de participer à des projets pédagogiques voire à intervenir dans des milieux sensibles (quartiers difficiles, prisons).
Presque tous les auteurs en résidence que je connais travaillent maintenant sous cette contrainte et ont souvent du mal, au sein même de ce dispositif, à dégager le temps, la concentration et l’énergie nécessaires à leur propre création même si certains à la fibre plus sociale s’en sortent mieux que d’autres.
À l’époque pénible où je devais concilier écriture et second métier purement alimentaire, ce qui ne me mettait pas de bonne humeur, il s’était bien sûr trouvé de bonnes âmes pour me conseiller de poser ma candidature à des résidences d’auteurs. C’était méconnaître mon allergie à toute mobilité géographique professionnelle. À l’exception des voyages de tourisme et d’agrément, je suis totalement perdu et angoissé dès que je suis loin de chez moi, de mes proches, de mes repères, de mon confort et de ma routine matérielle. Cerise sur le gâteau, je suis incapable de me repérer rapidement en terrain inconnu. Quant aux grandes villes, les seules où j'arrive à ne pas me perdre sont Venise, Lisbonne et Lyon.
Malgré ces mauvaises dispositions, une résidence parmi beaucoup d’autres avait attiré mon attention parce qu’elle semblait conforme à l’esprit d’origine du dispositif. Peu de temps après avoir demandé des précisions aux organisateurs, j’ai reçu une lettre de l’écrivain et poète Jean-Claude Pirotte. Le ton était aimable et chaleureux et Pirotte m’expliquait que cette résidence pouvait me convenir si elle parvenait à continuer alors que les difficultés financières menaçaient son fonctionnement.
Le temps que je me décide à répondre, la résidence avait été supprimée. Je dois avouer avec un peu de honte que j’en ai conçu un indéniable soulagement. J’ai gardé en souvenir l’enveloppe décorée d’un dessin de la propre main de Jean-Claude Pirotte. Elle contenait les modalités de la résidence et un de ses livres. Au moins, je n’avais pas fait la démarche pour rien.
PS : ce lien vers un texte (de mauvaise foi) sur le thème des résidences d’écrivains, extrait de mon livre Tu écris toujours ? (éditions Le Pont du change).
03:12 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, billet, chronique, blog littéraire de christian cottet-emard, résidences d'écrivains, jean-claude pirotte, christian cottet-emard, isabelle collombat, littérature, oyonnax, ain, rhône-alpes, haut bugey, centre culturel aragon oyonnax, atelier d'écriture, médiathèque oyonnax, action culturelle, action sociale, tu écris toujours ?, éditions le pont du change
14 décembre 2017
Carnet / Né au bon moment
En cours de lecture, le pavé autobiographique de David Lodge, Né au bon moment (éditions Rivages).
Dans l’avant-propos, Lodge évoque l’invention de la puce électronique : Cette dernière, qui a rendu possible l’ordinateur, Internet, l’e-mail, le téléphone mobile et le livre numérique, a eu un impact important sur la production littéraire. Ces outils ont incontestablement rendu la tâche plus facile. Néanmoins, ces progrès menacent à présent la chaîne du livre : agents, éditeurs, imprimeurs, libraires. Tout ce qui a fourni un cadre aux écrivains, leur permettant de réaliser leur vocation et de gagner leur vie, s’en trouve fragilisé. J’ai eu la chance, je crois, d’avoir vécu l’essentiel de ma carrière dans un milieu plutôt stable.
Si je comprends aisément qu’un écrivain de la génération de Lodge puisse établir ce constat, je peux dire qu’en ce qui concerne mon activité d’auteur, je trouve des avantages à la véritable révolution qui bouleverse aujourd’hui cette fameuse chaîne du livre en plein dérèglement.
Il est vrai que je ne suis pas contraint de gagner ma vie avec mes livres, ce que j’ai longtemps regretté mais que je considère désormais comme une liberté.
