Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27 juin 2018

Carnet / Des fachos et des fascistes

carnet,note,journal,billet,politique,société,blog littéraire de christian cottet-emard,idées,gauche caviar,gauche saumon fumé,gauche télérama,conformisme,politiquement correct,moraline,prêt à penserLa gauche caviar appelée aussi gauche saumon fumé ou gauche Télérama qui se trompe depuis plus de cinquante ans sur presque tout (avec le soutien involontaire de la droite la plus bornée du monde) est aujourd’hui bien crispée car elle se rend compte que le monde humain refuse obstinément de lui ressembler.

Confrontée à la récente et vertigineuse accélération des événements qui, certes, hélas, balayent ses plus généreuses théories, elle en conçoit une rage la conduisant à coudre l’infamante étiquette de facho au revers de tout habit qui n’a pas sa couleur. S’il est désormais très facile de se retrouver facho sans pour autant collectionner les brassards à croix gammée dans un vieux tiroir moisi, il en est finalement ainsi depuis plus longtemps qu’on peut le croire.

Moi qui n’ai pourtant aucune sympathie pour le fascisme, d’une part en raison de l’histoire de ma famille pour qui la mention place des déportés n’est pas qu’une plaque sur un mur d’Oyonnax, d’autre part parce que je crois que la démocratie est le pire des systèmes mais qu’il n’en existe pas de meilleur, j’ai souvent les oreilles qui sifflent, facho par ci, facho par là. Il faut dire qu’il en faut peu : une coupe de cheveux, un cigare, parfois une simple cravate, voilà pour la forme. Pour le fond, c’est à peine moins expéditif, il suffit d’assumer sans complexe d’être un mâle blanc de plus de cinquante ans de culture chrétienne, heureux de vivre en Occident et (Ô infamie) plutôt conservateur. D’ailleurs, de nos jours, on ne dit plus conservateur mais réac, même si cela ne signifie pas la même chose. Qu’importe, le sens des mots n’est pas la préoccupation première de celles et ceux qui n’en ont qu’un pour désigner à peu près tout ce qui leur déplaît, tout ce qui dépasse (je dirais même ce qui les dépasse). Ainsi que je le précisais au début, ce n’est pas d’aujourd’hui.

Déjà au collège, dans les années soixante-dix, je me rappelle d’une prof d’espagnol, une petite femme toute crispée et desséchée par l’idéologie qui nous parlait du Christ Révolutionnaire et qui organisait des débats à thèmes variés. L’un des sujets abordés avait été l’habitude, les habitudes. J’étais intervenu en précisant que rien ne me heurtait particulièrement dans le fait d’avoir des habitudes et que j’étais volontiers attaché aux miennes, ce qui m’avait valu de me faire doctement sermonner. Pour cette enseignante catho de gauche, avoir des habitudes était très vilain, très déplorable, très petit bourgeois. De plus en plus énervée, à mesure qu’elle se remontait toute seule comme une pendule à ressort, elle avait fini par exploser en déclarant avec fracas que tenir à ses habitudes, c’est dégueulasse, c’est fasciste. Il est vrai qu’à cette époque, déjà, même dans un collège privé, il y avait toujours un ou deux professeurs pour qui tout ce qui n’était pas de gauche était irrémédiablement fasciste.

L’adjectif facho s’est imposé en 1968 sous la forme familière d’une version édulcorée de fasciste présentant l’insigne avantage de pouvoir étiqueter encore plus de monde sans risquer le procès en injure ou en diffamation puisque, ma foi, le facho ne serait peut-être rien d’autre qu’un fasciste miniature qu’il suffirait d’admonester pour lui clouer le bec comme on ne s’en priverait pas à l’encontre d’un gamin un peu balourd et mal dégrossi car élevé dans la glaise d’une éducation marquée par l’ancien monde.

Ainsi habillé d’un tel costard dès ma plus tendre pré-adolescence, je ne pouvais pas manquer, sous l’effet du déterminisme social, de me distinguer un peu plus tard au lycée, dans la classe d’un prof d’histoire-géographie pour qui la propriété était le vol. Il avait lui aussi lancé, suite à un fait-divers, un débat sur l’autodéfense où je me permis d’intervenir en expliquant que tout individu se risquant à pénétrer nuitamment chez moi sans demander la permission courait un grand danger. Après qu’un ange eut traversé la salle de classe à la vitesse d’un son qu’on pouvait croire coupé, le temps que notre professeur reprenne sa couleur normale de fumeur de gauloises sans filtres, le militant prit mes camarades à témoin : « vous avez bien entendu comme moi que monsieur Cottet-Emard tombe désormais sous le coup de la préméditation s’il arrive quelque chose à quelqu’un qui vient le déranger dans son confort petit bourgeois la nuit à son domicile » .

Heureusement, cet incident déclencha l’hilarité générale dans les rangs de mes camarades et ne me rendit pas crédible pour eux, je les en remercie, dans l’uniforme (ce n’était plus un costard) que venait de me tailler l’idéologue, même si les rares qui ne m’aimaient pas pouvaient toujours insinuer qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Plusieurs décennies de vote socialiste au grand jour (j’en conviens, ce n’était pas très malin de ma part mais cela ne se reproduira pas) n’ont pas réussi à dissiper cette suspicion de fumerole trahissant une supposée vilaine braise rougeoyant au plus profond de l’obscure caverne qu’est la conscience politique de tout citoyen jamais au-dessus de tout soupçon, surtout en ces temps de déversement de moraline en pavés dûment approuvés par quelque ancienne ministre de l’éducation et ancienne Garde des Sceaux reconverties dans le monde très policé de l’édition.

