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11 novembre 2017

Carnet / De l’écrivain de plus de quarante ans (notes en vrac)

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Mes amis et lecteurs me demandent souvent pourquoi mes livres sont difficiles à trouver dans les librairies. C’est parce que je publie chez des petits éditeurs peu ou pas présents en librairie. Ces petites maisons d’édition sont tenues par des amis en qui j’ai confiance. Quand mes amis et lecteurs ont compris cela, ils me demandent pourquoi je n’envoie pas mes œuvres à des éditeurs plus importants, mieux diffusés et mieux distribués. Ma réponse les dérange : parce que je n’ai plus l’âge et plus l’envie.

En vingt ans, j’ai envoyé deux manuscrits par la poste sans passer par des relations personnelles, un seul a été publié. Il s’agit de mon Grand variable épuisé depuis longtemps. Mes autres livres sont sortis chez des éditeurs avec qui je suis en relation amicale. Je ne pense pas pour autant qu’ils m’auraient publié s’ils avaient trouvé mes ouvrages mauvais ou sans intérêt. Je sais que mes amis aiment me faire plaisir mais quand même pas à ce point-là !

Envoyer un manuscrit à l’aveugle, le soumettre pour employer un verbe lourd de sens, est une démarche relativement normale jusqu’à la trentaine voire la quarantaine pour les adolescents prolongés. Au-delà, c’est une perte de temps et un excès de naïveté, surtout pour qui, comme moi, n’a pas eu la disponibilité, les compétences et le goût de se constituer un réseau. C’est le réseau qui fait la différence, y compris pour être publié chez les petits éditeurs. Je suis désolé de le dire mais la qualité de votre texte passe après celle de votre éventuel réseau. D’ailleurs, dans la vie, tout est affaire de réseau. C’est dommage mais c’est humain.

À partir de quarante ans, une grande partie de votre vie a pris une direction, bonne ou mauvaise, pas mal de jeux sont faits. Si vous n’avez jamais cessé d’écrire malgré la pression du quotidien, si vous avez publié par ci par là, si vous avez résolu le problème de l’équilibre entre le fond et la forme pour exprimer ce qui vous tient à cœur, alors vous n’avez plus besoin de soumettre vos manuscrits. Vous en avez peut-être encore envie mais vous n’en avez plus besoin.

Au-delà de la quarantaine, vous avez quelques chances d’être devenu assez conscient et lucide pour admettre que vous ne vivrez peut-être pas jusqu’à quatre-vingts ou plus. Il n’est plus de votre âge d’attendre le passage du facteur qui glisse dans votre boîte des lettres d’éditeurs débordés (et on les comprend) par l’afflux de manuscrits, il n’est plus temps pour vous de baisser votre culotte devant quelqu’un qui va vous chercher des poux à cause de votre titre trop long ou trop court, de vos personnages qui manquent d’épaisseur ou qui en ont trop. Avant quarante ans, vous auriez été heureux de telles remarques à propos de vos textes mais maintenant c’est trop tard, ce n’est plus votre problème, vous n’avez plus besoin d’une maman ou d’un papa littéraires. Après l’heure, ce n’est plus l’heure.

Maintenant, vous avez un statut social, prolo, petit bourgeois, rentier, déclassé, peu importe. Vous savez qu’on peut encore mourir à cinquante ou soixante ans et vous devez avoir conscience que vous ne pouvez plus vous permettre d’attendre qu’on s’intéresse à vous. Dans l’écriture vous avez commencé seul, continué seul et serez toujours seul. Personne ne vous attend. Ne courez pas après le système éditorial, d’ailleurs pour quel bénéfice si vous y réfléchissez bien ? Peu d’argent, vos droits captifs pour soixante-dix ans, l’espoir illusoire de séduire quelques personnes un peu plus jeunes que vous derrière une table de dédicaces ?

Non, vraiment, il n’est plus temps pour ces enfantillages. Vous en auriez profité avant quarante ans comme on vit non sans plaisir quelques frasques mais maintenant vous êtes vieux (pas si vieux que cela, certes, mais vieux pour ces gamineries) et s’il est une chose que vous devez absolument éviter, c’est de jouer au faux jeune.

Rien n’est plus pathétique et ridicule qu’une personne d’âge mûr qui cherche à faire jeune. Si vous cherchez à faire jeune, c’est que vous ne l’êtes plus, ce qui est valable pour tout le monde mais plus encore pour les écrivains qui sont de nos jours des êtres facilement exposés à la moquerie et au dédain.

Si vous ne tirez pas votre subsistance de vos livres après quarante ans, vous en êtes peut-être déçu mais vous êtes plus libre d’écrire ce que vous voulez comme vous voulez, pour qui vous voulez et quand vous voulez. Votre désir et votre bon plaisir sont enfin aux commandes, vous n’avez plus besoin de personne, vous devenez littérairement adulte. Avec ou sans sans éditeur, même si votre cercle de lecteurs et vos amis vous lâchent parce qu’ils croient que vous avez échoué et que vous êtes maintenant trop vieux pour qu’on parie sur vous, faire entendre votre voix n’est plus comme par le passé un problème car vous pouvez chausser les bottes de sept lieues d’internet, j’y reviendrai un peu plus loin.

