18 juillet 2021
Mon feuilleton de l'été / 2ème épisode. Au Bazar à cent francs
Oyonnax, fin des années soixante.
Ce jour d’été commençait pourtant bien mais voilà que les bretelles de monsieur Carlizi sont à l’origine d’un petit drame.
Ma mère accepte de m’accompagner au Bazar à cent francs, le seul étal du marché qui m’intéresse parce qu’on y vend toutes sortes d’accessoires en plastique, de l’utilitaire bien sûr (cuvettes, arrosoirs, couverts de camping, pinces à linge, gobelets, fleurs artificielles) mais surtout des jouets de toutes les couleurs, en particulier des petites voitures, des épées de Zorro, des rapières, des boucliers ainsi que des mitraillettes, des pistolets et revolvers dont certains fonctionnent avec des amorces, ces rubans de papier sur lesquels sont alignés des amas de poudre qui explosent lorsqu’ils sont frappés par le percuteur de l’arme. Ce sont bien sûr ces articles que je convoite d’autant plus que leur prix, comme la majorité de ce que propose le bazar, se limite à une pièce de cent francs, d’où le nom du Bazar qu’on appelle aussi le Bazar à cent balles.
À chaque visite à ce merveilleux commerce, je dois négocier sans faiblesse avec ma mère qui essaye de me dissuader de choisir des armes parce que cela contrarie mon père. Je revins une fois à la maison avec un pistolet mitrailleur tout noir, assez bien imité. Lorsqu’il le vit, mon père se fâcha sérieusement. Je ne compris que bien plus tard la raison de cette colère disproportionnée. Il admettait plus volontiers les épées, sabres et rapières que je ne me privais pas de collectionner.
Nous sommes donc prêts au départ, ma mère et moi, en direction du bazar, mais voici le grain de sable. Ma mère juge ma tenue négligée et me demande d’en changer au profit d’un short que je déteste parce qu’il tient avec des bretelles qui viennent encore enlaidir une méchante petite chemise affreusement inconfortable. Il ne manque plus que ma mère croise les bretelles dans mon dos pour que je me retrouve transformé en monsieur Carlizi miniature, donc, pas question de porter ces horreurs pour aller faire mes emplettes ! (En feuilletant des albums de photos de cette époque, j’en ai retrouvé une qui me conforte aujourd’hui, cinquante après, dans mon refus. Sur ce tirage, dans cette tenue abhorrée et avec ma brosse courte, je ne ressemble certes pas à monsieur Carlizi qui n’avait plus de cheveux (et plus de fesses, ainsi que je l’ai précisé dans le premier épisode de ce feuilleton) mais à Francis Blanche dans les Tontons flingueurs).
Refermons cette parenthèse du vingt-et-unième siècle et revenons à la fin des années soixante du vingtième.
La situation est bloquée et ma mère s’en plaint à mon père qui a du mal à s’habituer à m’entendre si souvent dire non depuis que je sais parler. Cet enfant est négatif, dit-il, répétant ainsi la remarque d’un médecin qui avait jugé bon de me demander, sans doute pour m’amadouer, si j’aimais l’école, si je voulais partir en colonie de vacances et si cela m’intéresserait d’apprendre à faire du ski, autant de questions indiscrètes auxquelles j’avais répondu par le mot magique, ce non que je considère comme le plus beau mot de la langue française (en plus, il fonctionne dans les deux sens). Je le pense toujours aujourd’hui, même si j’ai fini par nuancer légèrement, sans doute un effet de l’âge.
Alors, me direz-vous, cette sortie au Bazar à cent francs ? Eh bien ce jour-là, chacun a campé sur ses positions mais la semaine suivante, le jour du marché, ma mère avait tout oublié, y compris le short et les bretelles. De toute façon, elle aurait eu du mal à m’en vêtir pour la simple raison que je les avais cachés au fond d’une penderie dont elle ne se servait jamais.
Finalement, cela valait le coup d’attendre, même une semaine, car le Bazar à cent balles était une véritable institution oyonnaxienne qui dura des décennies, autant dire l’éternité pour un gamin d’à peine dix ans !
À suivre...
© Éditions Orage-Lagune-Express, 2021.
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07 mai 2020
Carnet / Avancer masqué
Protecteur ou dissimulateur, le masque est la figure de la peur ou tout au moins de l’inquiétude, qu’il soit objet ou expression voire absence d’expression (on parle du masque du dépressif au visage figé dans sa souffrance).
