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22 août 2014

Jean Pérol et les cœurs véhéments

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La Djouille, de Jean Pérol, roman, éditions de la Différence, 272p., 20 €. Parution 21 août

Noir, poignant, ironique, rageur, hanté par le deuil impossible des bonheurs et des beautés fugaces, le dernier roman de Jean Pérol prend aux tripes et frappe fort sur les nouveaux conformismes.    

Encore à peu près épargné par les vilaines morsures du temps et de l’expérience, le jeune et provincial Fabien, lycéen, aide dans de menus travaux domestiques un professeur âgé, revenu de ses voyages et de ses illusions bien amoché. L’un est à l’aube de sa vie, l’autre au crépuscule mais cela n’empêche pas une amicale connivence de s’installer, bien au contraire puisque finalement, le terme de « crépuscule » désigne la lueur céleste visible avant le lever du soleil ou après son coucher.

La rapide montée en puissance de la narration de ce superbe et dérangeant roman baigne dans cette atmosphère qu’on dit parfois « entre chien et loup » . Autour des deux hommes (l’art du romancier finit par nous faire douter de qui est l’ombre de l’autre) gravitent des personnages eux aussi distribués dans les deux catégories de ces canidés auxquels l’humanité se plaît parfois à s’identifier. Ajoutons à ce bestiaire la dimension féline du caractère féminin et observons alors la cruauté, la naïveté, l’amertume, le désespoir, la résignation et, soudain, en une épiphanie, en « une poignée de jours en flammes dans une énorme obscurité » comme l’écrivait le poète Jean Tardieu, l’épisode fugace d’un bonheur aussi vite épanoui et fané que l’éclosion d’une fleur filmée en accéléré.

En une construction narrative dans laquelle le passé douloureux que le professeur tente d’enfouir remonte en surface au contact du présent du lycéen, l’écran de ce théâtre d’ombres se déploie, si l’on ose dire, sur plusieurs fronts.

Le premier est celui des dernières nuits festives du personnel d’ambassade dans un Afghanistan en proie à la révolution et à la guerre où le professeur déjà las du vieil Occident s’est résolu jadis à vivre sa double expérience culturelle et amoureuse de l’arrachement. Sur le second front, celui d’une retraite campagnarde cévenole (dont on pourrait dire qu’on y « sommeille tant ») et que le jeune Fabien est prêt à quitter pour un amour au-dessus de sa condition, le vieux professeur n’est plus acteur mais spectateur impuissant du drame puis de la tragédie qu’il voit s’annoncer.

La mécanique infernale du déterminisme social s’agence inexorablement, condamne toute utopie, broie toute espérance. Il suffit qu’un de ces coups de tête dont sont coutumiers les jeunes hommes blessés se transforme alors en un coup de sang pour que le rideau tombe, noir, si noir, sur la scène où tout est bien sûr joué d’avance.

L’amour, le départ, la fuite, le retour sont autant de chemins dont le professeur est revenu sans pouvoir en révéler les impasses et les chausse-trapes au lycéen. Ils habitent tous deux une province livrée au doute et à la nostalgie où l’on devient vieux de plus en plus jeune, une nation minée par le retour d’un conformisme pire que celui qui précéda l’artificielle et courte embellie des trente glorieuses.

La Djouille est non seulement le roman des amours congelées sur la « face nord glaciale du grand mythe féminin qu’on nous a construit dans le siècle » mais encore l’implacable inventaire des utopies modernes qui tournent en cauchemars et finissent dans la djouille, l’équivalent afghan du caniveau. Dans ce second exercice, l’ironie lucide de Jean Pérol frappe très fort et ne manquera pas de faire grincer les dentitions blanchies et parfaitement alignées des jeunes générations élevées à la tisane bio du politiquement correct. Rien de l’hygiénisme forcené de « l’époque (qui) vous a à l’œil » n’est épargné : les ligues de vertu revues aux goûts du jour avec « les nouvelles chaisières vengeresses du rabougri, encore plus coincées aujourd’hui que celles de nos églises hier » , le sexe pour le sexe, « le foutre façon hygiène. Aussi trompeur et fastidieux que le vrai jogging  » , le sport « Ah le sport, cette fadaise mondiale, ce pseudo-militarisme obligatoire, cette scie, ce poison du siècle ! »

Gardons nous cependant de rester sur ces seuls constats dans notre lecture. Comme tous les amples romans parcourus par le souffle de la littérature, le dernier opus de Jean Pérol ne se résume pas au simple regard critique, aussi acéré soit-il, d’un auteur sur son époque, car on y puise aussi une forte empathie en faveur des éternels perdants, ceux de la grande histoire et de la petite, toutes deux cruelles pour les cœurs véhéments.

Christian Cottet-Emard

Et à propos du dernier recueil de poèmes de Jean Pérol : ici

 

10 février 2014

De qui suis-je le rêve ? se demandait l'enseigne de vaisseau Mhorn.

