Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28 janvier 2011

Carnet d'hiver

Perdre le goût et ne pas pouvoir profiter d’un cigare, voilà ce qui m’embête le plus lorsque je suis enrhumé. J’ai commencé par rester au chaud en avalant de l’aspirine pour que le problème se règle au plus vite, mais l’autre jour, comme la situation s’enlisait, j’ai marché jusqu’à la supérette du village en respirant à pleins poumons l’air glacial du crépuscule. Au moins, n’ai-je pas été tenté par le jaunâtre bureau de tabac qu’on dirait sorti des années cinquante, non pas parce que, n’y trouvant évidemment aucun cigare digne de ce nom, je me contente parfois, en dépannage, de Gauloises voire de Gitanes maïs, mais parce que je ne ressens même pas le goût de ces cibiches dans l’état où je suis. Même les volutes charbonnières d’un Toscane ne me feraient pas plus d’effet que de gober un altostratus. Au retour, sous la dernière ampoule d’éclairage public qui marque l’entrée dans mes broussailles, j’ai cru à une petite amélioration qu’un Woodford Reserve a confirmée. C’était donc un rhume à combattre à la bise et au bourbon. Comment s’y prend le chat pour soigner le sien, lui qui vit toujours dehors ?carnet,journal,chat,rhume,bois,affouage,blog littéraire de christian cottet-emard,campagne,hiver,william walton,william alwyn

Cette question me fait penser que je n’ai pas vu Sa Majesté ces dernières heures. J’ai beau savoir qu’il y a ces temps de la bagarre dans l’air avec ses rivaux, notamment avec le principal, un autre spécimen semi-sauvage tout aussi costaud qui tente régulièrement sa chance pour s’approprier le territoire, je suis toujours un peu inquiet car les deux ennemis ne plaisantent pas. Lorsqu’ils ont épuisé tout le théâtre de l’intimidation en se parlant japonais (ceux qui connaissent les chats comprendront), ils se sautent à la gorge et ne se lâchent qu’après de longues minutes en grondant après s’être infligés de terribles blessures. Je vois alors rappliquer sa Majesté dans un état d’épuisement qui le conduit, après des absences de durée variable, à se refaire une santé par le sommeil et la gamelle. Sa Majesté met en moyenne une semaine à cicatriser, voire plusieurs si les blessures sont encore plus graves, ainsi que cela s’est produit à trois reprises depuis que nous avons fait connaissance. La première fois, il avait une entaille béante sur le flanc, si large qu’elle a sans doute été provoquée par un animal plus gros : chien, renard ? La deuxième fois, il avait un trou rond parfaitement régulier sous la gorge. On lui avait sûrement tiré dessus. La troisième fois, il s’agissait d’une blessure plus classique provoquée par un autre chat mais particulièrement profonde. Parfois, je me dis que je suis indirectement responsable de l’âpreté de ces combats territoriaux puisque c’est moi qui ai augmenté la valeur du territoire en servant de la nourriture et en disposant, en vue des plus rudes épisodes de l’hiver, une niche en tissu matelassé dans le hall extérieur de la maison. Faut-il se mêler des affaires de la nature si l’on n’y est pas forcé ? Éternelle question...

Hier après-midi, corvée de bois. Je puise encore dans les quantités entreposées dehors par mon père (décédé en 2003) qui pratiquait l’affouage. Certaines bûches à tronçonner en trois doivent dater de 2000 et sont intactes. En les regardant donner leur bonne chaleur, j’ai une pensée pour mon père qui a construit une grande partie de la maison où j’habite. Il y a ceux qui sèment et ceux qui récoltent...

Pour me distraire de cette pensée culpabilisante, j'ai écouté tard dans la nuit la Sinfonia concertante (version 1927) de William Walton (1902-1983) et des œuvres orchestrales de William Alwyn (1905-1985), entre autres, Cinq préludes de 1927, Overture to a Masque (1940) et le concerto grosso n°1 (1943).

Photo : Sa Majesté surveille son territoire par tous les temps.

 

03 novembre 2010

Carnet des premières gelées

 Après avoir entendu parler de chats campagnards qui ne refusaient pas de finir une vieille soupe mélangée à du pain, j’ai voulu tenter l’expérience en versant un reste de potage dans la gamelle du matou semi-sauvage qui s’est approprié le territoire autour de la maison. Pas concluant.

 

chatfaitlagueule.JPG

Mardi après-midi, j’ai écouté à la radio une interprétation que je ne connaissais pas du cinquième concerto pour piano de Prokofiev, celle de Samson François. Je n’ai pas aimé du tout. Excepté dans Chopin et Debussy, j’apprécie peu ce pianiste mais sans doute son interprétation est-elle trop différente de celle que je préfère (Sviatoslav Richter fulgurant dans cet étrange concerto) pour que je puisse m’habituer à une autre.

 41rKY0ySUOL._SL500_AA300_.jpgLes premières gelées se succèdent. Les bons moments au coin du feu exigent une contrepartie : tronçonner et ranger des quantités de bois. Est-ce cette activité qui m’a conduit à lire Winter de Rick Bass ?   Peut-être. En tous cas, les mésaventures qu’il relate à propos du maniement des tronçonneuses incitent à la prudence. Au point de vue littéraire, je lis cet auteur sans ennui mais sans m’expliquer l’enthousiasme qu’il a pu susciter auprès de quelques critiques.