Depuis le début de la crise sanitaire consécutive à la pandémie, masque est l’un des mots les plus employés chaque jour y compris dans l’humour amer et justifié de ceux qui ne savent plus si l’on manque de masques ou si l’on masque les manques ainsi qu’on peut le lire sur les réseaux sociaux.
Alors qu’il devrait nous rassurer parce qu’il est en capacité d’opposer une résistance à une menace, le masque contribue dans le même temps à nous plonger dans l’effroi parce qu’il souligne la gravité de cette menace d’autant plus grande qu’elle ne peut en premier lieu être combattue que par un geste d’urgence appelé aujourd’hui geste barrière. Bien que cela soit nécessaire, ériger des barrières signifie tout de même être assiégé ou pire acculé c’est-à-dire réduit à une certaine passivité bien évidemment angoissante qu’on tentera de masquer, ce qui fait d’autant plus du masque l’instrument du secret.
Qu’il soit gardé ou révélé, le secret inquiète comme tout ce qui aspire à l’opacité, à la dissimulation. Tout ce qui est masqué peut-être perçu comme hostile car tendant à la prise de distance, au retrait, à la volonté d’exclure ou de s’exclure comme on le constate, entre parenthèses, avec l’actuelle problématique religieuse des femmes voilées dans l’espace public occidental. Pour ceux qui en préconisent ou en imposent l’usage, ce voile est bien le masque contre ce qu’ils considèrent comme impur, mauvais, en un mot comme une maladie dont il faut se protéger avec l’obsession d’avancer masqué. Fin de la parenthèse.
Point n’est besoin de porter un masque en tissu pour avancer masqué dans de nombreux aspects de la vie sociale, professionnelle et parfois même sentimentale. Lorsque nous nous masquons pour nous grimer (à notre avantage croyons-nous), il s’agit encore de garder un secret qui est parfois un secret de Polichinelle, l’un des masques de la commedia dell'arte. Ce masque immatériel peut alors vite devenir un masque de carnaval. D’ailleurs, la vie sociale relève hélas assez souvent d’un bal masqué où il arrive parfois que quand les masques tombent, il n’y a personne derrière.
Pour conclure ce petit essai qui, comme tout texte de ce genre, n’a pas vocation à épuiser le sujet, je ne résiste pas au plaisir d’évoquer la figure du héros masqué, en particulier celle de mon préféré, Zorro.
Lui aussi a beaucoup à dissimuler à des adversaires et à des ennemis certes peu perspicaces et encore moins physionomistes car le masque de Zorro ne recouvre que ses yeux. Pourtant, même les belles femmes qui tombent amoureuses de lui se montrent incapables de reconnaître son double qu’elles fréquentent cependant d’assez près, l’aimable mais peu héroïque Don Diego de la Vega.
Tout le tragique de la vie sentimentale de Zorro tient au fait qu’il ne peut tomber le masque sous peine de prendre de terribles risques, non seulement pour sa sécurité mais encore pour sa capacité de séduction. Entre le regard et le masque, qu’est-ce qui séduit le plus ? Encore une affaire de secret !
En portant son masque, Zorro préserve sa vie secrète de héros mais il se protège aussi du regard de l’élue de son cœur, un regard dont la flamme pourrait bien faiblir ou pire encore s’éteindre s’il finissait par sombrer dans les yeux d’un homme démasqué, autant dire d’un homme ordinaire.
À part un baiser furtif, rien n’est possible entre Zorro et sa belle et quand bien même on les verrait enfin réunis dans un quotidien conjugal, imaginez la scène : Zorro rentre chez lui après son boulot de héros. Sa bien-aimée lui demande :
« Alors, chéri, ta journée s’est bien passée ? »
Réponse de Zorro : « Pas terrible, aujourd’hui je n’ai secouru qu’une veuve et un orphelin... »
Madame : « Ah bon... »
Zorro : « Ben oui. Alors pour me distraire, j’ai sorti mon épée devant le sergent Garcia et je lui ai tracé un Z sur la bedaine. »
Madame : « Ah bravo, c’est malin. »
03:22 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, essai, masque, héros masqué, zorro, sergent garcia, série télé, christian cottet-emard, secret, hygiène, prophylaxie, pandémie, virus, maladie, peur, inquiétude, protection, coronavirus, covid-19, geste barrière, avancer masqué, héros, voile, polichinelle, bal masqué, commedia dell'arte, blog littéraire de christian cottet-emard, réseaux sociaux, facebook, carnaval, don diego de la vega
18 avril 2020
Carnet / Zorro
Les rediffusions télévisées de Zorro ne me laissent jamais indifférent.
