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21 mai 2019

Carnet / Avons-nous besoin de frontières ? (notes pour un article)

carnet,note,journal,chronique,billet,blog littéraire de christian cottet-emard,débat,frontières,france,europe,Schengen,sécurité nationale,christian cottet-emard,défense,le temps du débat,médiathèque oyonnax,avons-nous besoin de frontières ?centre culturel aragon oyonnax,droit d'asile,guerres mondiales,immigration,crise migratoire,sujets de société,politiqueL’être humain est un animal à territoire, il a besoin de frontières non pas uniquement pour exclure mais pour organiser et contrôler, du moins dans les démocraties, une société la plus équilibrée possible entre les intérêts des uns et des autres, autrement dit, garantir la sécurité.

Dans mon adolescence, je n’aimais pas les frontières et je m’offrais un petit plaisir assorti d’un jeu de mot un brin narcissique en répondant que j’étais un homme du monde à toute demande concernant ma nationalité. C’était dans le goût des postures de l’époque, ces années 70 et 80 encore à peu près paisibles en comparaison de la situation que nous connaissons aujourd’hui tant à l’intérieur de nos frontières hexagonales devenues dangereusement poreuses qu’à l’extérieur, c’est-à-dire en Europe.

Et puis il y eut les années 90 au milieu desquelles le devoir régalien de la sécurité nationale incombant aux États se rappela à notre souvenir à l’occasion des vagues d’attentats pilotées depuis l’étranger puis de l’intérieur. Vint alors assez rapidement la fin de l’utopie d’une Europe sans frontières consécutive à la signature de l'accord de Schengen et de la convention de Schengen (signés à Schengen) en 1985 et 1990.

Il est certes agréable, quand on fait du tourisme, de passer les frontières sans autres obligations que de ralentir un peu l’allure de la voiture entre deux postes de douane dont les barrières toujours levées nous rappellent les décennies de paix que nos générations ont eu la chance de considérer comme un progrès qu’on aimerait désormais acquis. C’était bien le moins qu’on pouvait espérer après deux guerres mondiales dont la durée et l’organisation méthodique conduisent l’esprit le plus rationnel à penser que durant ces périodes maudites, le monde tenait dans la main du diable, lequel sait bien que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Le rêve réalisé en Europe d’un monde sans frontières est une de ces bonnes intentions pavant le seuil de l’enfer dans le contexte actuel des nouvelles menaces liées à l’instrumentalisation politique d’une religion étrangère qui pousse partout ses pions de manière de plus en plus belliqueuse. De ce fait, les frontières que nos générations d’après guerres pouvaient considérer comme menaçantes deviennent aujourd’hui ce qui peut, entre autres outils, nous protéger.

Ceux qui nous disent que les frontières ne servent à rien parce qu’elles sont ingérables mentent pour protéger leur petit commerce. Si par extraordinaire ce commerce était de nouveau favorisé par les frontières, ils nous diraient qu’elles sont indispensables.

Souvenons-nous que lors de la première guerre mondiale lorsqu’il n’y avait ni informatique ni téléphones cellulaires ni satellites, pas un gamin en âge de partir au front niché au fond de sa campagne la plus reculée n’a pu hélas échapper à la mobilisation en imaginant se sauver au-delà des frontières pour échapper au sacrifice absurde et révoltant de sa jeunesse à l’abattoir. Si les frontières pouvaient déjà être aussi bien gardées à cette époque sans les technologies de pointe d’aujourd’hui, comment ne le seraient-elles pas de nos jours ?

Les frontières sont certes des outils à double tranchant, capables de garantir la sécurité d’un pays ou de le transformer en redoutable souricière lorsque, par exemple, un gouvernement devient l’ennemi de son propre peuple.

Se pose alors la question du droit d’asile. Dans nos démocraties occidentales pacifiques, il faut être conscient que la sécurité des bénéficiaires en règle du droit d’asile est assurée par les frontières du pays souverain qui veut bien les accueillir. Une grande part de la génération qui a bloqué le compteur sur ses certitudes adolescentes et dont les spécimens les plus caricaturaux sont devenus trop vieux pour comprendre le monde dans lequel ils vivent aujourd’hui feraient bien d’y réfléchir (je parle ici notamment des soixante-huitards allergiques aux frontières par idéologie mais aussi de leurs divers héritiers politiques des générations suivantes engoncés malgré leur âge encore jeune dans des positions de principe).

 

11 mai 2019

Carnet / Littérature et patates frites à la graisse de bacon

carnet,note,journal,billet,chronique,lecture,roman,nouvelle,récit,novella,poème,littérature,blog littéraire de christian cottet-emard,nourriture,repas,patates frites à la graisse de bacon,jim harrison,usa,amérique,littérature américaine,écrivainNous retenir du début à la fin d’un roman, d’un récit ou d’un ensemble de nouvelles ou de poèmes sans rien raconter d’extraordinaire est la marque du vrai écrivain. Tout le reste, action soutenue, aventures débridées, intrigues sophistiquées, expériences extrêmes, destins hors du commun, grandes fresques historiques, n’est que bricolage.

