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08 février 2008

Syndrome du dimanche soir

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On aurait dit des perce-neige les derniers réverbères avant la forêt

La route avait disparu à travers les flocons tu cherchais l’un des vieux épicéas désigné par un camarade de lycée comme celui de sa pendaison ce dimanche de l’année 1975 à 19h

On a presque tous de bonnes raisons de se pendre et d’aussi bonnes raisons de ne pas le faire mais la perspective du lundi fait du dimanche un jour à risque

Tu sais qu’il existe une difficulté technique à se pendre dans un épicéa de quarante mètres de haut à moins d’apporter une grande échelle pour atteindre les premières branches solides (est-ce bien raisonnable ?)

Se compliquer la vie est-ce bien raisonnable le soir même où l’on veut se la simplifier pour toujours en se coltinant une échelle sans compter la route escamotée dans la tourmente de neige ?

Il t’aurait montré un foyard ou même une de ces variétés de pins qui se sont contentés du sol qu’ils ont trouvé sur l’autre versant (arole, ou de montagne à la rigueur) peut-être

À 18h45 on ne sait jamais tu es venu rôder dans le secteur des vieux épicéas secoués par les bourrasques pour en conclure vers 20h :

1) que la route attendrait au moins la nouvelle lune pour réapparaître

2) que le camarade avait sans doute trouvé mieux à faire que de se pendre un dimanche soir de tempête dans un épicéa de deux cents ans en pleine hibernation

3) que la forêt de résineux ne se prête pas à la pendaison

4) que décidément ces réverbères on aurait dit des perce-neige


© Éditions Orage-Lagune-Express, 2008.
Photo © Marie-Christine Caredda

09 mars 2007

Un petit avion rouge

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En sortant de la grande forêt souple et odorante tu guettes le petit avion rouge

Il fait vrombir son hélice au-dessus des jardins communaux vous chercherez le mot « girouette » dans le dictionnaire et si vous en voyez une durant la promenade vous la montrerez à vos camarades dit le maître d’école

Pendant que tu te mets en rang avec les autres dès l’arrivée au panneau Oyonnax le petit avion rouge traverse une zone de turbulences son hélice mouline vaillamment l’air fantasque du premier printemps qu’on appelle le printemps des jardiniers

Très bien voici effectivement une girouette dit le maître d’école et d’où vient le vent ?

Ce maître d’école aime savoir d’où vient le vent et les promenades en forêt il a raconté en classe comment s’est terminée sa captivité il a erré sur une plage avec d’autres prisonniers et l’un de ses camarades a marché sur une mine

Le maître d’école est un homme qui a de sérieuses raisons d’aimer les promenades en forêt et de savoir d’où vient le vent

Car le vent fait tourner à plein régime l’hélice du petit avion rouge et cela peut suffire à ramener de la joie dans la tête décoiffée du maître et dans la tienne par la même occasion

Tu t’en doutais déjà en 1969 de l’importance d’un petit avion rouge lancé dans les joyeuses bourrasques parfumées au buis

Et l’idée séduisante de voler l’avion germa dans ton ennui d’écolier comme un haricot dans du coton

Mais tu n’étais pas un enfant pragmatique et entreprenant et le petit avion rouge volera encore longtemps au ras des sapins, des épicéas, des pins sylvestres et au-dessus du panneau Oyonnax

Aujourd’hui 9 mars 2007 tu sors de la grande forêt souple et odorante

Le petit avion traverse comme il peut les âges et les nuages qui lui ont piqué sa couleur rouge

Mais il vole toujours sur les cabanes et les fournaches des jardiniers

Et la Rose des Vents pourra toujours l’égratigner s’obstiner à l’entraîner de l’autre côté de la vallée où la colline a vendu son âme là où le diable en profite pour tirer la langue noire de l’autoroute

Rien n’y fera c’est ainsi ce sera toujours le même et le seul petit avion rouge de toute la Création à ne voler qu’en lisière de la grande forêt souple et odorante


Copyright : Orage-Lagune-Express, 2007.

14 février 2007

Spécialités au feu de bois

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Tu venais manger dans cette auberge perdue dans la forêt dès le milieu des années soixante « cet enfant a un appétit d'ogre »

Et voilà que l’an deux mille est déjà dépassé de sept ans le menu « spécialités au feu de bois » n’a presque pas changé et rien n’a changé non plus dehors

Ce lieu est une perle de ton collier de paysages sensés

Jusqu’à aujourd’hui tu n’as manqué aucun épisode du feuilleton du papier peint et des tentures murales

Une année mythologique ta grand-mère était revenue du centre-ville avec son permis de conduire et t’avait payé le petit déjeuner à l’auberge du lac (pain grillé maison et beurre des fermes voisines)

En ces autres temps la tenture murale était écossaise et un orage grondait comme un farceur caché dans les bois

Tu trouvais prodigieux ce matin si sombre que la serveuse avait dû éclairer en apportant le café et le lait quel farceur cet orage qui courait les bois et la tourbière qui faisait des ronds dans le lac et qui versait des gouttes de nuit dans le bol du jour


Ce soir comme tant d’autres soirs le patron fait cuire la viande et le saucisson au vin dans la cheminée tu trouvais cet homme immense au milieu des années soixante à cause de la danse indienne de son ombre autour de l’odorant feu de bois

Et ce même homme de taille tout à fait normale vient aujourd’hui à ta table te dire bonsoir monsieur saluer d’autres habitués puis repart surveiller la cuisson au feu de bois pendant que son ombre continue sa danse indienne du milieu des années soixante

C’est encore un beau soir pour dîner dans cette auberge un de ces soirs à voir rappliquer le lac et la forêt dans la salle pour saluer quelques habitués si heureux que le menu n’ait pas changé

Et rien ni personne hormis l’archange de l’Apocalypse à l’heure d’enrouler le décor ne peut y changer quelque chose pas même au menu « spécialités au feu de bois »


Copyright : Orage-Lagune-Express, 2007.
Photo MCC.