Mon regard sur les épisodes de cette série n’est évidemment plus celui de l’enfant que j’étais dans les années soixante du siècle dernier. Aujourd’hui, je suis plutôt amusé de comprendre pourquoi je me retrouvais scotché devant le petit écran dès que le cavalier surgissait hors de la nuit.
Zorro était vraiment le héros de mon enfance. Son personnage dont je portais la panoplie était de tous mes jeux lorsque je ne lisais pas. Sa silhouette noire se faufilait aussi bien dans mes activités de plein air que dans ma consommation de littérature de cape et d’épée. J’étais déjà allergique au sport, aux jeux de société et aux jeux de construction, au grand désespoir de mon père qui voyait là de mauvais présages concernant mon avenir. Il n’avait pas entièrement tort. Peut-être aurait-il au moins pu se réjouir de voir son fils admirer un héros positif, un justicier, un défenseur de la veuve et de l'orphelin. Même pas.
Je n’étais pas fasciné par Zorro parce qu’il défendait le bien mais parce qu’il se déplaçait armé dans des passages secrets entre son hacienda qu’il habitait sous son vrai nom, Don Diego de la Vega, et son repaire, de quoi faire le miel d’un gamin ombrageux qui aimait s’éclipser. Pour ce genre d’enfant, rien de mieux que de ressembler à une ombre grâce à une grande cape, un chapeau large, un masque et un cheval noirs (appelé Tornado) galopant dans un crépuscule permanent !
Tous les épisodes de Zorro se caractérisent par des ambiances nocturnes et crépusculaires, même dans les scènes d’extérieur jour baignées de très forts contrastes. Cette lumière entre chien et loup est aussi prégnante dans les épisodes en noir et blanc que dans ceux qui ont été colorisés.
Comme mon terrain de jeux du boulevard Dupuy à Oyonnax était vaste et sécurisé, j’avais l’autorisation de jouer assez tard dehors, dans le calme à peine troublé par le bruit sourd des machines rythmant les longues journées de travail des adultes confinés dans les ateliers de lunetterie, de maroquinerie en vinyle et d’injection de matières plastiques jouxtant leurs grandes maisons arborées. Une ambiance idéale pour revivre en solitaire, à l’approche du couchant, déguisé de la tête aux pieds, les aventures et les passes d’armes de celui qui signe son nom à la pointe de l’épée, d’un Z qui veut dire Zorro !
La plupart des épisodes de Zorro sont riches de scènes d’action, de poursuites, de cavalcades et d’escarmouches où l’on croise le fer mais il en existe tout de même quelques-uns plus légers, moins bagarreurs, parfois un peu humoristiques.
Ceux-là me décevaient beaucoup, surtout lorsque le scénario intégrait une chansonnette poussée à la taverne en compagnie du sergent Demetrio López Garcia ou bien pire, une ébauche de romance entre Zorro et la belle Anna Maria Verdugo, amoureuse du héros dont elle ignore la véritable identité, celle de Don Diego de la Vega quant à lui réduit à taire son sentiment réciproque pour continuer ses activités héroïques.
Tel est le drame de la double vie du doux et dilettante Don Diego de la Vega alias Zorro, vaillant redresseur de torts. L’un et l’autre se retrouvent bêtement à deux rivaux dans un même corps, ce qui a pour pénible effet de les priver de celui de la femme qu’ils convoitent ! Mais à l’âge où je vibrais aux aventures de Zorro, ce dilemme amoureux me laissait évidemment de marbre.
Je me souviens d’un épisode visionné chez ma grand-mère dans lequel Zorro et la belle qu’il vient de sauver échangent un baiser furtif. À cette époque, les petits garçons réagissaient à peu près tous de la même manière navrée à ce genre de scène : « Ça y est, ça s’embrasse ! »
Alors, quand Zorro avait des faiblesses, j’allais voir chez les Trois mousquetaires, Ivanhoé et Robin des bois. Les héros ne sont-ils pas interchangeables ? Et puis, il y a ce vieux proverbe qui les a très vite corrodés dans mon esprit: plus l’oiseau est brave, plus le chat est gras...
03:20 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, souvenir, autobiographie, télévision, années soixante, vingtième siècle, zorro, sergent garcia, don diego de la vega, walt disney, blog littéraire de christian cottet-emard, anna maria verdugo, série, christian cottet-emard, panoplie de zorro, boulevard dupuy, oyonnax, france, europe, haut bugey, rhône-alpes auvergne, fiction, littérature de cape et d'épée, ivanhoé, robin des bois, les trois mousquetaires, aventures, action, épée, escrime, cape, masque, chapeau, cheval, tornado, récit autobiographique d'enfance