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18 octobre 2022

Feuilles mortes et pages décollées

(Une nouvelle extraite de mon recueil Mariage d'automne, nouvelle édition reliée)

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Dans l’automne joyeux et futile de la grande ville, Suzanne ajusta le col de son trench, vérifia le résultat sur son reflet dans une vitrine et se mêla à la foule qui entrait à la Fnac. Au rayon Littérature, elle feuilleta quelques nouveautés qu’elle reposa sur leurs piles respectives. Son regard s’arrêta sur un nom qui la projeta vingt-cinq ans dans le passé. Elle lut rapidement la quatrième de couverture d’un roman dont l’intrigue lui parut insignifiante et en conclut que l’auteur ne pouvait pas être Charles. À l’époque de sa rencontre avec lui au cours d’une soirée d’étudiants, Charles publiait à grand peine quelques poèmes dans des revues confidentielles. En souvenir de lui, elle avait conservé au fond d’un tiroir une plaquette éditée à compte d’auteur. Un jour, elle avait emporté ce recueil à la plage. Le soleil avait fragilisé la reliure de mauvaise qualité et provoqué le décollement de plusieurs pages. Avant de reposer le roman sur la table des meilleures ventes, Suzanne chercha tout de même une notice biographique dans les premières pages. Finalement, l’auteur était bien Charles.   « Pour-quoi n’écris-tu pas un roman ? » lui avait-elle demandé à force de le voir jeter les lettres de refus des éditeurs à même le sol de leur deux-pièces.

 

Vingt-cinq ans après, Suzanne se reprochait d’avoir posé cette question idiote. Le problème avec Charles, c’est qu’on avait toujours l’impression de lui poser des questions idiotes en évoquant son activité littéraire mais ce travers n’avait guère entamé l’attirance de Suzanne. Charles et son austère veste à chevrons, Charles et son éternel shetland noir à peine rehaussé par le col Mao d’une chemise de coton blanc, Charles avec ses allures de jeune séminariste. À quoi pouvait-il ressembler aujourd’hui ? Ce n’était pas la notice biographique dépourvue de photo qui allait renseigner Suzanne. Elle tenta sa chance avec d’autres romans de Charles, certains en format de poche, mais ne trouva aucune photo. Elle reprit son dernier roman sur la table des meilleures ventes et le lut tard dans la nuit. Écriture paresseuse, intrigue sentimentale ténue, personnages sans grande épaisseur, Suzanne n’arrivait pas à réaliser que cette bluette était l’œuvre de Charles Hansen, le jeune poète qu’elle avait connu. Après deux heures de sommeil, elle se leva et relut la plaquette de poèmes aux pages décollées.

 

Dès le lendemain matin, elle lança une recherche sur internet concernant Charles mais elle n’obtint qu’une liste de pages renvoyant à des sites d’éditeurs et de libraires. Les résumés et les couvertures des romans de Charles s’y succédaient sans interviews ni photos. Elle téléphona au secrétariat du principal éditeur de Charles pour s’entendre dire sans surprise qu’aucun renseignement personnel concernant les auteurs ne pouvait être communiqué. Pour revoir Charles, il ne lui restait pas d’autre piste que sa ville natale, une bourgade nichée dans une vallée du département voisin. Pouvait-il y résider encore ? Suzanne se souvenait de l’aversion de Charles pour les déplacements, notamment professionnels. En tous cas, Charles n’était pas dans l’annuaire. Suzanne eut alors l’idée d’appeler le journal local. Une secrétaire la mit en relation avec un rédacteur. Le localier accepta de communiquer une adresse et un numéro de téléphone. «mais vous perdez votre temps, ce type ne reçoit pas la presse » ajouta-t-il. Suzanne téléphona en fin de matinée et demanda à parler à Charles Hansen. « Pour quel motif ? répondit sèchement une voix de femme âgée. Suzanne hésita.
— Eh bien, je souhaiterais le rencontrer.
— Vous êtes journaliste ?
— Pas du tout, je suis une amie. Puis-je lui parler ?
— Monsieur Hansen ne prend aucun appel direct. Veuillez m’épeler votre nom et me laisser votre numéro de téléphone après quoi vous serez éventuellement rappelée. »

 

Une semaine plus tard, Suzanne trouva un message sur son répondeur. Elle reconnut la voix de femme âgée. «Monsieur Hansen peut vous recevoir jeudi après-midi à partir de 14h. Veuillez confirmer votre visite au plus tard mardi. » Suzanne confirma et demanda l’adresse précise.