Le milieu stable dont parle Lodge a surtout favorisé les écrivains en réseau, souvent engagés sur les rails de l’université, et les best-sellers, abandonnant progressivement sur le bord du chemin de plus en plus d’auteurs aux tirages moyens et confidentiels.
Certes, les nouveaux outils qui facilitent l’édition, l’impression, la diffusion et la distribution de livres destinés à un public réduit ne permettront-ils guère plus aux auteurs de vivre de leur plume mais ils donneront au moins la possibilité d’exister à toute une production littéraire réduite au silence total par l’ancien système, ce qui m’apparaît comme un progrès considérable dont je me réjouis moi-même, depuis quelques années, de bénéficier.
Moi qui ne me sens pas toujours à l’aise dans mon époque et qui suis plutôt conservateur, notamment du point de vue social et politique, j’avoue que le spectacle du grand chambardement du vieux monde de l’édition ne m’inspire aucune nostalgie. À cet égard, j’estime moi aussi être né au bon moment.
01:28 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : né au bon moment, david lodge, éditions rivages, rivages poche, autobiographie, mémoires, littérature, internet, téléphone mobile, livre numérique, ordinateur, e-mail, blog littéraire de christian cottet-emard, carnet, note, billet, journal, chronique, christian cottet-emard
21 novembre 2017
La santé au cinéma
(ou comment agir sur la fiction quand on ne peut agir sur la réalité)
Grâce au zèle d’une sénatrice PS (oui, ça existe encore) et de la ministre de la santé, nous serons peut-être bientôt en mesure d’annoncer une excellente nouvelle : la santé des personnages de fiction cinématographique va notablement s’améliorer puisqu’il seront peut-être enfin privés de tabac.
Certes, les acteurs qui incarnent ces personnages et encore trop d’individus réels persisteront-ils dans leur vice en allant s’en griller une dès que ce qu’il leur restera de vie privée leur en laissera l’occasion mais il n’y a pas de petite victoire !
Moi qui suis un répugnant amateur de cigare (oui je suis coupable, c’est ma faute, c’est ma très grande faute), j’ai été sensible à l’argument d’un professeur ayant déclaré à la télé que la simple vision d’une scène où l’on fume enclenche dans le cerveau un processus d’envie tabagique scientifiquement mesuré. En ce qui me concerne, dans mon enfance, c’est probablement en regardant Don Diego de la Vega allumer des cigares dans Zorro que j’ai été conditionné. Dommage que la sénatrice PS et la ministre n’aient pas été là à l’époque pour veiller sur la santé de Don Diego et par conséquent sur la mienne !
Heureusement, ces années de débauche sont désormais bien loin et nous vivons maintenant une époque formidable pleine de gentilles personnes fermement décidées à faire le bonheur des grands enfants que nous sommes, à nous protéger contre nous-mêmes. Je suis touché par la sollicitude de ces responsables sains et vertueux, notamment celle de la ministre à qui je ferais toutefois, dans le domaine de la santé publique, une suggestion.
Délivrer nos héros de films de l’addiction au tabac, en voilà une idée (puisqu’il faut bien en avoir de temps en temps) mais il en est une qui me plairait davantage et qui concernerait non plus des êtres imaginaires mais de vrais gens. Il s'agirait de délivrer les urbains et les ruraux du diesel, de la pollution, les personnels soignants du burn-out et plus généralement tous ceux qui souffrent au travail parce qu’ils sont en sous-effectif chronique, et aussi les impécunieux condamnés à la malbouffe, la liste ne demande qu’à être complétée et ça, ce n’est pas du cinéma...
01:57 Publié dans carnet, NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, nouvelle du front, actualité, humeur, billet, opinion, tabac, cinéma, cigarette, cigare, blog littéraire de christian cottet-emard, tabagisme, ministre de la santé, sénatrice ps, cigarette au cinéma, fiction, réel, réalité, imaginaire, acteurs, personnage de fiction, diesel, burn-out, sous-effectif, pollution, malbouffe, zorro, série, don diego de la vega, christian cottet-emard