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14 décembre 2017

Carnet / Né au bon moment

né au bon moment,david lodge,éditions rivages,rivages poche,autobiographie,mémoires,littérature,ordinateur,internet,e-mail,téléphone mobile,livre numérique,blog littéraire de christian cottet-emard,carnet,note,billet,journal,chronique,christian cottet-emardEn cours de lecture, le pavé autobiographique de David Lodge, Né au bon moment (éditions Rivages).

Dans l’avant-propos, Lodge évoque l’invention de la puce électronique : Cette dernière, qui a rendu possible l’ordinateur, Internet, l’e-mail, le téléphone mobile et le livre numérique, a eu un impact important sur la production littéraire. Ces outils ont incontestablement rendu la tâche plus facile. Néanmoins, ces progrès menacent à présent la chaîne du livre : agents, éditeurs, imprimeurs, libraires. Tout ce qui a fourni un cadre aux écrivains, leur permettant de réaliser leur vocation et de gagner leur vie, s’en trouve fragilisé. J’ai eu la chance, je crois, d’avoir vécu l’essentiel de ma carrière dans un milieu plutôt stable.

Si je comprends aisément qu’un écrivain de la génération de Lodge puisse établir ce constat, je peux dire qu’en ce qui concerne mon activité d’auteur, je trouve des avantages à la véritable révolution qui bouleverse aujourd’hui cette fameuse chaîne du livre en plein dérèglement.

Il est  vrai que je ne suis pas contraint de gagner ma vie avec mes livres, ce que j’ai longtemps regretté mais que je considère désormais comme une liberté.

Le milieu stable dont parle Lodge a surtout favorisé les écrivains en réseau, souvent engagés sur les rails de l’université, et les best-sellers, abandonnant progressivement sur le bord du chemin de plus en plus d’auteurs aux tirages moyens et confidentiels.

Certes, les nouveaux outils qui facilitent l’édition, l’impression, la diffusion et la distribution de livres destinés à un public réduit ne permettront-ils guère plus aux auteurs de vivre de leur plume mais ils donneront au moins la possibilité d’exister à toute une production littéraire réduite au silence total par l’ancien système, ce qui m’apparaît comme un progrès considérable dont je me réjouis moi-même, depuis quelques années, de bénéficier.

Moi qui ne me sens pas toujours à l’aise dans mon époque et qui suis plutôt conservateur, notamment du point de vue social et politique, j’avoue que le spectacle du grand chambardement du vieux monde de l’édition ne m’inspire aucune nostalgie. À cet égard, j’estime moi aussi être né au bon moment.

 

21 novembre 2017

La santé au cinéma

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Grâce au zèle d’une sénatrice PS (oui, ça existe encore) et de la ministre de la santé, nous serons peut-être bientôt en mesure d’annoncer une excellente nouvelle : la santé des personnages de fiction cinématographique va notablement s’améliorer puisqu’il seront peut-être enfin privés de tabac.

Certes, les acteurs qui incarnent ces personnages et encore trop d’individus réels persisteront-ils dans leur vice en allant s’en griller une dès que ce qu’il leur restera de vie privée leur en laissera l’occasion mais il n’y a pas de petite victoire !

Moi qui suis un répugnant amateur de cigare (oui je suis coupable, c’est ma faute, c’est ma très grande faute), j’ai été sensible à l’argument d’un professeur ayant déclaré à la télé que la simple vision d’une scène où l’on fume enclenche dans le cerveau un processus d’envie tabagique scientifiquement mesuré. En ce qui me concerne, dans mon enfance, c’est probablement en regardant Don Diego de la Vega allumer des cigares dans Zorro que j’ai été conditionné. Dommage que la sénatrice PS et la ministre n’aient pas été là à l’époque pour veiller sur la santé de Don Diego et par conséquent sur la mienne !

