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20 octobre 2017

En forêt

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Tu as une réunion mais en même temps pas mal de dossiers à traiter

 

Tu as cette réunion qui ne te concerne en rien et tout ce travail qui ne te concerne en rien mais que tu dois abattre car tu es payé pour cela

 

Mais la réunion qui ne te concerne en rien prime sur les dossiers à traiter parce que le nouveau directeur régional s’est déplacé

 

Il tutoie tout le monde et aime beaucoup prononcer le mot « crapoteux » pour qualifier tout ce qui relève de la vie privée de ses subalternes il confirme qu’il a un cancer de la prostate « comme ça c’est dit une fois pour toutes » avant les nouvelles techniques de management une émotion serait passée comme un ange mais chacun sait que le nouveau directeur régional est un nettoyeur combien en a-t-il à son tableau de chasse alors sa prostate c’est son problème tu as une mauvaise pensée un homme qui est rentré dans une secte après la mort de son jeune fils atteint du sida t’a expliqué que les mauvaises pensées filent droit devant celui qui les conçoit font le tour de la planète et finissent par lui revenir en pleine figure voilà où on en est au début du 21ème siècle après Lascaux les Lumières c’était bien la peine tu n’es sûrement pas le seul à avoir une mauvaise pensée à l’encontre de la prostate du nouveau directeur régional pourquoi s’émouvoir de la prostate d’un ennemi dommage pour sa femme et ses enfants qui sont peut-être gentils dommages collatéraux « il va y avoir des morts chez ceux qui ne s’adapteront pas » (dans la terminologie du nouveau directeur régional les morts sont ceux qui perdent leur emploi) tiens encore une mauvaise pensée mieux vaut perdre son emploi que sa prostate et encore une mieux vaudrait perdre le nouveau directeur régional

 

Tu n’as rien à craindre du nouveau directeur régional car tu quittes le navire aussi as-tu sur le bord des lèvres « nous n’avons pas gardé les cochons ensemble que je sache » mais tu ne dis rien car tu ne veux pas mettre dans l’embarras ton directeur local déjà jugé « trop proche du personnel » et tes collègues qui sont sympathiques tu ne vas pas jeter un froid pas aujourd’hui le moment serait mal choisi

 

À tes débuts on t’a expliqué « il est nécessaire que les dossiers soient traités rapidement » mais du seul fait de la présence du nouveau directeur régional cela n’a plus aucune importance

 

Après tout s’ils ne veulent pas que leurs dossiers avancent en quoi cela te concerne-t-il ? La réunion avec le nouveau directeur régional perturbe le traitement des dossiers et alors ?

 

Travail ou pas réunion ou pas nouveau directeur régional ou pas 90 % de toi sont déjà en forêt et 10 % seulement à la réunion ou en bagarre avec les dossiers (pourcentages donnés à titre indicatif car pouvant varier)

 

Il est 15h45 et à 16h00 tu seras sorti même si à 16h00 seule une infime partie des dossiers aura été expédiée à cause de la réunion avec le nouveau directeur régional et à 16h00 les 10 % de toi qui assistaient au numéro du nouveau directeur régional s’en iront rejoindre les 90 % qui sont déjà en forêt

 

À 16h00 tu sors à 16h02 tu dis au revoir au gardien tu passes la porte à 16h05 tu conduis ton auto en direction de la forêt et à 16h10 tu te retrouves sous l’épicéa columnaire (circonférence 2m75 hauteur totale 43m volume grume 12m3) et rien absolument rien d’autre n’a d’importance

 

C’est drôle tu marches dans la forêt en costume cravate (ça pressait trop) tu respires mieux tu respires l’air des grands arbres qui font le même bruit que la mer quand le vent met les voiles tu respires le grand air des trois sapins pectinés de plus de 40m de haut âgés de plus de 200 ans

 

Voici à peine 20 mn tu respirais mal tu respirais le même air que le nouveau directeur régional

 

Maintenant tu respires mieux tu entends la rivière tu respires l’air des feuilles mouillées tu vas pouvoir rentrer chez toi tout propre

 

Extrait de mon recueil de poèmes narratifs Estime-toi heureux, © Éditions Orage-Lagune-Express. Droits réservés.

 

17 octobre 2017

Dans l'automne flamboyant

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La caissière est accablée ainsi que le pompiste la vendeuse la guichetière le manœuvre de l’industrie et du bâtiment le garçon de café le directeur la secrétaire le représentant tous accablés l’employé administratif le laveur de vitres tous ils vivent des journées grises dans l’automne flamboyant

 

La caissière vit des journées grises dans l’automne flamboyant

 

Tu n’y peux rien qu’une grande partie de la population laborieuse de l’hémisphère nord déprime au travail et passe à côté de l’automne flamboyant

 

Toi tu ne peux rien pour la caissière tu as écrit un poème tu pourrais lui en faire cadeau elle ne saurait pas quoi dire ni faire tu la gênerais dans l’accablement de sa journée la tête des autres clients encore un de ces dragueurs

 

Tu as écrit un poème cette nuit peut-être n’a-t-il aucune valeur peut-être n’est-ce même pas un poème ou alors juste un fragment de poème un éclat

 

Tu as tiré cet éclat de poème de la mine de la vie sociale du début du 21ème siècle

 

Cet éclat brut de poème est devenu un poème entier parce qu’il t’a subitement relié à l’automne flamboyant même s’il ne parle pas directement de la splendeur de cette journée grise pour la caissière flamboyante pour toi

 