 

Dans le rétroviseur, Suzanne vit s’envoler une brassée de feuilles mortes. Elle ralentit brusquement. Elle venait de quitter l’autoroute et roulait maintenant sur une départementale bordée de bouquets de grands hêtres agrippés à flanc de collines. Après une longue ligne droite, elle freina juste à temps pour négocier un virage en épingle à cheveux rendu très glissant par des amas de feuillage humide. En haut d’une côte, la forêt désormais clairsemée cédait la place à des prairies vallonnées obscurcies par un ciel sombre et bas. Un panneau mitraillé par les chasseurs annonçait la ville natale de Charles à une quinzaine de kilomètres. Suzanne n’avait qu’un souvenir médiocre de cette bourgade industrielle sans autre intérêt que la vallée aux pentes recouvertes d’épicéas dans laquelle elle était enclavée. L’idée de revoir Charles après toutes ces années lui paraissait maintenant aussi absurde que celle de faire demi-tour et de rentrer chez elle en jetant la clef du tiroir où elle conservait le recueil de poèmes aux pages décollées.

 

C’est dans cet état d’esprit qu’elle gara la voiture juste devant le numéro 22 inscrit sur la haute façade rénovée d’un immeuble à l’architecture datant du début du vingtième siècle. Suzanne sonna au visiophone incrusté dans un des piliers qui encadraient un étroit portillon dans une grille ouvragée surmontant un fort mur de clôture. Un déclic indiqua l’ouverture et Suzanne marcha dans une courte allée de gravier entre des buissons de buis odorants et très serrés. Elle monta quelques marches aboutissant à un perron protégé par une verrière. Face à une porte massive, elle dut de nouveau sonner et attendre. Un battant s’ouvrit. Une femme vêtue d’un ensemble bordeaux sombre et coiffée d’un chignon gris lui fit répéter son nom. Suzanne reconnut sa voix. La femme au chignon invita Suzanne à s’asseoir dans un petit fauteuil, lui demanda de patienter et s’éloigna. Dans ce hall vaste et clair à la décoration impersonnelle, Suzanne en arrivait à se demander si elle était bien au domicile de l’homme avec qui elle avait vécu quelques mois dans un meublé, le temps de finir ses études. Évidemment, Charles avait dû changer, ce qui était tout à fait normal après un quart de siècle mais décidément, cette maison silencieuse, ce bon goût contemporain, conventionnel, cet accueil guindé et ce Cerbère en chignon, tout cela ne ressemblait pas à Charles pour la simple raison que Charles, comme la plupart des gens après tant d’années, était certainement devenu quelqu’un d’autre et qu’elle n’avait rien à faire ici. «Idiote» pensa-t-elle en attendant le retour du chignon gris.

 

Quelque part, une pendule tinta. Il s’agissait en réalité d’un carillon posé sur un dressoir qui constituait le seul meuble du deuxième hall, plus petit,  que Suzanne traversait maintenant  à la suite  de la femme au chignon. «  Par ici » indiqua-t-elle en ouvrant une porte donnant sur un corridor obscur qui sentait la poussière. le corridor débouchait sur quelques marches.   «  Attention aux escaliers » prévint la femme au chignon en allumant une minuterie. En effet, les marches se terminaient sur un étroit palier d’où partait un escalier en pierre assez raide à descendre. Par une ouverture dans le mur à peine plus large qu’un hublot, Suzanne distingua les arbres du parc qui était situé au-dessous du niveau de la rue. Il fallut encore venir à bout d’une volée de marches avant d’accéder à une antichambre au fond de laquelle se découpait sur le mur blanc le bois lustré d’une haute porte. La femme au chignon frappa trois coups discrets et entrouvrit la porte sans attendre de réponse. Elle fit signe d’entrer et se retira en silence. Une forte odeur de tabac s’imposait, celle de la fumée de cigare refroidie. Les pas de Suzanne faisaient craquer les lames d’un plancher ancien. La décoration de cette pièce en rez-de-jardin qui servait à l’évidence de bureau et de bibliothèque contrastait avec celle, aseptisée, anonyme, du reste de la maison.

