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17 décembre 2022

Carnet / Quand Annie Ernaux « s'émerveillait »

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« Je est un autre » mais qui est « on » ? La littérature, surtout dans le domaine de la fiction, n'en finira jamais avec cette question qui est une fois de plus venue me tourmenter à la lecture d'un bout de citation d'Annie Ernaux en ce moment en circulation sur le réseau social. Il s'agit d'un court extrait de son livre Les Années, tiré de quelques pages évoquant le 11 septembre 2001, des propos dont la nature, le fond et la forme ramènent immédiatement à l'esprit ceux de Virginie Despentes concernant en particulier l'attentat contre Charlie Hebdo.

On lit, on est choqué et si l'on n'apprécie pas ces deux auteures, on en a que plus envie de les citer pour dénoncer chaque fois que cela sera possible leur duplicité. Leurs déclarations respectives sont si ambiguës, scandaleuses et grossièrement provocatrices, que la tâche semble facile. Illusion. Tout leur discours se construit sur le double langage, notamment de la part d'Ernaux qui, bien à l'abri du « on »  de sa narration, permet à ses plus béats zélateurs de l'exonérer de tout compte à rendre sous prétexte que telle ou telle citation serait tronquée, sortie de son contexte ou à mettre au compte de la seule littérature alors qu'il s'agit d'idéologie. 

Pour habile que soit le procédé et efficace la rhétorique, seuls ceux qui ne veulent pas voir ce qu'ils voient et ne pas lire ce qu'ils lisent peuvent trouver matière à défendre l'indéfendable au moyen d'argumentations tortueuses à seule fin de légitimer ce qui n'est que l'expression de la haine et du ressentiment caractéristiques des éternels déçus du grand soir qu'ils ne verront jamais. 

Ernaux, Despentes et tant d'autres de cette gauche et de cette extrême gauche frustrées en conçoivent une telle fureur que malgré leurs feintes et leurs arguties, ils peinent à voiler leur joie mauvaise face au spectacle de la guerre menée contre cet Occident qu'ils exècrent alors que celui-ci, par un des nombreux effets de sa décadence, s'obstine à flatter et à promouvoir ses ennemis. Ernaux en fait partie mais ne prend guère la peine de s'expliquer sur ce qu'elle a écrit à propos du 11 septembre dans Les Années, laissant cette tâche délicate à la phalange la plus fanatique de son lectorat  au moyen des procédés que j'ai précédemment décrits.

Pour qui aurait un doute sur le caractère abusivement qualifié de « tronqué » ou « sorti du contexte » de la citation de ses propos circulant actuellement sur Facebook, il suffit d'aller vérifier dans l'édition de poche Folio à partir de la page 219. On verra ainsi encore  pire que ce qu'on a lu sur internet : « Il serait temps ensuite d'avoir de la compassion et de penser aux conséquences. » (page 220).

 

27 octobre 2015

Carnet / Rendez-vous manqués au milieu de nulle part

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Une amie m’a prêté Vernon Subutex de Virginie Despentes et je me retrouve aujourd’hui à ramer avec ce roman parce que j’essaie toujours d’être attentif aux livres que me prêtent les amis, non pas parce que je me serais spontanément tourné vers une telle littérature mais parce que je trouve normal de tenir compte des conseils de lecture, surtout lorsqu’ils viennent de personnes proches. Je rame avec Despentes parce que pour moi, elle parle d’une autre planète. Pas moyen de me sentir concerné, pas la moindre empathie pour ses personnages, leurs préoccupations, leur monde, leur style, leur vie. J’ai eu du mal à commencer le livre, à le continuer jusqu’à une centaine de pages, à me forcer à doubler la mise et là, page deux cents et quelques, les jeux sont faits, je cale. La quatrième de couverture nous explique que Vernon Subutex est « le dernier témoin d’un monde révolu, l’ultime visage de notre comédie inhumaine, notre fantôme à tous » , comme si l’on nous vendait une fresque alors qu’il n’est question de rien d’autre que de vieux fêtards branchouilles traînant leur gueule de bois depuis l’adolescence dans trois rues de Paris.  

 

J’ai déjà des difficultés avec les références musicales qui sont pourtant censées être celles des gens de mon âge mais manque de chance, déjà adolescent, je n’écoutais que du classique. Encore aujourd’hui, Saint-Saëns (eh oui, Camille Saint-Saëns !) est un de mes compositeurs préférés et en ce moment, avant de commencer à écrire ce carnet, j’écoutais Scenes from the Bavarian Highlands d’Edward Elgar, dans la version pour piano et chœur. C’est dire... 

 

Alors, le rock... J’en ai certes entendu mais jamais écouté de ma propre initiative, même au sommet de ma crise d’adolescence. Un lycéen de ma classe de seconde avait quand même réussi à me traîner quelques temps dans des préfas et des salles plus ou moins paroissiales où des types de l’Association Musique Évolution produisaient du son. À cette époque, j’écoutais en boucle les Variations symphoniques de César Franck, les deux concertos pour piano de Brahms et ceux de Liszt, alors, le boucan de l’Association Musique Évolution, ça me passait loin, très loin au-dessus des oreilles, malgré les décibels. Quant aux idoles rock des grandes scènes nationales ou mondiales dont j’entendais baragouiner les noms par leurs pâles imitateurs puant la vieille clope et la bière tiède, leur tintouin et leur théâtre pseudo rebelle ne m’inspirait pas plus. À seize ans, je considérais déjà que le rock était à la contestation ce que la musique militaire est à la musique, juste une autre façon de marcher au pas. Comme prévu, le rock a aujourd’hui mal vieilli et son public de quinquas embourgeoisés jusqu’aux ongles des orteils avec. Despentes confirme, si j’ai bien lu. 

 

Mais peut-être ai-je mal lu car pour moi, Despentes est pénible à lire. Pour certains paragraphes, j’aurais besoin d’une traduction. De toute manière, Vernon Subutex n’est pas le sujet de ce carnet. Le sujet, c’est que ma laborieuse lecture des deux cents premières pages m’a juste une fois de plus rappelé que je n’ai pas aimé l’époque de ma jeunesse, ni ses musiques ni ses idées qui n’étaient d’ailleurs pas des idées mais des poses gonflées du plus grotesque esprit de sérieux. Étrange sentiment, surtout au moment des débuts d’inventaire, que celui de n’avoir jamais adhéré à ce que partageaient les jeunes de mon âge. 

 

Les années 80 et ce qui a suivi dans le domaine de la culture grand public : un arrière-goût de rendez-vous manqué au milieu de nulle part, où en dehors de la bulle protectrice et créative de la vie privée, il n’y avait probablement rien ni personne à attendre.

 

(Photo © Christian Cottet-Emard, Barcelone)