26 août 2017
Carnet / De l’inconvénient de mourir pour un écrivain
Pour beaucoup de gens mourir est ennuyeux mais pour les écrivains, l’un des inconvénients supplémentaires est la récupération. Rien de plus facile que de sortir de son contexte une phrase, une affirmation ou une idée d’autant que l’écrivain n’est plus là pour apporter contradiction ou démenti. Seule demeure son œuvre pour le défendre, à condition qu’elle soit bien lue par un lectorat honnête. Tout récemment sur le réseau social, en conversation privée, quelqu’un m’a fait part de son étonnement à la lecture de mes éloges à propos d’Antonio Tabucchi. Cette personne se place évidemment sur le terrain politique et je comprends sa perplexité.
Antonio Tabucchi, hélas décédé en 2012 à soixante-neuf ans, est un intellectuel de gauche très représentatif des années soixante-dix et quatre-vingt du vingtième siècle. Je ne partage pas beaucoup de ses opinions politiques, surtout dans les temps que nous connaissons, mais cela ne m’empêche pas de le considérer comme un très grand écrivain d’un point de vue strictement littéraire et cela suffit à mon bonheur de le lire.
Je crois que c’est Borges qui disait que les opinions politiques individuelles d’un écrivain n’avaient guère d’intérêt, ce que je pense moi aussi. Par exemple, s’il m’est arrivé de citer Tabucchi à propos des Lusiades de Camões, ce n’est pas du tout pour étayer ma lecture personnelle de l’épopée nationale portugaise, ce à quoi je me garderais bien de me hasarder.
J’ai lu une grande partie de l’œuvre publié de Tabucchi et, dans les années quatre-vingt-dix, j’ai été très impressionné par son livre Pereira prétend, roman éminemment politique mais surtout, à mes yeux, ouvrage d’une rare virtuosité narrative. Le message politique ne m’a certes pas échappé mais il est pour moi resté au second plan. Ce qui m’a retenu est essentiellement l’atmosphère du roman, le cadre, Lisbonne, le style, la composition, la narration, l’intégration des dialogues dans le corps du récit sans guillemets ni tirets.
Quant au personnage principal, ce Pereira qui prétend, ce n’est pas son évolution politique qui m’a le plus intéressé mais sa nature, ses habitudes, son cadre de vie, ses sentiments, sa mélancolie, sa manière d’être au monde, de se déplacer, de bouger, de se nourrir, de vivoter.
Comment un écrivain est-il compris ou espère-t-il l’être par le lecteur ? Vaste question. Peut-être Antonio Tabucchi serait-il très mécontent de ma lecture apolitique de son Pereira prétend, c’est même fort probable...
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17 août 2017
Carnet / Notes gigognes à propos de Camões, Pessoa, Tabucchi, Char
Mes lectures de cet été un peu apaisé par rapport aux trois dernières années sont centrées sur une étude croisée, tressée devrais-je dire, des Lusiades de Luis Vaz de Camões et de Message de Fernando Pessoa. C’est un peu comme se promener dans deux cathédrales. Il faut du temps et de la curiosité. Je crois qu’il faut aussi ressentir ce que j’appellerais l’âme atlantique. Les Lusiades et Message sont à mes yeux deux grandes épopées occidentales.
Je conseille la lecture en français du grand œuvre de Camões dans l’édition Poésie / Gallimard avec la traduction et la préface de Hyacinthe Garin et une préface de Vasco Graça Moura. La traduction en alexandrins rimés permet une lecture aisée.
Pour Message de Pessoa, je me réfère à l’édition établie à l’enseigne de José Corti avec la préface de José Augusto Seabra et la traduction de Bernard Sesé.
Pour me reposer entre mes régulières pérégrinations dans les deux cathédrales de Camões et de Pessoa, j’ai lu Pour Isabel d’Antonio Tabucchi. Ce grand écrivain italien qui s’est installé longtemps à Lisbonne où il est décédé en 2012 occupe une place à part dans ma bibliothèque qui contient presque tous ses livres. Il est le seul auteur que je ne connais pas personnellement à qui j’ai réservé un tel traitement. Paradoxalement, c’est son roman le plus connu, Nocturne indien, qui fit son succès et qui pourtant me tomba des mains. Presque tous ses autres livres m’ont fasciné.
Le rôle de Tabucchi dans la diffusion de l’œuvre de Pessoa en France est considérable. Je lui dois une grande part de mon approche patiente et progressive des labyrinthes du poète aux hétéronymes.
Un détail amusant : moi qui utilise n’importe quel papier qui traîne comme marque-page, j’en ai inséré sans le faire exprès un très beau dans Pour Isabel. Il s’agit d’un des marque-page reliés en carnet que j’avais acheté à Porto lors d’une visite de la célèbre et extraordinaire librairie Lello où furent tournées des scènes de Harry Potter. Au verso, figure un portrait dessiné et stylisé de Fernando Pessoa !