 

Derrière une grande table en merisier que Suzanne reconnut tout de suite parce qu’elle avait été le seul meuble qu’ils avaient installé dans leur garni au temps de leur brève vie commune d’étudiants, la silhouette de Charles apparaissait à contre-jour à cause d’une large fenêtre ouvrant sur le parc où l’on voyait des feuilles jaunes s’envoler des grands arbres. Sur la table, Suzanne reconnut aussi un presse-papier en résine en forme de chouette, un lourd cendrier noir et une lampe en pâte de verre bleue. Par la fenêtre, Suzanne vit ployer les arbres sous un coup de vent. Le ciel s’assombrit et la pénombre enveloppa toute la pièce. Charles alluma la lampe en pâte de verre et son visage émergea du contre-jour. À la place de l’homme transformé par la maturité qu’elle s’attendait à découvrir, Suzanne retrouva son ancien compagnon, mais il était à la fois le même et un autre. Il portait un pull en laine sombre d’une vague couleur lie de vin et un pantalon anthracite en toile. Le col de chemise qui dépassait légèrement du pull rappelait la tenue passe-partout des adolescents des années quatre-vingt. Suzanne se demanda comment Charles la voyait en ce moment. Elle savait qu’elle ne trouverait pas la réponse dans son regard qui n’avait en rien changé, toujours légèrement voilé, comme si Charles avait sans cesse les yeux fixés sur quelque chose qu’il était le seul à voir. C’était d’ailleurs en lui ce qui l’avait séduite puis lassée.

 

Dans le silence à peine troublé par le balancier d’une horloge comtoise que Suzanne reconnut aussi pour l’avoir vue chez les parents de Charles, trois coups discrets frappés à la porte précédèrent l’entrée de la femme au chignon. Un plateau dans les mains, elle traversa la pièce en direction de la bibliothèque et servit le thé sur un guéridon disposé près d’un sofa et de deux fauteuils en cuir râpés. Suzanne n’avait jamais vu Charles boire du thé. D’ailleurs, il n’en prit pas et invita Suzanne à goûter aux biscuits. Il demanda si la fumée la dérangeait, ouvrit un vaste humidor, en sortit un fagot de cigares reliés par un ruban de soie bleu et en alluma un après l’avoir délicatement incisé. Dans sa jeunesse, Charles fumait déjà des cigares de Cuba, de la République dominicaine, du Honduras et du Nicaragua qu’il achetait à l’unité ou en étuis de trois.  « Maintenant, tu peux te payer les boîtes !  » dit Suzanne en désignant les coffrets dans l’humidor. Pour l’instant, elle n’avait rien trouvé d’autre à dire. Elle commençait à redouter le moment où Charles lui demanderait la raison de sa visite après toutes ces années.  « Tu en veux un ? » demanda-t-il en ajoutant «maintenant, on me les offre, un comble non ? » Suzanne saisit l’occasion : « tu te rappelles, quand j’ai tiré quelques bouffées sur un de tes Havanes, comme j’ai été malade ! » Charles écrasa aussitôt le bout de son cigare dans le cendrier noir. « Je suis désolé », dit-il. « Il ne fallait pas, dit Suzanne, je suis moins fragile aujourd’hui.    «  Tu n’as jamais été fragile », dit Charles. Suzanne eut brusquement envie de partir mais Charles n’avait probablement pas eu l’intention de la blesser.

 

Dehors, le vent continuait d’enlever les feuilles. Dans cette grande bibliothèque sombre, Charles ne semblait plus qu’une ombre. Après un échange de pesantes banalités, un silence s’installa. « Tu vas bien me dédicacer un livre ? » demanda Suzanne. Charles ouvrit l’armoire réservée à ses exemplaires d’auteur. « Attends  ! », dit Suzanne. Elle déboutonna son trench pour extraire de la poche intérieure le recueil de poèmes aux pages décollées.  « Je voudrais que tu me signes celui-là ». Elle guetta une réaction, un mouvement de surprise, mais Charles se contenta de saisir le recueil avec précaution et le disposa sur la table en merisier, dans le halo de la lampe en pâte de verre bleue. Suzanne s’approcha et se pencha. Charles écrivit « Pour Suzanne » sur la page de garde. Sa main tremblait un peu. Il signa mais au lieu d’ajouter la date du jour, il inscrivit celle de l’année de leur première rencontre. 