 

Lorsque je travaille (très lentement) à un roman, je suis toujours perplexe quand il me faut céder à ce bricolage, c’est-à-dire veiller à la cohérence du récit, à l’épaisseur des personnages et autres ficelles attendues par une majorité de lecteurs comme on attend les pommes de terre avec la choucroute. Je voudrais bazarder toute cette horlogerie. C’est ce que j’avais fait dans mon Grand variable mais jamais ce livre ne fut considéré comme un roman.

 

C’est pourquoi j’admire Jim Harrison. On dirait qu’il n’a écrit tous ses gros bouquins que pour le plaisir de nous décrire ce qu’il mange, ce qu’il boit et où il marche. Plus les romans sont épais, plus les intrigues sont ténues ou bâclées. Les nouvelles tirent en longueur (ce sont d’ailleurs des novellas) et s’arrêtent comme elles ont commencé. Les chutes sont absentes ou prévisibles, notamment lorsqu’il y a suicide. Les scènes de sexe sont rapides, furtives et convenues. Le narrateur, omniscient ou non, est écrasant et désinvolte avec les autres personnages décrits à gros traits. La prose s’égare vers le poème et le poème s’épaissit dans la prose.

 

Lors d’une discussion avec un poète de ma connaissance, à l’écriture assez caractéristique de cette tendance que je déplore et qui consiste à intellectualiser la sensation, l’envie de provoquer un peu mon interlocuteur me fit évoquer un poème de Jim Harrison où il est question (entre autres) de patates frites dans la graisse de bacon. Le résultat ne se fit pas attendre. Mon visiteur poète me déclara : je ne lis pas de la poésie pour entendre parler de fricassées de patates.

 

Je lui répondis que je comprenais et respectais son point de vue mais que je ne le partageais pas. Du coup, la conversation tomba comme une cuillerée d’huile dans le gosier et nous eûmes bien du mal à la relancer tant elle avait été flinguée par les patates frites à la graisse de bacon de Jim Harrison.

 

27 juin 2018

Carnet / Des fachos et des fascistes

carnet,note,journal,billet,politique,société,blog littéraire de christian cottet-emard,idées,gauche caviar,gauche saumon fumé,gauche télérama,conformisme,politiquement correct,moraline,prêt à penserLa gauche caviar appelée aussi gauche saumon fumé ou gauche Télérama qui se trompe depuis plus de cinquante ans sur presque tout (avec le soutien involontaire de la droite la plus bornée du monde) est aujourd’hui bien crispée car elle se rend compte que le monde humain refuse obstinément de lui ressembler.

Confrontée à la récente et vertigineuse accélération des événements qui, certes, hélas, balayent ses plus généreuses théories, elle en conçoit une rage la conduisant à coudre l’infamante étiquette de facho au revers de tout habit qui n’a pas sa couleur. S’il est désormais très facile de se retrouver facho sans pour autant collectionner les brassards à croix gammée dans un vieux tiroir moisi, il en est finalement ainsi depuis plus longtemps qu’on peut le croire.

Moi qui n’ai pourtant aucune sympathie pour le fascisme, d’une part en raison de l’histoire de ma famille pour qui la mention place des déportés n’est pas qu’une plaque sur un mur d’Oyonnax, d’autre part parce que je crois que la démocratie est le pire des systèmes mais qu’il n’en existe pas de meilleur, j’ai souvent les oreilles qui sifflent, facho par ci, facho par là. Il faut dire qu’il en faut peu : une coupe de cheveux, un cigare, parfois une simple cravate, voilà pour la forme. Pour le fond, c’est à peine moins expéditif, il suffit d’assumer sans complexe d’être un mâle blanc de plus de cinquante ans de culture chrétienne, heureux de vivre en Occident et (Ô infamie) plutôt conservateur. D’ailleurs, de nos jours, on ne dit plus conservateur mais réac, même si cela ne signifie pas la même chose. Qu’importe, le sens des mots n’est pas la préoccupation première de celles et ceux qui n’en ont qu’un pour désigner à peu près tout ce qui leur déplaît, tout ce qui dépasse (je dirais même ce qui les dépasse). Ainsi que je le précisais au début, ce n’est pas d’aujourd’hui.

Déjà au collège, dans les années soixante-dix, je me rappelle d’une prof d’espagnol, une petite femme toute crispée et desséchée par l’idéologie qui nous parlait du Christ Révolutionnaire et qui organisait des débats à thèmes variés. L’un des sujets abordés avait été l’habitude, les habitudes. J’étais intervenu en précisant que rien ne me heurtait particulièrement dans le fait d’avoir des habitudes et que j’étais volontiers attaché aux miennes, ce qui m’avait valu de me faire doctement sermonner. Pour cette enseignante catho de gauche, avoir des habitudes était très vilain, très déplorable, très petit bourgeois. De plus en plus énervée, à mesure qu’elle se remontait toute seule comme une pendule à ressort, elle avait fini par exploser en déclarant avec fracas que tenir à ses habitudes, c’est dégueulasse, c’est fasciste. Il est vrai qu’à cette époque, déjà, même dans un collège privé, il y avait toujours un ou deux professeurs pour qui tout ce qui n’était pas de gauche était irrémédiablement fasciste.