Dans son roman à la publication posthume Pour Isabel sous-titré Un mandala, Antonio Tabucchi fait dire à un des personnages évoquant des années de lycée à l’époque où le Portugal avait encore des colonies : on y divisait en morceaux stupides le poème national Les Lusiades, qui est un beau poème de mer, mais qui était étudié comme s’il s’agissait d’une bataille africaine.
Je pense qu’il ne faut bien sûr pas lire Les Lusiades comme s’il s’agissait seulement d’une bataille africaine mais les lire comme un simple beau poème de mer serait tout aussi réducteur.
Plus je lis et relis les Lusiades de Luís Vaz de Camões publiées en 1572 et Message de Fernando Pessoa sorti en 1934, plus je mesure la puissance du lien entre ces deux épopées. Ces deux œuvres débordent largement du cadre national portugais. Pour le lecteur moyen du 21ème siècle que je suis, elles irriguent ma réflexion sur la renaissance de l’idéal occidental que j’appelle de mes vœux. À plus de trois siècles et demi de distance, les Lusiades et Message sont des balises, des repères dans ce cheminement vers le nécessaire renouveau de l’Occident.
Avant d’entrer ébloui et stupéfait dans l’univers de Pessoa, je ne trouvais pas grand-monde à placer à la hauteur de René Char, tout au moins dans les aspects solaires de son œuvre.
Il tient certes toujours une place privilégiée dans mon Panthéon mais comparé à Pessoa, je lui trouve désormais parfois à ma grande honte des allures de poète local.
Écrire cela me coûte mais c’est le prix à payer à la sincérité quitte à passer pour un fumiste.
Je n’en crois pas pour autant faire insulte à la mémoire du poète de la Sorgue, d'autant que j'ai eu plaisir à écrire sur lui, car les poètes, justement, ne sont pas destinés à être comparés. Ils sont des mondes entre lesquels nous, communs des mortels, choisissons d’établir ou non des passerelles.
20:58 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, billet, blog littéraire de christian cottet-emard, littérature, poésie, épopée, roman, message, fernando pessoa, josé corti, pour isabel, un mandala, antonio tabucchi, folio, gallimard, les lusiades, luis vaz de camões, poésie gallimard, librairie lello, porto, livraria lello, harry potter, marque-page pessoa, christian cottet-emard, hyacinthe garin, vasco graça moura, eduardo lourenço, bernard comment, josé augusto seabra, bernard sesé, rené char, france, italie, portugal, occident, âme atlantique
06 août 2017
Carnet / Cachez ce travail que je ne saurais voir !
Moi qui n’aime pas le travail, je choisis les jours les plus endormis des vacances pour passer à la rédaction du roman qui va succéder à la récente parution de mon recueil de nouvelles, Mariage d’automne. Mais non, je ne choisis pas.
Photo © Christian Cottet-Emard, Bergerac, juillet 2017
Quand un roman s’installe dans ma tête, il commence par se signaler par quelques fragments qui passent dans l’esprit comme les petits nuages rapides d’un ciel calme. Il m’arrive parfois de noter puis d’écrire ces bouts de textes épars qui peuvent même constituer des nouvelles inabouties, impossibles à intégrer à un ensemble parce qu’elles ne le veulent absolument pas, comme si elles portaient en elles, malgré toute volonté de ma part, la conviction qu’elles sont destinées à autre chose.
Vient ensuite la période de rêverie, souvent très longue, des mois, des années, un laps de temps indéfini pendant lequel je sens bien que quelque chose cherche à s’organiser sans que je puisse décider d’une planification ou d’une accélération. J’ai longtemps cru que cette période était stérile ou qu’elle relevait de la simple procrastination, ce qui était une erreur de débutant.
Arrive alors une autre phase, celle des moments de plus en plus nombreux où les personnages sortent des brumes et se signalent à la faveur de n’importe quel épisode de la vie quotidienne. Je peux considérer que je me mets à passer du temps avec ces êtres qui prennent corps si je puis dire.
La suite se traduit bientôt par une accélération intense, comme un puzzle devenu fou qui se mettrait à réunir tout seul ses pièces, ce qui donne un sentiment fiévreux porteur d’insomnie et d’impatience.
Une fois que le puzzle est presque complet, il ne me reste qu’à rédiger comme si je racontais un film vu la veille. C’est là qu’intervient ce maudit travail : il faut s’employer avec ardeur et rigueur à ce que le travail soit le moins visible possible. Je réussis la nouvelle ou le roman si moi-même ou le lecteur, une fois que le texte est publié, avons l’impression qu’il a été écrit sans effort par un type négligent et paresseux.
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