Tu as écrit ce poème sans nécessité commerciale aucun éditeur ne te l’a commandé

 

Il s’agit donc d’un acte absurde dans le contexte socio-économique de ce début de 21ème siècle en pleine gueule de bois européenne en plein milieu d’une petite ville industrielle française des massifs boisés du Bugey dont la devise est « Improbo fabrum labore ascendit » *

 

Tu as écrit ce poème comme a crié l’effraie que tu entends le soir lorsque tu fumes un cigare sur le pas de ta porte face à la forêt toute proche

 

Tu as écrit comme a piaulé la buse variable qui plane au-dessus de la clairière

 

Tu planes disent-ils tu planes pensent tes amis vous planez pourrait te rétorquer la caissière qui vit des journées grises dans l’automne flamboyant et qui aurait plus besoin d’un jour de congé que d’un poème le pauvre voilà ce qu’il a fait de sa journée un poème il plane le pauvre si c’est pas malheureux à 46 ans

 

Oui tu planes parce qu’un poème de rien du tout suffit à te relier à l’automne flamboyant oui tu planes ton regard plane parce que tu as conduit l’auto de bon matin sur le chemin départemental qui grimpe à flanc de montagne jusqu’à la crête

 

Tu as garé l’auto près de la souche du sapin pectiné géant (225 ans plus de 4 mètres de tour plus de 40 mètres de haut couché par la tempête du 27 décembre 1999) tu as continué à pied sur la crête jusqu’au point de vue d’où ton regard plane

 

Depuis la crête tu planes tu vois

 

Tu vois tout en même temps depuis la crête tu vois la ville loin la caissière aux journées grises dans l’automne flamboyant ton poème écrit cette nuit même en écoutant le Divertimento on « Sellinger’s round » de Sir Michael Tippett, la Sinfonietta de Benjamin Britten et le cri de l’effraie

 

D’ici tu vois tout et tu entends tout en même temps planer et piauler la buse variable

 

Tu vois tu entends tu sens tout de l’automne flamboyant qui lui aussi te guette t’écoute te flaire car il le peut grâce à la forêt par l’intermédiaire d’un pic d’un sanglier d’un chevreuil d’un passereau gros comme une noix

 

* « Elle s’est élevée grâce au travail opiniâtre de ses habitants »

Extrait de mon recueil de poèmes narratifs Estime-toi heureux, © Éditions Orage-Lagune-Express. Droits réservés.

Photo : ce mardi 17 octobre au couchant, vu de mon pré, derrière la maison.

 

13 juillet 2014

Carnet / De l'été pourri, des fêtes qui sonnent faux et d'un passereau qui s'en sort

Tout récemment lors d’une brève éclaircie, un passereau s’est cogné contre la fenêtre en voulant gober un insecte. Je suis sorti pour le retrouver probablement mort en bas des marches et j’ai fini par le localiser au milieu des herbes détrempées. J’ai vu ses yeux révulsés mais sa petite tête qui dodelinait faiblement  m’a encouragé à l’envelopper dans un mouchoir en papier pour ne pas l’imprégner de mon odeur et à le déposer sur le bord de la fenêtre. Il est resté là sous cette couverture improvisée et, au bout d’un long moment, il s’est dressé sur ses pattes et s’est envolé dans les frênes. Je n’ai pas pu identifier son espèce. En tous cas, ce n’était pas un bouvreuil comme la dernière fois. J’ignore s’il s’en est sorti (son cœur n’a peut-être pas tenu le choc et il est peut-être allé mourir un peu plus loin) mais l’espoir est permis.

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 Photo : premiers brouillards d'automne ? Non. Début de soirée estivale devant ma maison vers 19h ces derniers jours ! Impressionnant non ?

Le jour suivant, un gros lièvre a tranquillement traversé la pelouse devant la baie vitrée pendant que je prenais mon petit déjeuner. J’ai aussi surpris le renard à deux reprises vers deux heures du matin pendant que je me tenais immobile dehors devant l’entrée de la maison. Un autre soir pluvieux, j’ai eu la surprise de repérer un ver luisant à quelques mètres de la porte d’entrée. J’ai cru qu’il s’agissait d’un reflet dans une goutte d’eau mais non, c’était bien un ver luisant qui maintenait allumé son minuscule lampion vert bleuté dans l’espoir têtu de vivre une idylle quelle que soit la météo.

 Durant la semaine qui a précédé ce week-end j’ai retrouvé, dans la pénombre de ces jours qui devraient rayonner de lumière, les gestes de l’hiver. J’ai vidé les dernières cendres que j’avais oubliées dans la cheminée en pensant que la prochaine flambée serait pour un soir d’automne et, deux soirs de suite, j’ai allumé un feu tant les averses et le brouillard avaient enveloppé la maison d’une froide humidité. Il fait si mauvais que la chatte Linette a trouvé moyen de s'enrhumer à force de chasser dans les foins mouillés.

Ma seule (et maigre) consolation en ce ténébreux juillet est de voir (de loin) toutes les sinistres et minables kermesses organisées à grand renfort de banderoles et de sonorisations ineptes autour du vélo national emportées comme l’eau sale dans l’évier. Je ne vais pas me rendre sympathique en écrivant cela mais de toute façon, je n’ai jamais de ma vie écrit une ligne pour être bien vu (même quand j’étais payé pour « rendre hommage au dévouement des bénévoles » sans qui aucun bilan ne saurait être qualifié de « globalement positif » . Je ne vais pas commencer à cinquante-quatre ans !