Heureusement, ces années de débauche sont désormais bien loin et nous vivons maintenant une époque formidable pleine de gentilles personnes fermement décidées à faire le bonheur des grands enfants que nous sommes, à nous protéger contre nous-mêmes. Je suis touché par la sollicitude de ces responsables sains et vertueux, notamment celle de la ministre à qui je ferais toutefois, dans le domaine de la santé publique, une suggestion.

Délivrer nos héros de films de l’addiction au tabac, en voilà une idée (puisqu’il faut bien en avoir de temps en temps) mais il en est une qui me plairait davantage et qui concernerait non plus des êtres imaginaires mais de vrais gens. Il s'agirait de délivrer les urbains et les ruraux du diesel, de la pollution, les personnels soignants du burn-out et plus généralement tous ceux qui souffrent au travail parce qu’ils sont en sous-effectif chronique, et aussi les impécunieux condamnés à la malbouffe, la liste ne demande qu’à être complétée et ça, ce n’est pas du cinéma...

 

 

13 septembre 2017

Carnet / Suite du billet (Du primo-romancier et du spermatozoïde)

(Première partie à lire ici)

carnet,note,billet,édition,premier roman,littérature,presse,le figaro littéraire,primo-romancier,rentrée littéraire,spermatozoïde,réussite,blog littéraire de christian cottet-emardLa notion de premier roman est assez récente dans l’histoire de la littérature, elle date de ce que j’appellerais l’industrialisation de la production de fiction plus ou moins littéraire, c’est-à-dire de l’époque à laquelle les éditeurs qui sont aussi et surtout des entrepreneurs ont assumé leurs statuts de producteur et de commerçant avec les charges et les contraintes que cela implique. Ils ont donc des produits à vendre à un public le plus large possible. Aussi choquant que cela puisse paraître, ces produits sont non seulement des livres mais aussi leurs auteurs. L’édition étant une entreprise, elle est soumise à la première règle du monde marchand, l’expansion ou la disparition.

L’émission littéraire Apostrophes programmée à une heure de grande écoute à la télévision entre 1975 et 1990 a entériné ce constat. Ce programme était devenu si puissamment prescripteur auprès du grand public que les éditeurs jouaient des coudes pour y envoyer leurs auteurs. Les effets de leurs prestations sur le plateau se mesuraient très vite dans les jours suivant la diffusion en termes de ventes en librairie, ce qui entraîna une banalisation de la notion de best-seller installant durablement dans l’esprit du grand public l’idée qu’un livre au succès commercial restreint ou moyen illustrait l’échec de son auteur.

Il est pourtant logique qu’en littérature, la norme ne soit pas le best-seller qui n’est quant à lui qu’un accident, même si certains éditeurs se targuent d’essayer, par les voies du marketing, de fabriquer artificiellement des romans et des romanciers à très grosses ventes.

J’irai même plus loin (mais ce n’est qu’une opinion personnelle) en affirmant qu’une œuvre littéraire n’a pas pour vocation première une grande diffusion. Sa vocation première est d’exister, même pour très peu de lecteurs. J’aime citer Borges à ce propos : Je n'écris pas pour une petite élite dont je n'ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu'on surnomme la masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères aux démagogues. J'écris pour moi, pour mes amis, et pour adoucir le cours du temps. Certes Borges a-t-il beaucoup de lecteurs mais il ne s’en préoccupait guère de son vivant.

C’est dans ce contexte qu’un primo-romancier doit aujourd’hui se positionner selon son âge, sa situation professionnelle, ses revenus, son mode vie, son éventuel plan de carrière, le public auquel il souhaite s’adresser et les bénéfices (financiers ou autres) auxquels il estime pouvoir ou vouloir prétendre.

Avant l’apparition des sites internet, des blogs, des réseaux sociaux et des structures d’impression, de diffusion et de distribution à la demande, l’audience d’un auteur dépendait exclusivement des maisons d’éditions et de la presse. Hors ces passages obligés pour très peu d’élus, aucune chance d’atteindre un public, même confidentiel.

