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16 octobre 2020

Carnet / Crayon, papier, pattes de mouche et dédicace provisoire

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Manuscrit de travail de mon livre Le Grand variable

Bien sûr, j’aime les crayons, les stylos, les feutres, le papier, les carnets (un peu moins les cahiers qui me rappellent l’école) mais j’emploie le plus souvent le traitement de texte.

Le dernier livre que j’ai directement écrit au stylo-plume fut Le Grand variable, ce qui remonte au moins à la fin des années 90. Le premier jet du manuscrit est un grand cahier de mauvais papier aux pages très raturées que je perds et que je retrouve régulièrement dans mon désordre. Mes pattes de mouche ont absorbé toute l’encre d’un gros étui de stylos jetables de différentes couleurs et quand ils furent tous secs, le livre était terminé.

Je n’ai pas un très bon rapport avec l’écriture manuscrite parce que depuis l’enfance, je suis extrêmement malhabile. Dans toute activité manuelle, mes mains fonctionnent mal et me trahissent. Si j’écris à la main, je suis obligé de me concentrer sur la formation des lettres pour rester lisible et cela ralentit ou entrave ma réflexion.

À l’école primaire, j’étais toujours réprimandé et parfois puni pour ma mauvaise écriture qu’on qualifiait déjà de pattes de mouche. En deuxième année de cours élémentaire, l’institutrice me fit recopier trois fois de suite une page. À chaque fois, je devais lui montrer le résultat. La première version était mon écriture naturelle, la deuxième une écriture épaisse et la troisième une écriture fine. Je n’avais tout simplement pas compris la consigne principale qui se limitait à bien former les lettres.

Au lycée, en seconde, ma prof de français me fit remarquer que mon écriture ressemblait à celle de quelqu’un qui avait beaucoup écrit, ce qui était vrai car un de mes principaux loisirs consistait depuis déjà pas mal d’années à noter dans des carnets tout ce qui me passait par la tête.

J’admire les belles écritures, posées, lisibles, élégantes, bien positionnées sur les feuillets. Je conserve dans mes archives des dédicaces et des lettres d’écrivains aux différents styles graphiques remarquables (par exemple Christian Bobin, Pierre Autin-Grenier, Jean-Jacques Nuel, Bernard Deson et quelques autres) ainsi que des courriers de peintres qui, logiquement, ont souvent de belles écritures, je pense notamment à Paul Collomb.

Les belles écritures sont souvent celles qui coulent de la source d’un beau stylo-plume. En ce qui me concerne, pas la peine de m’offrir un Montblanc, ce serait de la confiture donnée au cochon puisque j’en bousillerais la plume au bout de quelques pages ainsi que cela m’est arrivé par le passé.

Un des outils d’écriture manuelle que j’aime utiliser est le crayon à papier à la mine tendre et grasse que j’emploie parfois pour dédicacer mes livres, un exercice assez inconfortable pour moi, surtout en public sous le regard du dédicataire. Dans ce cas, j’ai du mal à me concentrer et je risque de commettre une erreur.

L’avantage de la dédicace au crayon à papier est de pouvoir la corriger d’un trait de gomme et plus tard, le propriétaire qui veut se débarrasser du livre peut toujours l’effacer. Bizarrement, ce choix suscite une certaine perplexité.

Il y a quelques temps, j’ai signé au crayon à papier un livre à quelqu’un qui a considéré avec un brin de déception que je lui faisais une dédicace provisoire. On a dit aussi que c’était parce que je n’étais pas sûr de moi. Or s’il est un domaine où je ne vois pas forcément l’intérêt d’être toujours sûr de soi, c’est bien l’écriture...

 

14 octobre 2020

Carnet / Un bout de chemin avec Le Croquant

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Michel Cornaton (à droite) en compagnie du poète et romancier Jean Pérol avec son exemplaire du Croquant sous le bras. Meillonnas (Ain), maison Roger Vailland, fin des années 80. Photo © Christian Cottet-Emard

Si ma mémoire est bonne (ce qui indique qu’elle ne l’est pas tant que cela dès lors qu’on se pose la question), la dernière livraison de la revue de sciences humaines et de littérature Le Croquant que je reçus fut le numéro double 63-64 paru en 2009. Il me semble que ce fut le dernier.

Bien que moins impliqué sur la fin, j’étais encore inscrit au comité de rédaction que j’avais intégré lors de la création dès le premier numéro en 1987. Ma participation au n° 63-64 se limita à mon hommage au poète disparu Gabriel Le Gal et à une note de lecture à propos du recueil de Roland Tixier, Simples choses, paru en 2009 aux éditions Le Pont du change.

