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07 avril 2020

Carnet / Qui a peur de l’autobiographie ? (1)

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En dehors des futiles fluctuations de la mode, je ne comprends pas les raisons du mépris dans lequel la littérature autobiographique est tenue.

Le reproche le plus récurrent est le supposé narcissisme émanant des journaux plus ou moins intimes, des récits de vie, des mémoires et autres carnets de jour ou de nuit. On ne trouverait dans ce corpus qu’immaturité, complaisance, égocentrisme et autres maladies honteuses affectant l’auteur qui trouve tout aussi intéressant de raconter sa vie que celle de personnages de fiction.

On sait pourtant que la réalité et la fiction, dans la vie comme en littérature, s’entremêlent en permanence. Le roman est à l’œuvre dans l’autobiographie (au moins dans la construction du récit autobiographique qui lui-même peut se nourrir de fictions inconscientes ou au contraire pleinement assumées).

Pour tenter de ne pas prêter le flanc à l’accusation fielleuse de narcissisme ou au moins d’égocentrisme, l’auteur peut introduire des quantités variables d’autobiographie dans le roman ou la nouvelle, ce qui produit ce qu’on appelle communément de l’autofiction, un sous-genre littéraire que certains critiques et commentateurs dénigrent sous prétexte qu’en voulant être du roman et de l’autobiographie, il n’est finalement ni l’un ni l’autre. Un produit impur, en quelque sorte.

Notre époque qui connaît en tous domaines de nouveaux accès de pruderie aussi pervers qu’inattendus n’aime rien tant que ce qui est pur, or ni la fiction ni la réalité ne le sont. L’impur est le principal matériau de l’écrivain. Le roman est impur, l’autobiographie aussi.

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Si je me réfère à ma propre pratique de l’écriture autobiographique, je crois pouvoir affirmer que les auteurs adeptes de ce genre ne sont pas plus autocentrés que les autres, notamment ceux qui nous enjoignent à nous dépouiller de notre ego alors qu’ils en sont à la publication du neuvième tome de leur journal.

La dynamique de l’auteur doté d’un ego raisonnablement maîtrisé qui puise dans sa vie et dans son expérience le matériau de son œuvre est l’étonnement de vivre, un sentiment qui n’est étrangement pas partagé par le commun des mortels.

Pour la plupart des humains, vivre est normal mais pas pour les artistes et les écrivains. Ceux-là sont plus conscients que les autres qu’être au monde relève d’une combinaison infiniment complexe de hasards et de probabilités extrêmement restreintes. Se regarder un moment dans le miroir équivaut à voir ce qui n’avait qu’une chance (ou un risque) infime d’exister. Il s’agit donc d’un sujet digne d’intérêt qui mérite par conséquent la narration littéraire.

Évidemment, cette conclusion n’est pertinente qu’à condition de croire en l’individu unique et irremplaçable. Serait-ce cette idée-force de la culture occidentale qui ferait peur aux contempteurs de l’autobiographie ou tout au moins qui les dérangerait ? 

 

P. S. En suite de ce billet, j’évoquerai prochainement sur ce blog les préjugés politiques et psychologiques à l'origine de la défiance vis-à-vis de l'autobiographie et le thème du récit autobiographique d’enfance et de jeunesse.

 

06 mars 2017

Dans la presse / Le scandale Mehdi Meklat ou les dérives de la gauche culturelle

À lire sur Le Point, sous la signature de Brice Couturier, ici.

 

03 mars 2017

Scandale Mehdi Meklat : la piteuse mise au point de Télérama

nouvelles du front,polémique,tweets injurieux,télérama,scandale,complaisance,aveuglement,déni,rebelles subventionnés,abus,presse,télé,la grande librairie,le monde,les inrockuptibles,fondation cartier,mehdi meklatSi je reviens sur le scandale Meklat, ce n’est pas par intérêt pour la personnalité négligeable de cet individu, de cette créature (non, le terme est encore trop noble) disons plutôt de ce produit fabriqué par la gauche culturelle. C’est parce que cette lamentable affaire permet de lever un coin du voile qui permet à cette gauche de persister et de signer dans son aveuglement face au péril.

C’est par exemple sous la signature d’une rédactrice de Télérama que le lectorat de ce programme télé a dû cette semaine se contenter d’un articulet digne d’un  numéro d’équilibriste en guise de mise au point.

L’affaire est si embarrassante pour ce temple de la pensée édifiante et de la morale politiquement correcte qu’est devenu Télérama (Meklat était en couverture en octobre 2015 !) que la notule a été judicieusement mise en page, de manière à ce qu’elle puisse être lue par ceux qui avaient le mauvais goût d’attendre des explications et zappée par ceux qui veulent à tout prix « passer à autre chose » selon l’expression à la mode dès qu’une vérité les dérange.

Le texte de cet article discrètement maquetté page 15 pour ne pas être vu est quant à lui d’une tartufferie qui prêterait à rire s’il y avait encore de quoi.

On y découvre Meklat en « jeune homme talentueux, journaliste, réalisateur et coauteur » (rien que ça à vingt et quelques années à peine) tourmenté par son horrifique doublure, l’abominable Marcelin Deschamps. Voilà pour le côté docteur Jekyll et Mister Hyde.