 

Sur la route du retour, Suzanne pensa à la réflexion de Charles : « Tu n’as jamais été fragile... » Comme elle sentait ses yeux s’embuer, elle stoppa la voiture en laissant le moteur en marche à l’entrée d’un chemin forestier. Elle ouvrit le recueil de poèmes, relut la dédicace, s’essuya les yeux, ouvrit la vitre et respira l’air frais traversé d’effluves d’humus et de champignon. Apaisée, elle reprit la route, presque heureuse dans le grand vent d’automne qui éparpillait les feuilles.

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ASIN ‏ : ‎ B0BF2LSRVX

Langue ‏ : ‎ Français

ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8352502952

Poids de l'article ‏ : ‎ 263 g

Dimensions ‏ : ‎ 13.97 x 1.5 x 21.59 cm

158 pages

Renseignements, commandes et demandes de services de presse : ici.

Livre également disponible ici.

(Deuxième et nouvelle édition revue par l'auteur)

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04 février 2020

Auteur local, auteur furtif, écrivain et fromage de chèvre.

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Il est très difficile de dire à quelqu’un qui sort à peine de l’adolescence et qui veut se lancer dans l’écriture littéraire qu’il ne faut pas trop s’occuper de promotion et d’animation, qu’il s’agisse de lectures en public ou d’animation d’ateliers d’écriture. En ce qui me concerne, je trouve cette responsabilité d’autant plus écrasante que je ne suis évidemment pas sûr d’avoir raison.

À l’époque où je participais à des salons, j’étais presque certain de me trouver dans cette situation pénible auprès d’un jeune homme ou d’une jeune femme à qui je me voyais mal citer Jim Harrison, le genre d’écrivain qui n’est pas vraiment dans le registre de la séduction : « Beaucoup de gens croient que toutes les manifestations sociales entourant la littérature font partie de la littérature. Mais c’est faux. Seule compte l’œuvre proprement dite. »

À partir de cinquante ans, on le comprend facilement mais à vingt ou trente, c’est plus compliqué. Question de tempérament aussi... Le mien ne me porte pas vers les pince-fesses, sauf, à la rigueur, si l’on y trouve à boire et à manger avec suffisamment d’espace vital pour éviter les embouteillages de bedaines,  les collisions de popotins, les refus de priorité au carrefour du bar et du buffet, les brouillards d’haleines chargées et les averses de postillons parfois très consistants. Même dans ce cas, je ne suis guère disert puisque je suis bien trop occupé à ne pas renverser mon verre et à goûter à toutes ces bonnes choses. Quand j’étais petit, on m’a toujours expliqué qu’il ne fallait pas parler la bouche pleine. Les bonnes manières ont du bon, elles permettent en un tel cas de ripailler en silence et en toute bonne conscience.

Dans un salon, parmi les différents publics qui vous accostent pour d’autres raisons beaucoup moins avouables que l’achat de vos livres, certains profils sont moins sympathiques que les jeunes vocations littéraires et poétiques. Il s’agit des auteurs plaintifs. Je veux ici parler d’auteurs et non d’écrivains. Un écrivain est un auteur qui a réussi en qualité, en quantité ou les deux à la fois. Dans l’idéal, c’est aussi un auteur qui laisse aux autres la faculté et la gentillesse de lui attribuer le label d’écrivain ou de poète. On trouve dans cette noble catégorie l’auteur furtif, l’homme ou la femme d’un seul livre et qui finit par se taire puis disparaître des radars. C’est souvent un écrivain, et un bon.

L’auteur plaintif est fréquemment un auteur local qui se plaint de sa librairie locale et de sa médiathèque municipale qui n’en font jamais assez pour ses livres. Qu’il ait de bonnes ou de mauvaises raisons de le penser, il ne devrait pas s’en formaliser. Est-ce si important d’être reconnu comme auteur local ? Je ne crois pas. J’en ai déjà parlé ici et . En effet, S’il est un lieu où l’on n’aura confiance ni en vous ni en vos livres, c’est bien votre région natale. Si vous ne voulez pas la quitter, faites-en le cadre de romans noirs que vous publierez sous pseudonyme afin d’exciter la curiosité d’un public qui se détournera si vous écrivez sous votre vrai nom. Il s’agit d’un phénomène tout à fait normal et naturel.