Dans la dernière période du Croquant, je m’étais un peu éloigné de la revue tout en continuant de la soutenir et d’y collaborer occasionnellement. Cela correspondait aux années 2000 dont la décennie fut pour moi marquée par de nombreux décès dans ma famille et, en 2001, par une hasardeuse reconversion professionnelle, ce qui m’éloigna aussi un temps de l’écriture et du débat d’idées. Le travail purement alimentaire a toujours constitué pour moi une entrave à mes activités littéraires et cette contrainte pesa d’une manière récurrente sur toutes mes nombreuses années de collaboration au Croquant qui était une revue exigeante au bon sens du terme.

Lorsque le fondateur, Michel Cornaton qui vient de disparaître, me téléphona un dimanche matin de 1987 pour me proposer de rejoindre le comité de rédaction, j’étais encore pour quelques années, jusqu’en 1991, journaliste au quotidien Le Progrès, ce qui signifiait que j’avais très peu de temps libre à consacrer à ce qui m’intéressait.

Dans ce quotidien qui eut par le passé ses heures honorables mais qui était déjà en pleine déliquescence au milieu des années 80, il devenait compliqué d’imposer des sujets relatifs à la culture, notamment à la littérature. Je me souviens d’un vieux secrétaire de rédaction plutôt sympathique mais un peu borné qui m’avait sermonné au téléphone : « On n’est pas les Nouvelles littéraires ! » Celui-là avait l’excuse de son âge et de sa routine mais je me souviens aussi d’un autre, guère plus âgé que moi (j’avais vingt-huit ans à l’époque) qui m’avait demandé en maugréant « où j’étais allé chercher Charles Juliet » qu’il qualifiait de « poète obscur » ! La hiérarchie de la presse étant ce qu’elle est, je dépendais de ce genre de petit chef aussi antipathique qu’insignifiant mais accroché à son minuscule pouvoir comme le pou au cheveu pour placer un papier sur un écrivain certes moins connu à l’époque mais qui eut l’avenir qu’on sait aujourd’hui.

J’eus les mêmes problèmes avec le même type de personnes pour faire accepter des articles sur Jean Pérol au moment de son Prix Mallarmé, Jean Tardieu, un des plus importants poètes français, et bien d’autres qui avaient tous des relations étroites avec le département de l’Ain voire avec Oyonnax, la ville où j’exerçais, ce qui justifiait pleinement mes articles, mes portraits et mes reportages pourtant considérés comme quasiment hors-sujets par certains de ces journaleux. C’est une des raisons qui me conduisirent à accepter la proposition de Michel Cornaton qui me promit de me donner carte blanche et qui tint sa promesse.

Ainsi qu’il le précisait lors d’un entretien avec le secrétaire de rédaction Philippe Blanca publié dans le n° 33 de la revue, « Le Croquant est une revue d’idées et une revue littéraire. Pour moi, il y a une hiérarchie : revue d’idées, ensuite revue littéraire. »

Pour répondre à ceux qui peuvent s’étonner de mon long compagnonnage avec une revue et son fondateur dont je ne partageais pourtant pas toujours les analyses et les opinions sur des événements et des sujets sensibles (Islam et 11 septembre notamment), je précise qu’en ce qui me concerne, j’ai toujours placé la littérature avant les idées.

C’est donc sur le plan essentiellement littéraire que mon activité au Croquant s’est inscrite, d’une part en fournissant des portraits d’écrivains, des entretiens avec eux accompagnés de reportages photographiques et des notes de lectures puis, d’autre part, mes propres productions sous forme de nouvelles, de poèmes, de récits et de chroniques.

J’avais trouvé au Croquant un espace accueillant et favorable à mes écrits personnels, ce dont je serai toujours reconnaissant à Michel car c’était bien lui qui se débrouillait pour me garder ma place au gré des changements de collaborateurs et de contenus ponctuant la vie de la revue. Il eut parfois probablement fort à faire en certaines périodes car je n’étais pas toujours le bienvenu auprès de quelques membres et collaborateurs qui avaient du mal à me situer puisque je ne venais pas du milieu universitaire. Ma profession de journaliste dans un quotidien de province n’arrangeait pas les choses. Pour eux, « je venais de nulle part ! » Ce mélange des genres leur déplaisait ; or c’était justement ce que recherchait Michel qui n’avait pas envie de faire une revue purement universitaire de plus.

Le pari était risqué et les écueils ne manquèrent pas. Le premier d’entre eux fut le titre (*) choisi, Le Croquant, et son symbole, le chapeau rural (coiffant parfois une petite chouette !) et le second l’origine provinciale, ce qui fit couler beaucoup d’encre peu sympathique, grincer des dentiers et ricaner les journalistes de France-Culture lorsque Roger Dadoun qui animait une émission sur cette antenne présenta la revue. Ce genre de réaction typique du petit milieu parisien de la culture, qui ne s’est pas amélioré depuis, me rendit Le Croquant encore plus sympathique et augmenta mon intérêt à travailler pour cette revue pourtant bien éloignée de ma culture politique de cette époque durant laquelle j’étais abstentionniste.

