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27 octobre 2015

Carnet / Rendez-vous manqués au milieu de nulle part

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Une amie m’a prêté Vernon Subutex de Virginie Despentes et je me retrouve aujourd’hui à ramer avec ce roman parce que j’essaie toujours d’être attentif aux livres que me prêtent les amis, non pas parce que je me serais spontanément tourné vers une telle littérature mais parce que je trouve normal de tenir compte des conseils de lecture, surtout lorsqu’ils viennent de personnes proches. Je rame avec Despentes parce que pour moi, elle parle d’une autre planète. Pas moyen de me sentir concerné, pas la moindre empathie pour ses personnages, leurs préoccupations, leur monde, leur style, leur vie. J’ai eu du mal à commencer le livre, à le continuer jusqu’à une centaine de pages, à me forcer à doubler la mise et là, page deux cents et quelques, les jeux sont faits, je cale. La quatrième de couverture nous explique que Vernon Subutex est « le dernier témoin d’un monde révolu, l’ultime visage de notre comédie inhumaine, notre fantôme à tous » , comme si l’on nous vendait une fresque alors qu’il n’est question de rien d’autre que de vieux fêtards branchouilles traînant leur gueule de bois depuis l’adolescence dans trois rues de Paris.  

 

J’ai déjà des difficultés avec les références musicales qui sont pourtant censées être celles des gens de mon âge mais manque de chance, déjà adolescent, je n’écoutais que du classique. Encore aujourd’hui, Saint-Saëns (eh oui, Camille Saint-Saëns !) est un de mes compositeurs préférés et en ce moment, avant de commencer à écrire ce carnet, j’écoutais Scenes from the Bavarian Highlands d’Edward Elgar, dans la version pour piano et chœur. C’est dire... 

 

Alors, le rock... J’en ai certes entendu mais jamais écouté de ma propre initiative, même au sommet de ma crise d’adolescence. Un lycéen de ma classe de seconde avait quand même réussi à me traîner quelques temps dans des préfas et des salles plus ou moins paroissiales où des types de l’Association Musique Évolution produisaient du son. À cette époque, j’écoutais en boucle les Variations symphoniques de César Franck, les deux concertos pour piano de Brahms et ceux de Liszt, alors, le boucan de l’Association Musique Évolution, ça me passait loin, très loin au-dessus des oreilles, malgré les décibels. Quant aux idoles rock des grandes scènes nationales ou mondiales dont j’entendais baragouiner les noms par leurs pâles imitateurs puant la vieille clope et la bière tiède, leur tintouin et leur théâtre pseudo rebelle ne m’inspirait pas plus. À seize ans, je considérais déjà que le rock était à la contestation ce que la musique militaire est à la musique, juste une autre façon de marcher au pas. Comme prévu, le rock a aujourd’hui mal vieilli et son public de quinquas embourgeoisés jusqu’aux ongles des orteils avec. Despentes confirme, si j’ai bien lu. 

 

Mais peut-être ai-je mal lu car pour moi, Despentes est pénible à lire. Pour certains paragraphes, j’aurais besoin d’une traduction. De toute manière, Vernon Subutex n’est pas le sujet de ce carnet. Le sujet, c’est que ma laborieuse lecture des deux cents premières pages m’a juste une fois de plus rappelé que je n’ai pas aimé l’époque de ma jeunesse, ni ses musiques ni ses idées qui n’étaient d’ailleurs pas des idées mais des poses gonflées du plus grotesque esprit de sérieux. Étrange sentiment, surtout au moment des débuts d’inventaire, que celui de n’avoir jamais adhéré à ce que partageaient les jeunes de mon âge. 

 

Les années 80 et ce qui a suivi dans le domaine de la culture grand public : un arrière-goût de rendez-vous manqué au milieu de nulle part, où en dehors de la bulle protectrice et créative de la vie privée, il n’y avait probablement rien ni personne à attendre.

 

(Photo © Christian Cottet-Emard, Barcelone)

27 janvier 2015

Carnet / Les jours regorgeaient d’images à venir, à cueillir le nez en l’air

La nuit dernière, j’ai dormi sans interruption de 2h30 à 8h, ce qui ne m’était pas arrivé depuis des années. Cela m’a rappelé les majestueux sommeils de mon adolescence et de mes dix-huit ans. Je me sentais littéralement plonger dans le repos sans la moindre inquiétude du lendemain.

Une nuit, après une fête chez des amis et connaissances de cette époque, je me suis endormi torse nu dans un hamac. Le lendemain lorsque j’ai émergé, j’avais le dos entièrement marqué par le maillage du hamac. Cela n’avait aucune importance car une belle journée de début d’été commençait. Les jours regorgeaient d’images à venir, à cueillir le nez en l’air.

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Lisbonne, septembre 2014 (photo © Christian Cottet-Emard)

J’ignore pourquoi ce moment me revient à l’esprit des décennies plus tard, en particulier ce soir en voyant ployer de nouveau mes frênes sous le poids de cette neige incessante. Jusqu’à l’heure où j’écris ces lignes, c’était plutôt de la poudreuse mais maintenant, le vent a tourné et ce sont désormais de gros flocons qui dansent autour de l’ampoule de l’éclairage public.

Hier et aujourd’hui, je me suis autorisé quelques verres de Lagavulin à l’apéritif, histoire de me réchauffer un peu le physique et le mental. 

Des poèmes essaient de s’organiser dans ma tête mais leur moment n’est pas venu. Il ne faut rien forcer, juste attendre que ces mots et ses images passent par moi et en sortent dans l’ordre qui leur plaira. J’ai mis longtemps à comprendre que cela fonctionnait ainsi, trop longtemps sans doute, mais comme dans tous les aspects de ma vie, je suis allé à mon rythme car je suis incapable d’en adopter un autre ou d’accorder le mien à celui des autres. C’est pourquoi je ne peux m’intégrer à aucun projet collectif et encore moins travailler en équipe.

C’est aussi pour cela que l’écriture me convient comme moyen d’expression. Peu de matériel, pas de dépendance à autrui pour des tâches annexes et pas de budgets à engager. L’art du pauvre. Même pas un art d’ailleurs, ce qui satisfait ma totale absence d’ambition sociale, inversement proportionnelle à ma véritable ambition, la plus difficile à réaliser, celle de se créer soi-même en compagnie de personnes bienveillantes dans un monde lisible. Tout un programme, même pour un type de cinquante-cinq balais !