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10 septembre 2017

Carnet / Du primo-romancier et du spermatozoïde

carnet,note,billet,édition,premier roman,littérature,presse,le figaro littéraire,primo-romancier,rentrée littéraire,spermatozoïde,réussite,blog littéraire de christian cottet-emard,Quoi de commun entre un primo-romancier et un spermatozoïde ? Peu de chance de réussite.

Je ne vais pas revenir sur les chiffres de la rentrée littéraire d’automne avec ses centaines de nouveautés dans tous les genres mais plutôt me concentrer sur la situation des premiers romans. Le Figaro littéraire en dénombre quatre-vingts qui paraissent en ce moment. Le journal en a sélectionné dix qu’il désigne comme les coups de cœur de la rédaction. Entre parenthèses, après en avoir lu les présentations, je n’en achèterai pour ma part aucun malgré cet effort de promotion car, une fois de plus, je ne suis pas intéressé par les thèmes abordés. Mais là n’est pas le sujet que je veux aborder aujourd’hui. La vraie question est de savoir comment un auteur peut de nos jours se positionner dans son activité.

Avant d’apporter quelques éléments de réponse, il est utile de dresser un rapide état des lieux.

Sur les quatre-vingts premiers romans que je viens d’évoquer, dix sont donc mis en lumière, ce qui ne leur garantit pas un succès. Les soixante-dix autres ont déjà perdu une des premières batailles de l’exposition médiatique. Parmi eux, quelques-uns seront peut-être promus par d’autres journaux et magazines mais l’expérience montre à chaque rentrée littéraire que la presse fonctionne de manière grégaire. De peur de ne pas être dans le mouvement, dans l’air du temps, chaque titre embraye à peu de variantes près sur le choix des confrères.

En admettant que la presse ait encore une influence sur le choix des lecteurs, ce qui n’est plus du tout évident, on peut en conclure que sur cet arrivage massif de premiers romans en une même période, une minorité aura une petite chance d’être échangée contre monnaie sonnante et trébuchante. Les autres, la majorité, pas forcément pires mais moins ou pas médiatisés, feront un passage éclair dans les librairies (trois mois en version optimiste) et finiront au pilon. Certains ne sortiront même pas des cartons avant de se retrouver en pâte à papier. Pour leurs auteurs, le bilan sera d’autant plus amer que la joie d’avoir signé chez un éditeur en vue aura été vive, grosse d’espérance et d’impatience car entre la signature du contrat et la publication, le primo-romancier doit affronter les affres d’une attente fébrile d’au moins une année.

Passée la courte excitation de la réception des épreuves, des exemplaires d’auteur puis de la sortie officielle du roman, les lois d’airain du commerce, de l’offre (pléthorique) et de la demande (rétrécie) se rappelleront au bon souvenir du primo-romancier.

Si les ventes du roman suffisent à peine à rembourser la mise de fond de l’éditeur, le livre sera considéré comme un échec et son auteur aura peu d’espoir de connaître les délices d’une autre rentrée littéraire. Le seul qui n’aura pas perdu gros dans l’affaire sera le lecteur qui pourra toujours trouver l’infortuné premier roman à prix cassé chez Gibert ou chez Noz. Il pourra même arriver à l’auteur qui est aussi un lecteur susceptible d’être client de ces enseignes de tomber sur un de ses propres livres dédicacé !    

Tout ça pour ça ! entendis-je s’écrier un jour une de mes connaissances, l’une des innombrables victimes de cette désillusion certes attendue mais à laquelle on se refuse de croire tant qu’elle ne s’est pas matérialisée sous la forme de cette hydre qu’est la réalité.

À ce stade de sa mésaventure, on pourrait penser que le primo-romancier avorté pourrait se consoler en proposant son œuvre à d’autres maisons et lui donner ainsi une seconde chance. Ce serait oublier qu’il a cédé ses droits et que ce n’est pas parce que son éditeur n’exploite plus commercialement le livre qu’il en restitue la propriété à l’auteur.

L’histoire que je viens de résumer à gros traits est représentative de la condition actuelle de l’auteur dans un système éditorial devenu fou et souvent à bout de souffle. Il importe donc qu’un auteur se pose désormais un certain nombre de questions. Pour qui et pourquoi écrit-il ? Qu’attend-il de cette activité ? Quelle est sa place dans l’édition ? Veut-il reprendre la main sur la promotion, la diffusion et la distribution de son œuvre ? Il existe des réponses techniques à ces questions. J’en parlerai dans un prochain billet parce que ce soir, je tombe de sommeil.

 

26 août 2017

Carnet / De l’inconvénient de mourir pour un écrivain

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Antonio Tabucchi, hélas décédé en 2012 à soixante-neuf ans, est un intellectuel de gauche très représentatif des années soixante-dix et quatre-vingt du vingtième siècle. Je ne partage pas beaucoup de ses opinions politiques, surtout dans les temps que nous connaissons, mais cela ne m’empêche pas de le considérer comme un très grand écrivain d’un point de vue strictement littéraire et cela suffit à mon bonheur de le lire.

