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30 juillet 2010

A’ xiste pas !

Chaque année en période estivale, je fais le même rêve éveillé : les grands quotidiens et les magazines qui ont pris l’habitude de réduire leur pagination pendant les vacances en profitent pour aérer un peu la boutique. Les chefs de rubriques sont partis au chaud ou au frais ? Qu’à cela ne tienne, les rédactions ont embauché de jeunes stagiaires. Dans les pages littéraires, ils signent des critiques et des notes de lecture à leur manière. On leur donne carte blanche, oh, pas pour longtemps... Mais tout de même. Puisqu’ils ne sont pas encore blasés et qu’ils sont encore trop jeunes et inconnus pour crouler sous les services de presse, ils nous parlent des livres qu’ils aiment et ne répugnent point à promouvoir quelques ouvrages publiés par de petits voire minuscules éditeurs.

Ce bref courant d’air frais ne dure que quelques semaines mais c’est d’autant plus agréable pour les lecteurs surpris (ô lecteur, ô lectrice, à quelle époque lointaine un journal, un magazine vous ont-ils surpris ?) que la rentrée dite littéraire va bientôt déverser ses centaines de nouveautés dont une partie ne connaîtra de la librairie que l’arrière-boutique avant de repartir encore  blistérisée et empaquetée vers le pilon.

Eh oui, c’est toutes les années pareil. Le rêve n'était qu'un rêve et la réalité, la voici : hier, j’ai reçu Télérama. Rubrique littéraire : trois livres présentés, pas un de plus ! Et à la fin de l’été, à Télérama comme ailleurs, même avec le retour à la pagination normale, ils compteront non pas chaque ligne mais chaque signe, les chefs de rubrique ! Quant à la petite édition : « a’ xiste pas » comme dit Jean Tardieu.

11 février 2010

Carnet de l’espace et du temps

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Espace / temps 1
« Halte à la France moche ! » lit-on en gros titre de Télérama cette semaine avec une couverture illustrant « comment les villes françaises sont devenues laides. » On devrait se réjouir de ce cri d’alarme et espérer des mesures pour réduire cette laideur évoquée par Milan Kundera dans son roman La Lenteur (Folio). Mais ce serait oublier que la même alerte avait été lancée à la télévision dans les années soixante-dix du vingtième siècle dans une émission hebdomadaire intitulée La France défigurée, animée par le journaliste Michel Péricard. Quarante ans après, nous en sommes toujours au stade du constat, avec ces zones industrielles et commerciales et cet habitat péri-urbain que Kundera qualifie d’« étendue de laideur » . Alors, rendez-vous dans un demi-siècle pour le même constat ? Au train où vont les sœurs jumelles politique et économie, j’en ai bien peur.

Espace / temps 2
Dans Télérama encore, ces quelques lignes d’un certain Stéphane Jarno qui, à l’occasion d’un reportage sur le tournage à Nantua du film Quartier lointain, décrit ainsi la petite cité haut-bugiste :

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« À Nantua, le tournage de Quartier lointain, c’est l’événement des dix (quinze ?) dernières années. Dans cette petite ville de l’Ain, célèbre pour son lac et ses quenelles, le temps semble s’être arrêté, comme écrasé par les montagnes avoisinantes. N’étaient les nombreux poids lourds et les femmes voilées qui passent hors champ, on pourrait se croire dans la France de Catherine Langeais et du petit Nicolas... »

Quelle prose remarquablement typique de ce que peut sécréter le journaliste urbain aux champs ! Ah, ce « temps arrêté » , ce temps « écrasé » ! Et ces montagnes  : « avoisinantes » ! Oh, ce précieux « n’étaient » ! Et puis ce rapprochement hardi (je n’ose dire ce télescopage) entre ces femmes voilées et ces poids lourds puissamment qualifiés de « nombreux » !
Bien que je sois encore sous le charme de ce style somptueux, j’aurais tout de même une légère réserve  à exprimer à propos du temps qui serait censé s’arrêter dans les petites villes de province. Moi qui vis près d’un village, plus près encore de la forêt, je pense que dans les grandes villes, le temps aurait plutôt tendance à s’emballer... Comme cette machine à produire du cliché qu’est le journalisme.

Quand je pense que moi aussi, j’ai fait ce métier pendant dix ans, je n'en suis vraiment pas fier.