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02 juillet 2012

Carnet : de la vraisemblance et de la vérité

carnet,vérité,vraisemblance,roman,littérature,fiction,le grand variable,christian cottet-emard,narration,invisible,paul auster,romancier,écritureLe romancier navigue entre vérité et vraisemblance mais bien sûr, très souvent, la vérité est au-delà de la vraisemblance. Quant à vouloir rendre vraisemblable la vérité, c’est prendre un gros risque de s’en éloigner.

Telle est en substance la réponse que je donne aux personnes qui me demandent pourquoi, dans mes ouvrages de fiction, je privilégie fréquemment la narration en fragments peu voire pas du tout reliés les uns aux autres et par le fait, suspectés d’enlever de la vraisemblance à l’ensemble. Mais lorsque nous considérons notre vie, nous constatons qu’elle se structure plus volontiers en une accumulation d’épisodes fragmentés avec accélérations et ralentissements, sans véritable début ni fin, plutôt qu’en un développement progressif et logique en attente d’un épilogue amenant la résolution de tout ce qui s’est mis en place depuis le début. Toute la littérature fondée sur ce deuxième postulat m’apparaît comme le comble de l’artifice alors que la construction en fragments est vécue comme plus artificielle encore par les lecteurs. Cette question m’en rappelle une autre, récurrente, qui n’est finalement qu’une variation de la première et qui porte sur ma réticence à me lancer dans un bon gros roman avec intrigue bien ficelée plaquée sur fond de fresque sociale ou historique : toujours ce problème de vérité et de vraisemblance.

En écrivant mon Grand Variable, j’ai pu laisser croire que j’avais sacrifié toute vraisemblance au profit d’une forme de vérité. Comme je m’attendais à ce reproche qui m’a été formulé de diverses manières, j’avais pris soin d’indiquer en quatrième de couverture que le livre mêlait fiction romanesque et narration onirique, ce qui n’a pas suffi à faire comprendre mon point de vue aux inconditionnels des genres littéraires dûment étiquetés Roman, Nouvelle, Récit, Poésie, autant d’ingrédients qui composent, à mon avis, le Grand Variable. Cela ne m’a guère surpris, excepté de la part d’un lecteur aussi avisé que l’éditeur Maurice Nadeau qui, dans la lettre argumentée de refus de publication qu’il m’a adressée après étude du manuscrit, déplorait « le manque d’épaisseur » de mes personnages. Heureusement pour moi, j’ai trouvé un éditeur qui n’était pas du même avis !  Il n’empêche que cet épisode nourrit encore mes réflexions sur la vérité et la vraisemblance dans le roman. Par exemple, comment définir « l’épaisseur » d’un personnage ? Cette épaisseur est-elle souhaitable, obligatoire ? En quoi se manifeste-t-elle ? Par des descriptions détaillées, minutieuses, de son physique, de ses vêtements, de ses mouvements ? Je ne trouve quant à moi utile de donner ces informations que lorsqu’elles font vraiment sens. Dans le cas contraire, je pense qu’elles ne servent qu’à étirer le texte et à perpétuer le cliché selon lequel la narration doit se vautrer pour donner un vrai roman. Trois lignes pour décomposer le mouvement de la main qui saisit la tasse de café avant de la porter à la bouche, deux autres pour renseigner sur la force du café et une pour décrire le retour de la tasse sur la soucoupe avec, tant qu’on y est, une précision sur l’intensité du choc entre la tasse et la soucoupe, franchement, je préfère laisser ça, aussi bien en tant qu’auteur qu’en tant que lecteur, au Nouveau Roman, à Donna Leon ou à Paul Auster.

L’exemple de Paul Auster, romancier bavard par excellence, je voulais justement y venir à propos de ma réflexion sur la vérité et la vraisemblance dans le roman. Il se trouve que pour la première fois après de nombreuses tentatives, je viens de réussir à lire en entier un roman de Paul Auster. Il s’agit d’Invisible qui compte dans l’édition de poche Babel chez Acte Sud 290 pages bien tassées en petits caractères, probablement du corps 10, un tour de force car une nouvelle suffirait au déploiement de l’intrigue. Mais ce serait oublier le métier de Paul Auster qui multiplie les angles, les points de vue, les variations et les récits gigognes dont il use et souvent abuse dans son œuvre romanesque et en particulier dans Invisible. Dans ce roman, l’exploitation extrême d’une intrigue rudimentaire (un personnage fait une mauvaise rencontre, vit une péripétie consécutive à cette mauvaise rencontre et se retrouve trente ans après ayant construit sa vie sur ces deux épisodes) confine à l’exercice de style, ce qui ruine toute vraisemblance mais n’en permet pas moins au lecteur d’accéder à certaines vérités.