21 janvier 2020
Carnet / Autour de la maison et dans la forêt
Pas de lune ce soir. J’ai surpris le renard à moins de dix mètres devant chez moi pendant que je prenais l’air après une bonne rasade de Woodford Reserve. Il se déplaçait rapidement, comme souvent lorsqu’il s’aventure près des maisons. Évidemment, il a fait demi-tour dès qu’il m’a vu. Comme je le comprends ! La rencontre avec un animal sauvage inoffensif m’inspire toujours joie et bien-être. C’est ce que j’avais tenté d’exprimer dans un poème ou plutôt un récit intégré dans mon recueil Poèmes du bois de chauffage. Il s’agissait dans ce texte d’une chevrette avec son faon, assez loin dans les bois au-dessus du chemin de la guerre avant de rejoindre la route du lac Genin :
Comment tu t’es transformé en érable champêtre
Tu arrivais contre le vent le chevreuil ne t’a pas senti (une chevrette avec son faon)
Lorsqu’elle t’a vu il était trop tard le faon se risquait trop loin pour qu’elle puisse le récupérer tout de suite et bondir avec lui dans le monde des chevreuils
Tu ne bouges plus elle te fixe dresse les oreilles tu ne bouges plus elle ne bouge plus
Son réflexe de détaler mélangé avec l’idée de récupérer le faon l’immobilise
Elle te fixe et guette le moindre de tes mouvements un battement de paupières une respiration et son faon pas très loin mais trop loin d’elle
Elle te jauge elle s’inquiète mais ne fuit pas elle te fixe toujours tu n’as pas bougé d’un cil
Elle cherche à t’impressionner par toute une série de bruits comiques elle souffle chuinte jappe elle veut t’intimider tu ne bouges toujours pas
Tu sais très bien faire ça ne pas bouger pendant longtemps
Et au-delà d’un certain temps elle va t’oublier
Car pour elle une créature qui ne bouge pas pendant longtemps disparaît tout simplement de la circulation
La chevrette t’a oublié parce que tu ne bouges plus et comme tu es arrivé contre le vent elle ne te sent pas tu n’es plus pour elle
Tu n’es plus pour elle qu’un détail de la forêt peut-être cet érable champêtre sous lequel tu ne bouges plus et que pour cette chevrette tu es devenu
L’érable champêtre n’est pas un arbre qui se donne en spectacle il a peu d’ambition comme toi si ce n’est celle de vivre et d’éviter les ennuis
Te transformer en érable champêtre tu aurais bien aimé y arriver plus tôt dans les premières périodes pénibles ou stupides de ta vie
Devant la haute porte fermée de l’école primaire Sainte-Jeanne d’Arc qui faillit si souvent devenir la grande porte de la fugue : disparu le gamin en retard à sa place un érable champêtre
Au-dessus du gouffre du cahier de calcul où les baignoires débordent où les trains n’arrivent jamais à l’heure où s’additionnent les retenues : plus personne juste un érable champêtre
Au tableau poésie à réciter par cœur (qu’est-ce que le cœur et la poésie ont à voir là-dedans ?) : hop un érable champêtre
Dommage qu’il ait fallu attendre quarante-six ans mais ça valait le coup quand même ô vaillante et ingénieuse petite chevrette !
(Extrait de Poèmes du bois de chauffage, © éditions germes de barbarie, 2018)
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19 janvier 2020
Carnet / En lisant Un sacré gueuleton de Jim Harrison (éditions J’ai lu)
Pour me distraire de la nostalgie de Noël et du premier de l’an toujours passés trop vite à mes yeux, je me concentre sur le bien-être que me procure l’absence de neige et sur le bonheur de lire Jim Harrison.
Il s’agit cette fois d’un fort recueil d’articles dans lesquels Big Jim tresse en couronnes écriture et gastronomie, le genre de livre qui me donne faim, encore plus faim que d’habitude serais-je tenté d'ajouter. N’est-ce d’ailleurs pas ceci la bonne littérature, ce qui ouvre l’appétit, tous les appétits ? En somme, de quoi vous éviter le robinet d’eau tiède de la littérature française actuelle qui vous envoie dans le nez des relents de pisse-mémé chaque fois que vous ouvrez une de ses nouveautés calibrées par des bien-pensants distillateurs de jus de chaussette. Au secours, Big Jim !
Et je lis justement page 95 : Je peux dire que mon cœur et ma langue sont purs, ou relativement purs, du moins pour un membre de la tribu des écrivains, cette race singulière composée de junkies, d’alcoolos, de goujats, de pleurnicheurs, de gynécologues amateurs et d’anges de la désolation.
Je n’en écrirai pas plus pour le moment sur ce Sacré gueuleton car je vais le savourer doucement. Cette roborative lecture me remet en mémoire un épisode vécu lors d’un de mes premiers voyages à Venise, dans la décennie de mes vingt ans lorsque je réussissais le prodige de concilier sans problème minceur et gloutonnerie.
À la table d'un restaurant renommé où l'on pouvait goûter aux spécialités de la gastronomie vénitienne, j'attendais mes filets de Saint-Pierre Casanova dans leur sauce au vin blanc avec petits fruits de mer. Survint alors un jeune couple aux manières des plus affectées. Les malheureux qui les servirent durent endurer sans broncher mille hésitations. Quant au sommelier, il avait dû embrasser, dans une vie antérieure, une carrière dans le corps diplomatique tant il avait supporté, impassible, les mines de connaisseur du jeune homme et les soupirs blasés de sa compagne. Pour finir, après une très théâtrale étude de la carte, ils avalèrent à toute vitesse ce qu'on leur avait spécialement préparé pour les satisfaire parce que ce n’était pas au menu d’un établissement de cette classe : deux steaks-frites bien saignants - ô barbares ! -
02:49 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, blog littéraire de christian cottet-emard, littérature, jim harrison, un sacré gueuleton, éditions j'ai lu, venise, italie, filets de saint-pierre à la casanova, gastronomie, big jim, minceur et gloutonnerie, christian cottet-emard, voyage