Quand vous écrivez, essayez de ne pas trop penser à vos lecteurs car eux ne pensent pas à vous. Quand ils vous lisent ils pensent à eux et non à vous, ce qui est tout à fait normal. Même si vos livres s’adressent à quelques secrets destinataires, ne pensez pas trop à eux non plus. Ne pensez qu’à votre livre en cours, celui que vous écrivez ici et maintenant, c’est pour cela que vous êtes là à ce moment de votre vie. Le reste ne peut que vous enquiquiner, la politique, l’engagement, l’économie, le sport, toutes ces salades, ne vous laissez pas trop distraire par ces fadaises.

J’insiste, ne pensez qu’à votre livre. S’il n’a que très peu de lecteurs ce n’est pas grave à notre époque. Il existe aujourd’hui des machines capables de l’imprimer à l’unité, à la demande, c’est fabuleux. Il existe des réseaux capables de l’exposer au grand public, d’en faire la promotion ciblée, de l’emballer dans des enveloppes et de le livrer au domicile des lecteurs qui vous restent (et des lecteurs, il y en a toujours, peu importe leur nombre).

J’ai connu une époque où le plus obscur correspondant local de presse avait le pouvoir de vous refuser dix lignes au sujet d’un de vos livres, où le libraire chez qui vous n’étiez pas client pouvait le rendre indisponible, invisible voire refuser tout simplement de le vendre. Cette époque est révolue. C’est ici que je reviens à internet.

Feu le professeur Umberto Eco, excellent auteur et brillant intellectuel mais universitaire non exempt du réflexe du mandarin se désolait de la puissance d’internet et des réseaux sociaux en ces termes : « Ils ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après une verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. » Voilà une opinion caractéristique de qui se sent dépossédé d’un privilège ou d’un pouvoir et l’on voit que parmi les corporations concernées (universitaires, journalistes, commerçants) même les plus brillants esprits ne sont pas indemnes de cette petitesse. Qu’importe ! Emparez-vous de ces outils et réjouissez-vous de vivre en des temps qui les mettent à votre service.

Attention cependant. Veillez à ce que votre souci de donner le meilleur dans vos œuvres soit en rapport avec cette puissance qui peut amplifier aussi bien vos réussites que vos échecs. Si vous gardez cela en tête, vivez enfin à votre guise votre aventure d’écrivain de plus de quarante ans qui a la chance de connaître en ce vingt-et-unième siècle ce moment où le livre et son commerce, au sens noble du terme, entrent dans une nouvelle ère.

Photo © Christian Cottet-Emard, 2017 

15 juin 2012

Carnet de ma petite cuisine

Du numérique.

Je fais partie des 350 auteurs qui ont répondu au questionnaire « Auteurs et numérique » de l’ARALD (Agence Rhône-Alpes pour le Livre et la Documentation), je fais partie des milliers de lecteurs qui ont lu le dossier de Télérama consacré au même sujet et je me demande pourquoi on s’excite tant sur cette question. Qui a peur du numérique ? Malgré tout le bien que je pense du numérique, je ne crois pas que les auteurs pourront en attendre de grands bouleversements. La majorité d’entre eux, celles et ceux qui ne vivent pas de leur plume, continueront de publier comme ils peuvent et d’être mal ou presque pas payés. Pour la minorité des auteurs à gros tirages, le numérique donnera lieu à quelques aménagements de contrats qui permettront aux éditeurs lucides de calmer les ardeurs des quelques fortes têtes éventuellement tentées par l’autoédition (en théorie, le numérique peut permettre de se passer de cet intermédiaire entre l’auteur et le lecteur qu’est l’éditeur). La vraie question pour un auteur me paraît plutôt celle-ci : quel est mon objectif ? Chaque auteur a sans doute sa réponse, la plus commune étant tout simplement d’être gratifié de quelques lecteurs, même peu nombreux, ce qui me paraît suffisant pour être un auteur heureux.

De l’envoi spontané d’un manuscrit.

