10 avril 2019
Carnet / Le point où j’en suis
À Barcelonne
Lorsque j’étais lycéen, je tenais déjà des carnets dans lesquels j’avais l’habitude de commencer chaque année avec une note parfois intitulée Le point où j’en suis. J’avais emprunté ce titre à André Pieyre de Mandiargues, un poète que je lisais souvent à la fin des années soixante-dix. Ces notes étaient beaucoup plus triviales que les poèmes du recueil de Mandiargues écrits selon lui dans une époque de solitude et de manque, où se faisait sentir une forte nostalgie de tendresse, accompagnée d’un humour assez noir.
Je me croyais durant ces années dans un état d’esprit semblable mais je comprends aujourd’hui qu’il s’agissait plus de désir de vie, d’élan vital, que de manque ou de nostalgie, celle-ci étant généralement étrangère à l’adolescence. Quant au manque, le lycéen que j’étais n’a pas mis longtemps à comprendre comme tout le monde qu’il était le frère du désir et que les deux étaient en quelque sorte des jumeaux condamnés à se tourner éternellement le dos sans jamais pouvoir se séparer.
Plus de quarante ans après, je lis moins la poésie d’André Pieyre de Mandiargues même si je peux encore parfois m’abreuver à la source claire de L’Âge de craie et il arrive même que certains textes que j’avais marqués en cornant une page me soient devenus hermétiques comme si une porte subitement ouverte sur un paysage de lumineux mystères s’était refermée en silence.
Il est vrai que pour ma découverte de la littérature et de la poésie, en jeune homme pressé j’avais choisi l’entrée du merveilleux, la plus commode mais pas toujours la plus fiable. Ce merveilleux, j’étais si déterminé à le trouver qu’effectivement je le trouvai et qu’il en devint encombrant au point que j’eusse à m’en défaire d’une grande part.
Tout cela s’agitait dans la tête d’un jeune homme de la deuxième moitié du vingtième siècle qui, pour tenter de contrôler la fièvre de cet âge impatient, tentait de fixer le point où il en était sur la première page du carnet de l’an nouveau. Où en suis-je donc quatre décennies plus tard en ce début 2019 ?
Depuis quelques années, je constate que mon rapport à l’écriture et à la publication de mes livres s’est agréablement simplifié. Je me suis longtemps posé tout un fatras de questions souvent dérangeantes à ce sujet mais ce n’est désormais plus le cas.
Il m’arrive certes encore d’éprouver un certain vertige en parcourant les rayonnages des librairies où tant d’ouvrages parus à l’enseigne de grandes et petites maisons ne font que passer avant de partir chez les soldeurs ou au pilon. Cette sensation désagréable me perturbe maintenant beaucoup moins qu’à l’époque où il fallait toute une logistique pour que la nouvelle de la parution d’un livre arrive jusqu’aux lecteurs.
Nous avons aujourd’hui basculé dans un nouveau monde que j’apprécie, un monde dans lequel le plus confidentiel des ouvrages écrit par l’auteur le moins communiquant qui soit est toujours disponible quelque part en quelques clics sur un écran d’ordinateur ou de téléphone. Lorsque paraît un de mes livres, les réactions et les critiques positives ou négatives me parviennent par le même canal, ce qui est plutôt reposant.
Sur le plan de l’écriture, jamais je ne me suis senti aussi libre. Si un texte ne trouve pas son chemin dans l’édition papier, je le publie sur internet. Si je constate que j’ai été mal compris, j’en conclus que je me suis mal exprimé et je corrige si j’en ai envie ou si je le juge utile.
Depuis de nombreuses années, j’ai deux éditeurs qui sont aussi des amis sûrs. Je peux également prendre à tout moment la décision d’éditer moi-même certains textes si je le souhaite (seul bémol sur ce point, la procédure technique un peu trop compliquée pour moi mais au vu des progrès fulgurants réalisés en quelques années en ce domaine, on va sans doute vers encore plus de simplification). Voilà en tous cas qui me console de vivre dans des temps qui ne me conviennent pas toujours sur bien d’autres plans mais ceci est une autre histoire !
02:09 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, billets, chroniques, poésie, littérature, édition, publication, parution, blog littéraire de christian cottet-emard, le point où j'en suis, bilan, dans le rétroviseur, dans le rétro, regard, passé, présent, rapport à l'écriture, andré pieyre de mandiargues, l'âge de craie, poésie gallimard
28 janvier 2019
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Il était arrivé à un âge où sa perception généralement sentimentale des choses était maintenant remplacée par une vision ironique du monde et de ses occupants ; le passé devenait un marécage épais d'où il se sentait incapable d'extraire la moindre conclusion.
- Jim Harrison - (Légendes d'automne)
01:42 Publié dans Alliés substantiels | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jim harrison, légendes d'automne, blog littéraire de christian cottet-emard, alliés substantiels, littérature, roman, fiction, passé, marécage, écrivain américain, littérature américaine, usa, amérique, États unis d'amérique
19 mars 2018
Élégie sur la maison d'enfance
Tu naviguais à vue dans la houle d’un songe il te dicta cette élégie funèbre
Il était trop tard pour habiter encore la maison d’enfance
Le portail s’ouvrit sur ce monde de ténèbres qu’elle était devenue et tu la rachetas à prix d’or afin d’en chasser tous les inconnus
L’argent les dispersa comme des spectres mais plus rien ne pouvait ramener le vieux tilleul à sa place même si ses racines erraient encore sous la terre désormais sans mémoire
Alors tu fis raser les murs jusqu’aux fondations pour ouvrir un grand pré où tu plantas un nouveau tilleul
Cette colère en toi s’en apaisa ce feu d’enfer dans un bloc de glace devint la douce flamme de la bougie qui luit dans l’ombre pour éclairer et réconforter non pour brûler
(Extrait de mon poème Paysage / Évasion, sixième partie)
© Éditions Orage-Lagune-Express, 2018
00:54 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : maison d'enfance, demeure, habiter, élégie, souvenir, colère, rêve, passé, tilleul, poème, paysage évasion, éditions orage-lagune-express, blog littéraire de christian cottet-emard, enfance, arbre, flamme, bougie, feu, glace, ombre