L’adjectif facho s’est imposé en 1968 sous la forme familière d’une version édulcorée de fasciste présentant l’insigne avantage de pouvoir étiqueter encore plus de monde sans risquer le procès en injure ou en diffamation puisque, ma foi, le facho ne serait peut-être rien d’autre qu’un fasciste miniature qu’il suffirait d’admonester pour lui clouer le bec comme on ne s’en priverait pas à l’encontre d’un gamin un peu balourd et mal dégrossi car élevé dans la glaise d’une éducation marquée par l’ancien monde.

Ainsi habillé d’un tel costard dès ma plus tendre pré-adolescence, je ne pouvais pas manquer, sous l’effet du déterminisme social, de me distinguer un peu plus tard au lycée, dans la classe d’un prof d’histoire-géographie pour qui la propriété était le vol. Il avait lui aussi lancé, suite à un fait-divers, un débat sur l’autodéfense où je me permis d’intervenir en expliquant que tout individu se risquant à pénétrer nuitamment chez moi sans demander la permission courait un grand danger. Après qu’un ange eut traversé la salle de classe à la vitesse d’un son qu’on pouvait croire coupé, le temps que notre professeur reprenne sa couleur normale de fumeur de gauloises sans filtres, le militant prit mes camarades à témoin : « vous avez bien entendu comme moi que monsieur Cottet-Emard tombe désormais sous le coup de la préméditation s’il arrive quelque chose à quelqu’un qui vient le déranger dans son confort petit bourgeois la nuit à son domicile » .

Heureusement, cet incident déclencha l’hilarité générale dans les rangs de mes camarades et ne me rendit pas crédible pour eux, je les en remercie, dans l’uniforme (ce n’était plus un costard) que venait de me tailler l’idéologue, même si les rares qui ne m’aimaient pas pouvaient toujours insinuer qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Plusieurs décennies de vote socialiste au grand jour (j’en conviens, ce n’était pas très malin de ma part mais cela ne se reproduira pas) n’ont pas réussi à dissiper cette suspicion de fumerole trahissant une supposée vilaine braise rougeoyant au plus profond de l’obscure caverne qu’est la conscience politique de tout citoyen jamais au-dessus de tout soupçon, surtout en ces temps de déversement de moraline en pavés dûment approuvés par quelque ancienne ministre de l’éducation et ancienne Garde des Sceaux reconverties dans le monde très policé de l’édition.

Et puis j’ai cette habitude, eh oui, que mes vrais amis désignent comme la manie de se tirer une balle dans le pied. Tant d’individus s’agrègent pour être d’accord les uns avec les autres que je m’alarme dès que deux personnes sont d’accord avec moi en même temps. Que voulez-vous, le groupe m’inquiète, on ne se refait pas !

Aujourd’hui, les groupes qui m’inquiètent le plus sont ceux qui se croient à bon compte les plus généreux, les plus vertueux, les plus sélectivement indignés. On y trouve des gens qui vous traitent de facho parce que vous n’aimez pas le rap et son sempiternel et indigent registre violent, machiste, homophobe et antisémite, parce que vous êtes choqué qu’un rebelle subventionné déclare comprendre qu’on mette le feu aux médiathèques alors qu’il vient vendre sa soupe dans une médiathèque, parce que vous déplorez qu’un humoriste pas drôle soit rémunéré par une municipalité pour injurier les représentants de l’autorité de l’État lors d’une cérémonie officielle, parce que vous désapprouvez qu’on organise un jogging sur les sépultures des morts de Verdun, parce que vous estimez qu’une troupe poussant la chansonnette à l’Elysée lors de la fête de la musique avec des ritournelles encourageant à « brûler cette maison » est absurde et injurieux, parce que vous êtes ulcéré qu’on autorise les responsables de la salle le Bataclan à inviter un rappeur compromis avec les groupes et associations satellites de l’islam politique, parce que vous souhaitez que n’entrent sur le territoire national que celles et ceux qui y sont légalement autorisés, parce que vous exigez que l’État remplisse sa première fonction régalienne, la sécurité intérieure et extérieure, parce que vous êtes souverainiste, pour toutes ces raisons et bien d’autres, ce seul mot forgé à la va-vite à l’image des convictions de celles et ceux qui l’emploient à tout propos, facho, vous définira.

Qu’on veuille bien me pardonner cette énumération fastidieuse dont le but était de montrer que depuis 1968 et particulièrement aujourd’hui, on est toujours le facho de quelqu’un.

Cela ne serait pas bien grave si, par un étrange rictus de l’Histoire des peuples européens encore obnubilés par la culpabilité consécutive à l’effondrement moral que fut le nazisme, on n’était plus capable de discerner et de désigner l’ennemi déjà actif et meurtrier qui a commencé à frapper sur notre sol pour tenter de nous imposer de nouveau un authentique fascisme autrement plus concret et dangereux que celui de quelques nazillons virtuels. À force de traquer le présumé facho, on ne voit plus le vrai fasciste. Nous savons bien pourtant que lorsque le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt.

Illustration : Saint-Georges terrassant le démon