12 août 2010

Tu écris toujours ? (56)

maglivres23.jpgConseils à ceux qui croient pouvoir aider un écrivain en difficulté

Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? illustré par le dessinateur Miege est paru dans le Magazine des livres n°23 (mars/avril 2010)


Lorsque Sir Alfred, le chartreux de mon voisin écrivain, traverse ma pelouse en courant, c’est qu’il est précédé d’une minette véloce et talonné par un rival. Cette scène bucolique revient toujours en d’humides demi-saisons qui ne sont pas encore d’actualité. Or, j’ai pu constater l’autre jour que Sir Alfred, malgré son indéniable maturité, venait tout bonnement de pulvériser son record de vitesse en sortant aussi vite de mon champ de vision qu’il y était entré. Il était suivi par la gouvernante de mon illustre voisin, Madame Tumbelweed, qui, à la différence du matou, sonna à ma porte.

Un tel événement ne survient qu’en période de fêtes, lorsque cette dame qui connaît mon goût pour le canard à l’orange a la gentillesse de m’offrir une portion de celui qu’elle cuisine avec un art — comment dirais-je ? — consommé. Puisque nous ne sommes ni en période d’amours félines ni en période de canard à l’orange, j’en déduisis qu’une situation anormale contrariait les habitudes du chartreux et la retraite paisible du romancier. Ainsi que me l’indiqua Madame Tumbelweed en me demandant de bien vouloir ouvrir mes volets, requête acceptable vers 11h30 du matin, je pus vérifier que plusieurs véhicules bariolés aux enseignes de différents supports de presse écrite et audiovisuelle stationnaient aux abords de la vénérable demeure. « Il y en a même un qui s’est garé sur la tombe de Sacha ! » déplora Madame Tumbelweed (Sacha était le molosse baveux emporté par la vieillesse et par une dépression nerveuse provoquée par l’arrivée au domicile de Sir Alfred). Au fait, avez-vous remarqué que de nombreux chiens s’appellent Sacha mais que très peu de chats se nomment Sachien ? Cette remarque pourtant pertinente si l’on veut bien y réfléchir laissa Madame Tumbelweed de marbre.

L’excellente personne en avait si gros sur le cœur qu’elle ne tarda pas à m’expliquer la raison de ce débarquement de journalistes sous les fenêtres de son employeur.

Mon voisin, auteur d’un best-seller racontant la naissance et la mort d’un amour, se trouvait depuis quelques jours sous le feu d’une accusation de plagiat. La rumeur avait filtré d’internet, coulé dans la presse de caniveau pour se jeter tel le fleuve à la mer dans la presse littéraire qui aurait fait office d’enceinte de confinement sans l’attention toute particulière d’une vieille connaissance de notre auteur choyé par le succès, à savoir : son ennemi d’enfance. Cet arriviste besogneux s’était quant à lui empêtré dans le marigot de la presse régionale où il avait culminé au poste peu envié de directeur départemental au Républicain Populaire Libéré du Centre. Telle une araignée espérant la mouche au fond de sa toile poussiéreuse, l’homme de presse avait guetté pendant des décennies le faux pas pouvant entacher la réputation de l’homme de Lettres qu’il estimait génétiquement programmé pour échouer dans l’existence. « Ces deux-là, ils se détestaient avant leur naissance » , témoigna Madame Tumbelweed qui connaissait bien les deux familles. Elle m’assura que lorsque les deux mamans s’approchaient l’une de l’autre à moins de deux mètres, leurs bébés tambourinaient contre leurs ventres comme s’ils n’avaient de cesse de sortir pour en découdre, ce dont ils ne se privèrent point durant leur scolarité et leurs études puis à leurs débuts communs dans la presse. L’un s’y enkysta, l’autre s’en échappa pour connaître le glorieux destin que l’on sait. « Alors, vous comprenez, cette histoire de plagiat, cette calomnie, c’est pain béni pour ce gredin ! » gronda madame Tumbelweed qui attendait visiblement une suggestion de ma part, un de ces conseils éclairés dont elle me sait prodigue et qu'elle pourrait transmettre à son seigneur et maître.

Pris de cours comme je le suis toujours si l’on me sollicite le matin puis à l’approche du déjeuner mais plus encore pendant le déjeuner et de manière extrême au moment de la digestion et de la sieste, je proposai à Madame Tumbelweed de revenir vers 17h, après le goûter. Je sais bien que je devrais dire « après le thé » pour faire plus chic mais Madame Tumbelweed ne serait pas dupe. D’ici là, je trouverais peut-être le fameux conseil. Pour l’aider à patienter, je lui confiai qu’en ce qui me concernait, en cas de difficulté, j’avais l’habitude de faire le point. Même si cela ne mène nulle part, on peut toujours faire le point, quoiqu’il arrive. Dieu sait pour quelle raison, je la sentis sceptique lorsqu’elle prit congé.

Finalement, l’après-midi passa vite (je me demande bien pourquoi) et, plus étrange encore, Madame Tumbelweed ne revint pas prendre livraison de mon conseil. Cela tombait bien car je n’en avais trouvé aucun. Un seul me vient maintenant à l’esprit : ne jamais oublier que parfois, la seule solution de certains problèmes est l’absence de toute solution.

Retrouvez des épisodes de mon feuilleton dans l'édition en volume de Tu écris toujours ? publié aux éditions Le Pont du Change.