Comment voulez-vous être pris au sérieux dans votre activité littéraire par quelqu’un qui a pu vous voir en culottes courtes et qui a pu être par exemple votre professeur témoin de votre échec scolaire avant de devenir adjoint délégué à des affaires culturelles déjà mal en point dans votre bourgade ? Et vous, prendriez-vous au sérieux cette même personne dont la promiscuité des petites villes vous a donné accès à toutes les anecdotes amusantes ? Bien sûr que non.

Cela me fait penser à cet épisode que m’a raconté un écrivain furtif. Il avait un cousin qui élevait des chèvres et produisait d’excellents fromages dont il approvisionnait avec succès plusieurs points de vente de sa région. Fort de cette réussite, il eut envie de personnaliser sa production en faisant imprimer des étiquettes et du papier d’emballage à son nom inscrit en belles lettres rouges, une manière bien compréhensible de signer ses fromages qui méritaient d’être considérés comme, toute proportions gardées, ses créations. Il se mit alors à perdre des ventes car malgré la qualité constante de ses fromages, beaucoup moins de gourmets qui l’avaient connu la morve au nez dans son enfance eurent envie de continuer à les goûter.

J’ai un peu de mal avec cette dénomination d’auteur local qui frise le pléonasme. On est toujours l’auteur local de quelque part ou, plus inquiétant, de quelqu’un. Si je me dispute avec un auteur plaintif, je peux très bien le traiter d’auteur local et si le ton monte, d’autres noms d’oiseaux bien pires comme supporter par exemple. Moi-même, je ne fais pas exception à la règle. Si je ne m’aime pas en auteur local, comment pourrais-je aimer les autres auteurs locaux ? Tout cela, voyez-vous, c’est comme l’amour et la nourriture, tout dans la tête !

© Éditions Orage-Lagune-Express

 

05 février 2019

Carnet / Magique !

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L’hiver est décidément une bonne saison pour travailler à mes deux chantiers de roman. Pour oublier la neige, rien de mieux que de rédiger les scènes d’été. La pratique du roman a ses avantages quand on fait partie de la morne confrérie des météo-dépendants, poètes et boulimiques à leurs heures. C'est aussi une forme de narration qui peut souvent marcher toute seule comme si tous les matins, la cafetière venait d'elle-même remplir le bol par la seule grâce d'une rêverie routinière.

 

Le roman, c’est vraiment la double vie, une de ces petites libertés qui font oublier que ce mot tant galvaudé n’a de sens réel qu’au pluriel. Dans ce cas-là comme dans d’autres, (amour, bonheur, désir) il est amusant de constater que le pluriel n’est pas augmentatif mais diminutif. Les libertés ne sont pas la liberté, les amours ne sont pas l’amour, les bonheurs ne sont pas le bonheur, les désirs ne sont pas le désir.

 

Il arrive que les amis qui ne lisent pas et qui, de ce fait, ont une excellente raison de ne pas me lire, s’aventurent quand même parfois à me questionner sur ma perversion (l’écriture). La question qui revient le plus souvent est d’ordre technique : as-tu un plan ? Je recommande à l’auteur qui a encore l’âge, le statut social ou l’obligation professionnelle de se prendre au sérieux (ou de faire semblant) de répondre oui, ce qui rassurera la majorité du public dont les valeurs seront toujours l’effort, la peine, le boulot, le turbin, la tâche, le défi, le challenge, enfin bref, tout le saint-frusquin.

 

N’ayant plus aucune de ces obligations, j’ai le plaisir d’affirmer que lorsque j’écris un roman, je ne veux surtout pas établir un plan. Cela m'arrive pour la nouvelle dont le format requiert éventuellement plus de rigueur alors que dans le roman, on peut à mon avis se permettre de se vautrer avec autant d’aisance qu’un sanglier dans une belle ornière pleine de boue bien épaisse.

 

Par exemple, intégrer à la scène romantique le menu du restaurant où dînent les amoureux m’enchante, ce qui présentera d’ailleurs peut-être plus d’intérêt que ce qu’ils ont à se dire dans un tel moment avec le risque élevé d'un fragment de salade coincé entre les incisives.

 

Ah ! La magie de la littérature !

 

Image : ma cafetière volante photographiée par Marie