Parallèlement, il y eut bien l’effervescence de ce qu’on appelle encore aujourd’hui la petite édition ou l’édition alternative mais on sait maintenant qu’en raison des contraintes économiques de cette activité et de la masse de manuscrits reçus, le fonctionnement de ces modestes structures ne diffère pas beaucoup de celui des grandes maisons dont elles prétendent se démarquer. Je n’évoquerai pas ici l’édition à compte d’auteur qui n’est pas de l’édition et l’auto-édition, démarche radicalement différente qui, à titre exceptionnel, peut s’avérer positive pour un auteur mais pose de nombreux problèmes. 

La situation a radicalement changé grâce aux nouveaux outils de publication et de diffusion habituellement désignés par le terme numérique. De plus en plus d’auteurs y ont recours, y compris ceux qui sont déjà en contrat avec des éditeurs classiques.  Certains d’entre eux cherchent même à récupérer leurs droits pour bénéficier de ces nouvelles opportunités techniques. Si ces dernières ne sont en aucun cas à considérer comme des solutions miracles en faveur de la lente conquête d’un début d’autonomie pour les auteurs, elles ont au moins l’avantage de leur offrir des alternatives à une condition de plus en plus problématique, notamment en ce qui concerne les primo-romanciers.

Pendant longtemps, dans l’environnement de l’édition classique, si la publication d’un premier roman n’était pas d’un grand bénéfice financier pour l’auteur, elle pouvait générer un profit en terme de notoriété grâce aux actions de promotion engagées par l’éditeur, notamment dans la presse. Cela pouvait constituer un premier jalon vers un espoir de succès. En échange, l’auteur cédait ses droits et se retrouvait souvent engagé de manière très contraignante, surtout avec les clauses de contrat qu’on appelle clauses de préférence qui s’appliquent aux livres non encore écrits succédant au premier roman.

Ce système est gagnant / gagnant lorsque le succès est au rendez-vous mais dans le cas contraire, il constitue un piège redoutable pour l’auteur qui peut ainsi se retrouver prisonnier de ses engagements en faveur d’un éditeur qui ne s’occupe plus de lui. J’ai moi-même vécu une variante de cette situation absurde en publiant un essai. Je n’avais heureusement pas de clause de préférence dans mon contrat.

Depuis pas mal d’années, l’influence des médias traditionnels sur le choix des lecteurs diminue, notamment celle de la presse écrite. Il fut un temps où un article dans la presse quotidienne régionale, y compris dans les rubriques locales, pouvait susciter des ventes. C’est d’autant moins le cas aujourd’hui que dans ces journaux, on estime que la promotion d’un livre relève désormais du service publicitaire et non du service rédactionnel. Ce travers ne s’est encore pas généralisé à la presse nationale mais les suppléments littéraires des grands quotidiens n’offrent plus les mêmes perspectives qu’à l’époque où un auteur bénéficiant grâce à son éditeur d’un article dans ces supports pouvait en mesurer concrètement l’influence.

Si ces temps sont révolus, si le pouvoir prescripteur de la presse nationale n’est plus garanti même si l’éditeur a un bon réseau auprès des journalistes, quel intérêt l’auteur a-t-il à se lier à une maison d’édition classique par un contrat très contraignant ? La question est désormais posée. Certes, le système fonctionne-t-il encore pour les écrivains déjà connus et les best-sellers mais pour la majorité des autres auteurs, en particulier les primo-romanciers, il n’est pas extravagant de commencer à lorgner vers les plateformes d’édition à la demande qui utilisent la puissance de diffusion et de logistique d’Amazon.

Sans doute encore aussi peu assuré d’importants profits financiers dans ce nouvel environnement que dans l’ancien, l’auteur gagne quand même ici en autonomie, en liberté de publication, en capacité de diffusion, en souplesse d’exploitation de ses œuvres et en maîtrise complète du fond et de la forme des livres. Je reviendrai dans un prochain billet sur ces avantages bien concrets.