Depuis que j’estime avoir atteint un point d’équilibre entre le contenu de mes histoires et le style qui me paraît le plus adapté pour les raconter, je n’ai effectué que très peu d’envois spontanés de manuscrits à des maisons d’édition. Les récentes affaires de plagiat (je parle de plagiat de manuscrits) m’ont inquiété.
Cela ne m’a pas empêché de publier presque tout ce que j’ai écrit dans une forme sinon définitive, du moins arrêtée, jusqu’à aujourd’hui. Parmi les ouvrages que je mets en avant dans ma bibliographie résumée, seul le Grand Variable a été publié à la suite d’un envoi spontané chez Éditinter en 2002. L’éditeur Robert Dadillon (que je n’ai jamais rencontré et avec qui je n’ai jamais parlé au téléphone) m’avait publié en me précisant dans une lettre qu’il m’avait lu dans de petites revues. Pour le Club des pantouflards, j’avais accepté la proposition du regretté Claude-Jean Poignant qui était venu me voir sur le stand d’un salon du livre auquel je participais et qui m’avait expliqué ce qu’il attendait pour la collection Petite Nuit qu’il animait avec France Baron à l'enseigne des éditions Nykta. En ce qui concerne mes chroniques humoristiques publiées dans le défunt Magazine des Livres et dont une sélection a été réunie en volume sous le titre Tu écris toujours ? aux éditions le Pont du Change, le projet m’a été proposé en toute simplicité lors d’une conversation avec Jean-Jacques Nuel qui choisissait les premiers titres de sa maison d’édition, le Pont du Change. Le Pont du Change me publie à nouveau (un recueil de trois nouvelles burlesques dont la sortie est prévue pour septembre/octobre.) Les trois exemples que je viens de citer concernent des ouvrages en prose.
Récemment, quelqu’un qui a trouvé un de mes recueils de poèmes dans une bibliothèque m’a demandé si j’avais cessé d’écrire de la poésie et si tel n’était pas le cas, pourquoi je semblais avoir renoncé à en publier. Je ne m’attendais pas à cette question. Ces dernières années, je me concentre sur mes « chantiers » en prose car les opportunités de publication sont plus nombreuses, même s’il faut faire le tri et ne travailler qu’avec des personnes de confiance. La poésie, c’est un tout autre problème. Au début de cette année, j’ai discuté avec un poète qui publie souvent chez Gallimard. « Cela existe-t-il encore, des gens qui envoient des poèmes par la poste chez Gallimard ? » lui ai-je demandé tandis qu’il me répondait par l’affirmative en ajoutant : « vous savez, les petits éditeurs de poésie, on casse la croûte et on boit un verre avec eux, on fait des soirées, mais après... » J’ai trouvé cette réponse non seulement amusante mais encore assez proche de quelques expériences vécues au début des années 1990 lorsque me tentait encore la publication de poèmes dans de petites revues et maisons d’éditions le plus souvent associatives dont je ne remets globalement pas en cause la qualité et le travail mais au sein desquelles il était fréquent pour un auteur de se trouver confronté à deux problèmes en particulier : un comité de lecture trop nombreux qui finit par sélectionner les manuscrits qui plairont au plus grand nombre, ce qui se traduit souvent par le rejet automatique des textes trop originaux, ou un décideur solitaire qui exclut tout ce qu’il ne juge pas conforme à « ce qu’il attend » , à « ce qu’il recherche » , ainsi qu’il le stipule dans ses lettres de refus. À choisir, personnellement, je préfère encore le deuxième cas de figure (encore que le risque soit grand pour que nombre d’auteurs finissent de ce fait par être tentés de calibrer leurs textes, ainsi qu’on le constate dans des catalogues alignant des poètes qui semblent tous avoir écrit le même livre). Fort de cette constatation et, comme je l’ai précédemment précisé, j’ai privilégié la publication de mes ouvrages en prose, continuant à écrire de la poésie sans déployer d’efforts soutenus pour la publier, à l’exception de quelques plaquettes hors commerce à usage presque privé.
Désormais, les techniques d’impression à la demande, les blogs et le numérique (j’y reviens) ont un peu changé la donne. Tout en reconnaissant, je le répète, la qualité de nombreuses petites revues et structures d’édition ou de microédition encore en activité, je ne me sens plus guère motivé pour effectuer des envois spontanés de poèmes pour lesquels l’éventuelle décision de publication prendra des mois voire des années en raison de la faible périodicité et de la fragilité financière chronique de ces supports. Et je ne parle pas des blogs sur lesquels on peut mettre des textes en lecture tout de suite, avec toutes les illustrations qu’on veut ! Pour ne citer qu’un exemple, j’ai encore en mémoire cette petite revue à laquelle j’avais envoyé un long texte à la fin des années 90 et dont j’ai appris la publication par le plus grand des hasards six mois ou un an après, si je me souviens bien !
Si nous parlons maintenant de ce qui fâche, c’est-à-dire de diffusion et de vente, il faut bien se résoudre au constat suivant : aujourd’hui, tout poète un peu pragmatique (oui, ça existe !) est en mesure de donner lui-même à ses textes en les autoéditant et en ayant recours à un prestataire bien choisi d’impression à la demande une diffusion égale voire supérieure à ce que peut lui offrir une petite revue ou un micro éditeur, surtout si ce dernier, comme c’est parfois encore le cas (on croit rêver) est allergique à internet.
Quant à moi, n’étant pas encore tenté par l’autoédition de ma poésie parce que j’ai autre chose à faire dans le domaine du roman et de la nouvelle, je reste dans l’expectative et je m’en tiens à ma plus fréquente stratégie dans l'édition comme dans la vie : « dans le doute, abstiens-toi. »