Entrent alors en scène « ceux qui depuis longtemps ont fait une cible de cet ancien Kid de France Inter et qui se frottent les mains » . Je frémis d’horreur à l’idée de ces mains crochues qui se frottent dans l’ombre ! La talentueuse rédactrice nous suggérerait-elle que ces mains sont sans doute prolongées par des gros bras de mâles blancs de plus de 45 ans (*) qui ont caché des brassards à croix gammée dans les tiroirs de leurs buffets de salle à manger ?

L’homme que je suis, celui qui a  largement dépassé cet âge, qui ne collectionne pas ce genre d’objet et qui ne se frotte pas les mains d’une aussi désolante affaire apprend alors dans cette prose navrée qu’il y a « les autres » (dont je ne fais pas partie non plus) , ceux qu’elle appelle « les sidérés » à qui « Mehdi Meklat devra à l’avenir confirmer qu’il est bien l’auteur sensible au monde et à ses prochains qui transparaît dans son œuvre. » (!) Eh oui, son œuvre, rien que ça !

Est-ce à dire qu’à son retour d’exil, quand il se sera refait une virginité médiatique à la faveur de notre fabuleuse capacité à « passer à autre chose » , Meklat retrouvera un éditeur pour lui payer de nouveau des résidences à Los Angelès ou à Istanbul afin de nous pondre d’autres de ces belles histoires qu’aiment tant la presse bobo et post-soixante-huitarde ? C’est ce que sous-entend la rédactrice.

nouvelles du front,polémique,tweets injurieux,télérama,scandale,complaisance,aveuglement,déni,rebelles subventionnés,abus,presse,télé,la grande librairie,le monde,les inrockuptibles,fondation cartier,mehdi meklatAvec une nouvelle couverture de Télérama ? Comme le souligne Alain Finkielkraut, les leçons de cette épisode risquent bien de n’être pas tirées.     

Il faut dire que les grands moyens ont été employés pour qu’on puisse parler d’« œuvre » à propos des écrits de commande d’un ado attardé à l’époque où ses éditeurs l’ont envoyé plancher avec son copain aux USA et en Turquie. La Fondation Cartier a mis aussi le paquet. C’est là qu’il faut regarder si l’on veut analyser et expliquer le scandale Mehdi Meklat.

Les gens comme moi, nous sommes shootés à l’air pur de nos provinces, nous manquons de nez pour flairer les miasmes. Nous respirons trop haut. Dans ce genre d’affaire, notre erreur est de nous positionner sur le terrain des idées alors que tout se joue beaucoup plus bêtement, sur le terrain du commerce, même pas celui de la gauche culturelle saumon fumé mais bien celui de la gauche culturelle caviar, celle qui vend de la culture industrielle « bancable » .

C’est dans ce fatras paraculturel de luxe clinquant pour drugstores branchouilles qu’on trouve ainsi du produit rap, du produit banlieues, du produit rebelle et bien sûr du produit Meklat, du livre d’élevage, du livre calibré et toutes sortes d’« œuvres » préfabriquées puis déversées à grands coups de subventions publiques et de médias en attente de retour sur investissement.

Et hélas, si peu de monde pour se demander un seul instant comment on peut parler d’« œuvre » pour qualifier la morve et la schizophrénie d’une de ces multiples petites frappes que les héritiers des nouveaux riches et des parvenus de la culture envoient sur les plateaux de télévision, dans les studios radiophoniques et en résidence dans les centres culturels, les médiathèques et les collèges de province pour faire prendre à leurs publics conquis d’avance les vessies de la démagogie, du pur business et du prêt à penser pour les lanternes de la culture avec l’onction financière des Drac et autres usines à gaz d’un système devenu fou.

Mais le plus pathétique, à mon sens, est le silence gêné et assourdissant sur ce genre d’affaire d’un grand nombre d’auteurs que je connais et qui courent après 100 petits euros pour une lecture ou un atelier d’écriture. De quoi ont-ils peur ? D’être grillés dans Télérama, Le Monde, les Inrockuptibles, La Grande librairie, France Inter, France Culture ? Et alors ? De toute façon, ces médias les ignoreront toujours, ce qui n’est plus vraiment grave puisque ces organes de presse sont de moins en moins prescripteurs en ce qui concerne les ventes de livres.

Oui, comme tout cela est piteux, si peu « jubilatoire » pour citer l’adjectif préféré de Télérama. Certains me demandent pourquoi je reste abonné. Eh bien, désormais, pour savoir comment pense l’ennemi.

(*) Je fais ici allusion à une ancienne couverture de Télérama où une jeune cinéaste dont j’ai oublié le nom déclarait « j’en ai assez du cinéma fait par des hommes blancs de plus de 45 ans. »
La démangeaison du désabonnement m’était aussi venue à la lecture d’un entretien avec Abd al Malik (encore un rappeur slameur) dont les propos à l’encontre de Charlie Hebdo et de la liberté d’expression m’avaient révolté.
Il y eut aussi dans la période de Noël 2016 la diffusion d’une publicité de l’association Aides que certains jugèrent obscène mais qui me choqua quant à moi pour une autre raison : elle véhiculait à mon avis un message idéologique ethnique extrêmement biaisé, ambigu et malsain.