Me tenant prudemment à l’écart des débats d’idées qui pouvaient parfois se politiser lors des différentes rencontres des comités de rédaction et de lecture, je peux dire aujourd’hui que j’évoluais au Croquant en touriste, ce qui était loin de me déplaire et qui, paradoxalement, assura sans doute ma longévité au sein de cette publication pour le moins atypique.

Avant même mon entrée au comité de rédaction, mon arrivée en 1987 dans le groupe très restreint des fondateurs du Croquant survint en pleine affaire Heidegger à propos de laquelle je fus spectateur de quelques échanges informels au cours desquels je me fis tout petit. Je savais certes qui était Martin Heidegger, et ce qui lui était reproché mais je n’avais pas encore lu Être et temps. De plus, à l’exception de quelques articles concernant cette controverse, je n’avais pas lu les livres de Victor Farias (Heidegger et le nazisme) et de François Fédier (Heidegger, anatomie d’un scandale).

Les années suivantes, d’autres affaires polémiques alimentèrent les réunions et les pages du Croquant, notamment celle du foulard islamique (1989) dont j’avoue avoir largement sous-estimé la portée parce que mes vies (privée et professionnelle) étaient en ces temps très intenses. De plus, j’avais déjà une vague conscience que cette affaire du foulard tirait vers le bas notre société en l’entraînant malgré elle dans des considérations et des débats d’un autre âge mais je n’avais pas encore réalisé qu’il s’agissait des débuts d’une stratégie délibérée qu’on nomme aujourd’hui séparatiste pour éviter de désigner l’ennemi avec précision.

Ce n’est que par la suite que le malaise grandit en moi à la lecture de certains articles publiés sur ce sujet dans Le Croquant, malaise qui évolua vers la réprobation lors de la publication dans cette même revue d’autres articles et entretiens à l’occasion d’une autre affaire, celle des Versets sataniques (1988) dont l’auteur Salman Rushdie ne faisait pas l’objet du soutien inconditionnel que j’espérais.

J’estimais cependant qu’en tant que revue d’idées de haut niveau, Le Croquant ne pouvait évidemment ignorer la complexité, ce qui m’évita de claquer la porte et accessoirement de perdre une tribune à laquelle je tenais pour la publication et la diffusion de mes écrits littéraires et paralittéraires. J’avais décidé de m’en tenir à cette attitude lorsque l’actualité frappa de nouveau le 11 septembre 2001. Ma prise de distance silencieuse avec Le Croquant fut provoquée par ma désapprobation à l’encontre d’un certain nombre de réactions à mes yeux choquantes d’intellectuels, dont certains très connus et très médiatiques, à propos des attentats, le tout constituant le dossier principal du n° 33 daté de mars 2002 et intitulé Le 11 septembre 2001 ou la dérégulation du monde.

Tout en continuant mes collaborations purement littéraires, je me fis plus rare aux réunions mais le lien ne fut jamais complètement coupé. La disparition de Michel, en dehors de la peine qu’elle me cause, accentue le sentiment d’étrangeté que j’éprouve à l’égard de ma traversée en dilettante des années Croquant, cette revue peut-être mal nommée, certainement mal comprise mais dont l’ambition, la qualité, la densité, la richesse, l’ouverture et la durée en firent une belle et complexe aventure, en particulier pour moi « qui venait de nulle part » !

 

(*) Deux anecdotes recueillies par Philippe Blanca auprès de Michel Cornaton dans l'entretien paru dans le n° 33 (mars 2002) à propos d'une origine et d'un titre controversés :

Michel Cornaton : Le titre est l'objet d'un grand débat depuis le début. Même un écrivain populaire comme Bernard Clavel nous a dit : « Quelle calamité ! Vous appeler comme ça, c'est catastrophique, changez de nom ! Si votre revue ne portait pas un nom pareil, mon éditeur Albin Michel vous aurait acheté d'emblée 100 exemplaires du n° 2. »

Toujours à ce sujet, une anecdote reprise dans un courrier des lecteurs. Roger Dadoun anime une émission sur France-Culture. En 1988, la revue est présentée pour la première fois. Quand Roger Dadoun dit « Le Croquant » , les journalistes ont le fou rire, bien sûr. En plus, il dit, bien que cela soit faux, « à Bourg-en-Bresse » . De nouveau, gros rires. « Comment ? Une revue littéraire (c'est ainsi que nous avions été présentés), à Bourg-en-Bresse ? Qui s'appelle Le Croquant ? »

 

 

12 octobre 2020

Carnet photo

C'était l'heure de la promenade en famille autour de la maison, dimanche entre les gouttes, avec Raphaël mon petit-fils (16 mois).

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