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23 janvier 2022

Carnet / De l’honneur de déplaire

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Voir ces poètes avec leur masque sur la tronche continuer de lire leurs œuvres en public comme si de rien n’était après avoir dûment présenté leur passe de la honte à l’entrée me laisse perplexe. Sans doute abordent-ils d’une manière ou d’une autre l’un des grands thèmes de la poésie, la liberté...
 
Je ne sais plus qui a dit tout poème est un poème d’amour (mais tout poème n’est-il pas aussi un poème de liberté ?), cette liberté dont beaucoup de poètes s’inquiètent à juste titre lorsqu’en sont privés les peuples des contrées lointaines mais qu’ils ne semblent pas voir fondre comme neige au soleil à leur porte, chez eux, dans leur propre pays.
 
Je peux encore comprendre ceux qui sont payés car jamais il ne me viendrait à l’idée de reprocher à quelqu’un de gagner sa croûte comme il peut mais les autres, les bénévoles, j’avoue, j’ai du mal.
 
Sur le réseau social que je fréquente et où j’interviens, j’ai beaucoup de poètes dans ma liste de contact. La plupart d’entre eux sont muets sur le passe de la honte et sur toutes les mesures non plus sanitaires mais désormais exclusivement politiques dont le pouvoir en place accable les citoyens et pire encore les plus jeunes à qui ce gouvernement vole leur enfance et leur jeunesse.
 
Parmi les nombreux poètes de mon réseau, je n’en connais que deux qui protestent au grand jour et avec véhémence sur leurs pages Facebook, un qui s’exprime à demi-mot et quatre ou cinq qui interviennent dans les commentaires. Les plus silencieux sont ceux qui sont fortement liés à des groupements plus ou moins idéologiques, à de petits éditeurs, ou impliqués dans des maisons d’édition d’envergure ; eh oui, les (petites) affaires continuent, il faut veiller à ne pas trop déplaire.
 
Est-il donc si terrible que cela de déplaire ? Je croyais qu’en certaines circonstances graves, déplaire était un peu le métier des poètes et aussi leur force car à part quelques-uns d’entre eux qui sont de petits rentiers de situations gérant au plus juste le livret d’épargne d’une carrière durant laquelle ils se servent plus de la poésie qu’ils ne la servent, la plupart n’ont rien à perdre. Les poètes sont les sous-prolétaires de la littérature et comme tous les sous-prolétaires, que peuvent-ils gagner à se taire ?
 
Tableau / La femme au masque, Lorenzo Lippi (1606-1665)
 

21 octobre 2013

Carnet du difficile retour : au secours, Fernando !

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Chaque jour, je me heurte à des détails piteux qui révèlent crûment l’atmosphère confinée de ces provinces et de ces bourgades : les routes balisées de rubans de plastique aux couleurs d’une course de vélo pendouillant des semaines après l’épreuve, les rues et les vitrines au garde à vous dans l’uniforme bicolore des tapeurs de ballon, les panneaux commémoratifs, informatifs et autres potences électroniques proliférant dans une hystérie d’affichage inversement proportionnelle à la vérité et à la qualité du discours et qui, en prime, défigure et confisque l’espace public.

Partout la communication qui remplace l’information, « la com » comme ils disent, avec ses valets payés pour énumérer sur une grotesque panoplie de drapeaux et de fanions accrochés à tous les carrefours et giratoires les qualités qu’une ville  proche de chez moi n’a précisément pas...
J’en deviendrais presque nostalgique de la bonne vieille langue de bois qui vise à la rétention d’information face à celle qui lui succède aujourd’hui et qui tend non plus à retenir cette information mais au contraire à la déverser pour y ensevelir ses destinataires.

À qui éprouve un malaise diffus devant ce déballage sans trop savoir l’analyser ou en avoir le temps, un conseil : lire de la poésie, le seul antidote au lent poison de la fausse parole qui s’élabore, s’écrit, s’imprime et s’affiche sur d’onéreux supports agrémentés d’images léchées au frais du contribuable. Je ne dis pas que cela peut conduire au Grand Soir mais au moins réconforter celles et ceux qui veulent encore garder les yeux ouverts.

Au secours, Fernando !