Je crois que c’est Borges qui disait que les opinions politiques individuelles d’un écrivain n’avaient guère d’intérêt, ce que je pense moi aussi. Par exemple, s’il m’est arrivé de citer Tabucchi à propos des Lusiades de Camões, ce n’est pas du tout pour étayer ma lecture personnelle de l’épopée nationale portugaise, ce à quoi je me garderais bien de me hasarder.

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Quant au personnage principal, ce Pereira qui prétend, ce n’est pas son évolution politique qui m’a le plus intéressé mais sa nature, ses habitudes, son cadre de vie, ses sentiments, sa mélancolie, sa manière d’être au monde, de se déplacer, de bouger, de se nourrir, de vivoter.

Comment un écrivain est-il compris ou espère-t-il l’être par le lecteur ? Vaste question. Peut-être Antonio Tabucchi serait-il très mécontent de ma lecture apolitique de son Pereira prétend, c’est même fort probable...

 

17 août 2017

Carnet / Notes gigognes à propos de Camões, Pessoa, Tabucchi, Char

matriochka.jpgMes lectures de cet été un peu apaisé par rapport aux trois dernières années sont centrées sur une étude croisée, tressée devrais-je dire, des Lusiades de Luis Vaz de Camões et de Message de Fernando Pessoa. C’est un peu comme se promener dans deux cathédrales. Il faut du temps et de la curiosité. Je crois qu’il faut aussi ressentir ce que j’appellerais l’âme atlantique. Les Lusiades et Message sont à mes yeux deux grandes épopées occidentales.

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Je conseille la lecture en français du grand œuvre de Camões dans l’édition Poésie / Gallimard avec la traduction et la préface de Hyacinthe Garin et une préface de Vasco Graça Moura. La traduction en alexandrins rimés permet une lecture aisée.

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Pour me reposer entre mes régulières pérégrinations dans les deux cathédrales de Camões et de Pessoa, j’ai lu Pour Isabel d’Antonio Tabucchi. Ce grand écrivain italien qui s’est installé longtemps à Lisbonne où il est décédé en 2012 occupe une place à part dans ma bibliothèque qui contient presque tous ses livres. Il est le seul auteur que je ne connais pas personnellement à qui j’ai réservé un tel traitement. Paradoxalement, c’est son roman le plus connu, Nocturne indien, qui fit son succès et qui pourtant me tomba des mains. Presque tous ses autres livres m’ont fasciné.

Le rôle de Tabucchi dans la diffusion de l’œuvre de Pessoa en France est considérable. Je lui dois une grande part de mon approche patiente et progressive des labyrinthes du poète aux hétéronymes.

Un détail amusant : moi qui utilise n’importe quel papier qui traîne comme marque-page, j’en ai inséré sans le faire exprès un très beau dans Pour Isabel. Il s’agit d’un des marque-page reliés en carnet que j’avais acheté à Porto lors d’une visite de la célèbre et extraordinaire librairie Lello où furent tournées des scènes de Harry Potter. Au verso, figure un portrait dessiné et stylisé de Fernando Pessoa !

Dans son roman à la publication posthume Pour Isabel sous-titré Un mandala, Antonio Tabucchi fait dire à un des personnages évoquant des années de lycée à l’époque où le Portugal avait encore des colonies : on y divisait en morceaux stupides le poème national Les Lusiades, qui est un beau poème de mer, mais qui était étudié comme s’il s’agissait d’une bataille africaine.

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Plus je lis et relis les Lusiades de Luís Vaz de Camões publiées en 1572 et Message de Fernando Pessoa sorti en 1934, plus je mesure la puissance du lien entre ces deux épopées. Ces deux œuvres débordent largement du cadre national portugais. Pour le lecteur moyen du 21ème siècle que je suis, elles irriguent ma réflexion sur la renaissance de l’idéal occidental que j’appelle de mes vœux. À plus de trois siècles et demi de distance, les Lusiades et Message sont des balises, des repères dans ce cheminement vers le nécessaire renouveau de l’Occident.

 

Avant d’entrer ébloui et stupéfait dans l’univers de Pessoa, je ne trouvais pas grand-monde à placer à la hauteur de René Char, tout au moins dans les aspects solaires de son œuvre.

Il tient certes toujours une place privilégiée dans mon Panthéon mais comparé à Pessoa, je lui trouve désormais parfois à ma grande honte des allures de poète local.

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Je n’en crois pas pour autant faire insulte à la mémoire du poète de la Sorgue, d'autant que j'ai eu plaisir à écrire sur lui, car les poètes, justement, ne sont pas destinés à être comparés. Ils sont des mondes entre lesquels nous, communs des mortels, choisissons d’établir ou non des passerelles.