Et puis j’ai cette habitude, eh oui, que mes vrais amis désignent comme la manie de se tirer une balle dans le pied. Tant d’individus s’agrègent pour être d’accord les uns avec les autres que je m’alarme dès que deux personnes sont d’accord avec moi en même temps. Que voulez-vous, le groupe m’inquiète, on ne se refait pas !

Aujourd’hui, les groupes qui m’inquiètent le plus sont ceux qui se croient à bon compte les plus généreux, les plus vertueux, les plus sélectivement indignés. On y trouve des gens qui vous traitent de facho parce que vous n’aimez pas le rap et son sempiternel et indigent registre violent, machiste, homophobe et antisémite, parce que vous êtes choqué qu’un rebelle subventionné déclare comprendre qu’on mette le feu aux médiathèques alors qu’il vient vendre sa soupe dans une médiathèque, parce que vous déplorez qu’un humoriste pas drôle soit rémunéré par une municipalité pour injurier les représentants de l’autorité de l’État lors d’une cérémonie officielle, parce que vous désapprouvez qu’on organise un jogging sur les sépultures des morts de Verdun, parce que vous estimez qu’une troupe poussant la chansonnette à l’Elysée lors de la fête de la musique avec des ritournelles encourageant à « brûler cette maison » est absurde et injurieux, parce que vous êtes ulcéré qu’on autorise les responsables de la salle le Bataclan à inviter un rappeur compromis avec les groupes et associations satellites de l’islam politique, parce que vous souhaitez que n’entrent sur le territoire national que celles et ceux qui y sont légalement autorisés, parce que vous exigez que l’État remplisse sa première fonction régalienne, la sécurité intérieure et extérieure, parce que vous êtes souverainiste, pour toutes ces raisons et bien d’autres, ce seul mot forgé à la va-vite à l’image des convictions de celles et ceux qui l’emploient à tout propos, facho, vous définira.

Qu’on veuille bien me pardonner cette énumération fastidieuse dont le but était de montrer que depuis 1968 et particulièrement aujourd’hui, on est toujours le facho de quelqu’un.

Cela ne serait pas bien grave si, par un étrange rictus de l’Histoire des peuples européens encore obnubilés par la culpabilité consécutive à l’effondrement moral que fut le nazisme, on n’était plus capable de discerner et de désigner l’ennemi déjà actif et meurtrier qui a commencé à frapper sur notre sol pour tenter de nous imposer de nouveau un authentique fascisme autrement plus concret et dangereux que celui de quelques nazillons virtuels. À force de traquer le présumé facho, on ne voit plus le vrai fasciste. Nous savons bien pourtant que lorsque le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt.

Illustration : Saint-Georges terrassant le démon

 

06 juin 2018

Carnet / Du vertige et de l’angoisse de la page noire

porto,portugal,carnet,note,journal,prairie journal,christian cottet-emard,journal de bord,billet,blog littéraire de christian cottet-emard,littérature,écriture,correction d'épreuves,relecture,pages,porto,image,vertige,doute

La relecture d’un livre au stade du manuscrit ou des premiers jeux d’épreuves est une phase durant laquelle il peut m’arriver de détester mon texte. Dans ces moments, je me dis qu’il faudrait cesser d’écrire, qu’il est ridicule de continuer d’ajouter des pages à toutes celles qui sont noircies dans le monde. Seul devant mon écran, le même vertige peut me saisir que dans une grande librairie où chaque ouvrage attend d’entrer le plus souvent quelques heures ou plus rarement toute une vie dans la tête de quelqu’un. Le vertige est aussi celui du néant : la tentation de jeter les épreuves papier au milieu des bûches qui flambent dans la cheminée ou de cliquer sur supprimer dans le menu du logiciel. Mais si écrire de la fiction romanesque, des essais ou de la poésie n’est pas une bonne idée, détruire ce que j’ai écrit n’en est pas forcément une meilleure. Alors, puisque la nature a horreur du vide...

Photo : vertige à Porto (photo © Ch. Cottet-Emard)

 

25 mai 2018

Carnet / Du « tout à l’ego »

P1100590 - copie.JPG

Je ne comprends pas la défiance actuelle à l’encontre de la littérature autobiographique. J’en suis quant à moi très friand car la vie des autres m’intéresse au plus haut point. Je suis toujours curieux de voir comment mon semblable se débrouille dans la vie, quel regard il porte sur son passage terrestre et comment il met tout cela en scène. Très souvent, je trouve l’autobiographie beaucoup plus intéressante que le roman, non pas parce que le récit est vrai ou supposé tel mais parce que d’une certaine manière, l’individu qui écrit sa vie, même s’il n’est pas écrivain, met en œuvre, parfois sans le savoir, les outils et la machinerie du romancier.

L’objection à l’autobiographie la plus fréquente que j’entends est celle de l’excès d’ego, le tout à l’ego pour reprendre le jeu de mot péjoratif d’une de mes connaissances. Je ne partage pas cette opinion, sous réserve, bien sûr, que l’ego ne soit pas démesuré au point d’en devenir grotesque. Les œuvres sans ego ou qui se prétendent ainsi m’ennuient et d’ailleurs, je ne suis pas sûr qu’elles existent. Je discutais récemment avec un poète qui m’affirmait vouloir faire disparaître toute forme d’ego dans ses écrits. Il semblait sincère mais j’avais du mal à le croire. Quant à ses poèmes, à mes yeux privés de cette dimension essentielle, ils ne me parlaient pas du tout.