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10 août 2019

Le sens de l’eau

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Qu’importe aux sapins et aux épicéas ? Nourriciers, ils nous hébergent déjà et survivent mieux aux guerres parce qu’ils ne vivent pas dans le temps humain.

 

Nous pourrions les imiter un peu si nous n’avions pas perdu le sens de l’eau, si nous n’avions pas oublié l’intimité si vaste et sage avec son chant multiplié par les fontaines.

 

Forêt confiante en l’infinie courbure du temps, la vie repousse ici à chaque pulsation, à chaque battement de sève.

 

Rien ne nous allège plus qu’un arbre en la clairière, portant le ciel à bout de branches et le regard jusqu’aux lisières des nuages. En lui s’échangent les patiences et les lenteurs du monde, en marge de notre vitesse qui précipite chaque jour et l’abîme.

 

Extrait de mon recueil de proses courtes L'inventaire des fétiches, © Éditions Orage-Lagune-Express, 1988. Droits réservés.

Photo M-C C

 

13 janvier 2011

L’arbre à parole.

Après Noël, les sapins gisant dans leurs aiguilles bordent les trottoirs. Adossés le long des murs, leurs ombres frôlent la pierre où s’aventurent nos silhouettes.

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Ces sapins de la dernière fête qui jonchent encore quelques jours la chaussée sont des arbres à parole. Nous leur avons donné le pouvoir de dire notre soif de féerie et surtout nos espoirs ou nos souvenirs suspendus à leurs branches parmi les guirlandes.

Le sapin de Noël ne vivra jamais aussi longtemps que son grand frère des montagnes, tout auréolé d’orages et de nuits, de givres et de jours, de brumes et de brises.

Dès le retour des beaux jours, les voleurs de sapins, braconniers d’une nuit, retourneront écouter dans l’ombre velue des forêts la respiration des sapinières, sans le moindre remords malgré la souche contre laquelle butera leur pas.

(Extrait de L’Inventaire des fétiches, éditions Orage-lagune-Express, 1988.)

09 février 2007

Ressources humaines

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Tu as une amie qui déplace les meubles toute seule une autre qui s’achète des vêtements certains font des provisions de boîtes de thon au naturel ou de sardines en huile

Pour tenir l’angoisse à distance tu essayes une autre idée tu vas à l’hypermarché

L’étalage de la marchandise rassure les promeneurs du samedi dans les hypermarchés pourquoi pas toi ?

Dans les rayons s’affairent le petit personnel en uniforme et les commerciaux en méchants petits costumes fibres 100% bouteille plastique recyclé

Ils ont chacun leur curriculum vitae qui conte leur passion pour le matériel de bricolage ou pour la charcuterie ou pour la lessive liquide ils veulent y consacrer leur jeunesse car ils aiment les défis c’est ce qui est marqué sur leur curriculum vitae

Et c’est ce que certains d’entre eux finissent par croire à force de l’avoir recopié copié-collé-photocopié ceux-là ils y croient ils en veulent dynamiques et motivés pour le matériel de bricolage la charcuterie ou la lessive liquide ils sont repérés par la hiérarchie pour encadrer celles et ceux qui n’y croient pas qui n’en veulent pas mais qui sont obligés de faire comme si

Et voilà qu’à leur vue ton angoisse enfle comme une vague scélérate

Car rien ne vaut un hypermarché aux heures d’affluence pour ruminer sur la fin du monde

Et se dire que tout y passera un jour dans ce chariot tous les poissons des océans et tous les océans avec

Tous les arbres de toutes les forêts et toutes les forêts avec

Toute la planète y passera dans ce chariot

Et tu te dis un quart d’heure après le regard appuyé du vigile posté à la sortie sans achats que tu aurais mieux fait de ne pas changer ton habitude d’aller vérifier

Que l’immense forêt est toujours là que la rivière prend son temps comme si de rien n’était que ceux qui disent que le monde est petit et qu’il est un village mentent

Que cette clairière où tu te relèves maintenant car on y accède qu’en rampant d’une sapinière à l’autre est la seule idée qui vaille pour distancer l’angoisse qui s’est essoufflée à te suivre jusqu’ici où tu la tueras

Car même s’ils trouvent moyen d’y remettre des ours ou des loups cette forêt ne sera jamais aussi inquiétante qu’un hypermarché aux heures d’affluence

Elle sera même le cimetière paisible de ton angoisse cette forêt avec sa clairière secrète et sa rivière comme si de rien n’était


(Copyright : Orage-Lagune-Express, 2007)
Photo : forêt jurassienne