Photo: Nantua vue de la falaise (Photo MCC)

24 février 2009

Maths : les régulateurs suprêmes de l'univers

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Entre deux séances de rangement — je n’arrête pas de ranger depuis mon installation à la campagne — je suis tombé sur deux textes qui évoquent les mathématiques, l’un dans le magazine Télérama du 18 février 2009 signé Nicolas Delesalle, l’autre extrait d’une édition datant de 1953 de Don Camillo et ses ouailles (ne riez pas, oh et puis après tout, riez, cela ne peut pas faire de mal) de Giovanni Guareschi. Je commence par citer Nicolas Delesalle qui décrit parfaitement le calvaire des nuls en maths, confrérie de misère dont je fais partie :

« Rappelez-vous. Vous avez 15 ans. Vous lisez l’énoncé du contrôle de maths. Vous relisez. Votre ventre se tord. Au premier rang, derrière ses lunettes en cul de bouteille et sous sa raie sur le côté, Maxime L. est en train de répondre tranquillement aux questions. Pas vous. Il a l’air de tout comprendre. Vous avez l’air d’un tourteau devant un lecteur MP3. Vous êtes humilié. Encore. Cauchemar récurrent de générations d’élèves innocents, les mathématiques semblent avoir été inventées pour briser en menus segments l’ego des êtres humains inadaptés à leurs subtilités. Des tueuses géométriques qui coupent les têtes à coups d’intégrales et empalent les enfants rêveurs sur des fonctions pointues. »

Qu’on ne s’y trompe pas, l’article de Nicolas Delesalle n’est pas une charge contre les maths. Il l’écrit dans son introduction :

« Rébarbatives et élitistes, les mathématiques ? Elles sont aussi une façon ludique d’appréhender la beauté du monde. Démonstration. »

J’interromps là ma citation car en ce qui me concerne, pour ce qui est « d’appréhender la beauté du monde » , avec les maths, je n’ai fait qu’appréhender. Beaucoup d’appréhension et, je l’avoue, de l’angoisse, rien que de l’angoisse, que dis-je, du malheur, si je tente de mesurer les conséquences incalculables, c’est le cas de le dire, sur le déroulement de ma vie. Lambeaux d’enfance arrachés, scolarité dévastée, relations avec mon père gâchées, phobies sociales, révolte, désespoir, comportements de fuite, stratégies de repli, sentiment d’échec, culpabilité. Mais cette fois-ci ne pleurez pas, vous qui compatissez, car les maths n’eurent pas ma peau. J’appris vite à rire de mon handicap et à m’inventer une autre vie que celle, misérable, à laquelle me condamnait mon authentique et définitif « illettrisme mathématique » . Cette autre vie, cette nouvelle chance, cette dernière chance, a pour nom littérature, mais ceci  est une autre histoire trop riche à raconter maintenant,  même si je tiens à préciser que je n’oppose pas les lettres aux chiffres, ce qui serait aussi stupide et faux que d’opposer les mathématiques et L’Art de la fugue.

Il faut pourtant bien reconnaître que les maths sont depuis longtemps l’instrument de la sélection au cœur du système scolaire, ce qui entraîne un immense gâchis. Quelque soit le talent d’un enfant, son avenir est tout simplement compromis en cas d’allergie grave aux maths. Aujourd’hui plus que jamais, un élève qui fournit le minimum syndical s’en sort  toujours mieux que l’as d’une seule matière, à condition qu’il se débrouille pour au moins approcher de la moyenne en maths. Au collège j’étais l’un des meilleurs en français, ce qui n’a pas empêché la plupart de mes professeurs de me considérer comme un cancre intégral, costume que j’ai moi-même endossé avec délice dans le seul but de leur renvoyer en pleine figure ce qu’ils considéraient comme mon échec mais, plus grave encore à leur goût, comme le leur. On ne sort de  cette spirale de ressentiment que par la fuite ou le conflit. Lycéen lecteur de L’Éloge de la fuite, du professeur Henri Laborit, j’ai bondi vers des chemins buissonniers bien passionnants — je m’en suis même inventé certains — qui auraient pu déboucher sur des  impasses sans l’indéfectible protection de ma famille. C’est à mes proche et à la fée littérature que je dois  aujourd’hui de vivre à peu près à l’abri des chiffres et plus encore de leur progéniture, les nombres. Bien sûr, ils parviennent encore à me tourmenter dans mon quotidien et parfois dans mes rêves mais je suis sur la défensive et je les tiens suffisamment à distance pour qu’ils ne me pourrissent pas trop l’âge mûr. C’est pourquoi je souligne ce dialogue entre Jésus et Don Camillo dans le roman cité plus haut :

« — Don Camillo, pourquoi en veux-tu tellement aux nombres ?
— Parce que, à mon avis, si les hommes ne vont pas, c’est à cause des nombres. Ils ont découvert les nombres et en ont fait les régulateurs suprêmes de l’univers. »

Photo : pas joyeux en classe dans les années soixante du vingtième siècle à l'école primaire Sainte Jeanne d'Arc et déjà brouillé avec le calcul.