12 mars 2016
Carnet / De la quête de joie
Ce qui me frappe lorsque j’écoute de la musique de Jean-Sébastien Bach, c’est que cet homme devait savoir au plus profond de son âme ce qu’est la joie.
Pourquoi ai-je toujours le Portugal en tête ? Parce que j’aime ce pays qui, malgré ses problèmes et les grandes difficultés des gens, me semble à l’aise avec son identité et sa culture et qui n’est pas déchiré, en train de se fragmenter et de se couper de ses racines comme la France. Les Portugais n’ont pas besoin de grands mots vides et d’incessantes controverses sur des sujets d’un autre âge. Ils ne sont pas tirés vers le bas par la complaisance envers des croyances et des mœurs archaïques qui tentent de s’imposer chez nous par la pression sur les institutions ou par la violence. Leur mode de vie, leur sensibilité à la culture littéraire et ce que Pessoa appelle « l’âme Atlantique » contribuent à les définir et à les unifier. C’est en tous cas ainsi, en toute subjectivité, que je perçois ce peuple sans pour autant l’idéaliser et bien sûr sans prétendre le réduire à ma simple vision de touriste, ce qui serait heureusement impossible.
Les crocus et quelques jonquilles devant chez moi, enfouis sous vingt centimètres de neige depuis une semaine, réapparus tout frais comme si de rien n’était au petit soleil. Je devrais m’en inspirer sous le voile gris qui me masque si souvent la lumière depuis trois ans. Mais je ne suis pas une fleur.
La croissance des jours enfin perceptible, pour sortir un peu de la déprime de la neige et de l’obscurité. La nuit, j’entends le fracas sinistre des blocs de neige gelée qui s’écroulent des toitures quand le vent tourne au sud et que la campagne s’ébroue comme un ours au réveil.
Pas question de vacances d’hiver ou de printemps. Je persisterai à dire « les vacances de Pâques, « les vacances de Noël » , surtout dans le contexte actuel.
Mes récentes emplettes musicales :
Camille Saint-Saëns, trios piano, violon, violoncelle n°1 opus 18 et n°2 opus 92 par le trio Wanderer (Harmonia Mundi).
Alexandre Guilmant, sonates n°1 opus 42 et n°5 opus 80 par Olivier Vernet à l’orgue Thomas de la cathédrale de Monaco (Ligia).
Nikolaus Bruhns, Cantates allemandes par le Cantus Cölln et Konrad Junghänel (Harmonia Mundi), très bien pour commencer à s’immerger dans l’ambiance de Pâques, fête à laquelle je suis particulièrement sensible.
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07 mars 2016
Carnet / Conservateur ?
On me reproche d’être parfois conservateur. Je ne vois pas où est le mal, c’est qu’il y a au moins quelque chose à conserver.
Vieillir c’est se fragmenter, devenir plusieurs personnes en désordre mais ce n’est pas pour autant que l’on en soit augmenté. Au contraire on diminue, on est diminué en devenant plusieurs.
Cette réplique de la sœur d’Honorine qui m’avait échappé alors que j’avais vu plusieurs fois le film Fanny réalisé par Marc Allégret et écrit par Marcel Pagnol : « Tout ça, c’est terriblement tragique, mais on peut manger quand même ! »
Le responsable d’une petite revue de poésie à laquelle j’ai été abonné qui me propose de « prendre des textes ». C’est gentil mais la publication prendra des semaines ou des mois et la diffusion sera confidentielle. Si je mets ces textes en ligne sur mon blog, ils seront lus tout de suite par beaucoup plus de monde. Alors à quoi bon ?
Sur Arte télévision, un jeune dessinateur (à peine trente ans, peut-être moins) dont j’ai oublié le nom explique doctement que les attentats menacent moins la sécurité que les lois sécuritaires. Cette ânerie m’en rappelle une autre proférée il y a quelques années par une de mes connaissances un peu plus âgée que moi alors que nous signions nos ouvrages au défunt salon Place aux livres à Lyon. Le salon situé au beau milieu de la place Bellecour avait été attaqué aux cocktails Molotov par des émeutiers venus de la banlieue. Réagissant à mon intention de ne pas revenir le lendemain, la personne en question m’avait déclaré en souriant : « Ce n’est pas des petits jeunes qu’il faut avoir peur mais des CRS. » Jamais je ne pourrai m’habituer à ce genre de raisonnement, c’est pourquoi je suis si isolé dans la sphère des « cultureux » . J’ai beau avoir le cœur à gauche sur le plan social, il n’en va pas de même pour ce qui touche à mon point névralgique, la sécurité, à mes yeux la première de toutes les libertés.
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28 janvier 2016
Carnet / De la logique, de l’orgue, du vent et de la tentation d’exil
Je travaille à la publication de dix ans de mes carnets et je me rends compte que l’agencement du livre, probablement en deux parties, risque de manquer de logique. De toute façon, la logique, je me suis toujours assis dessus et je peux même dire que c’est elle qui m’a conduit à commettre mes plus grosses bêtises lorsqu’il m’est exceptionnellement arrivé de lui céder.
Une amie au téléphone : « pourquoi une telle passion pour l’orgue ? » Je n’ai pas su répondre avec précision mais en y réfléchissant un peu plus tard, je crois que la réponse est dans un souvenir.
Dans mon jeune âge, je venais de découvrir l’orgue de Nantua et j’avais fait la connaissance de son titulaire de l’époque, Joseph de Bassompierre. Après l’avoir écouté en répétition dans l’abbatiale Saint-Michel, je l’avais accompagné chez lui à Groissiat où il m’avait joué la Berceuse de Louis Vierne au piano dans son salon. La fenêtre était grande ouverte sur une somptueuse journée d’été et je voyais au loin onduler les foins sous une brise soutenue. C’est alors qu’une association d’idée entre la houle des foins et le rythme de la musique de Vierne s’est imposée à mon esprit. Joseph jouait au piano mais curieusement, mon oreille transposait à l’orgue. De retour chez moi, j’ai cherché la Berceuse de Vierne dans ma discothèque et je l’ai de nouveau écoutée en contemplant l’ample balancement des feuillages dans la brise d’été.
Depuis ces deux épisodes, je n’ai jamais cessé d’associer l’orgue aux mouvements du vent, ce qui est logique puisque la musique d’orgue, c’est de l’air qui passe dans des tuyaux. Lorsque je me promène en forêt les jours de grand vent, j’entends des sons d’orgue et lorsque j’écoute des œuvres d’orgue, je rêve au vent dans les arbres et dans les champs. Les orgues sont le plus souvent dans les églises dont les piliers et les voûtes évoquent évidemment la forêt. Tout cela est intimement lié dans mon esprit, surtout en ce qui concerne l’orgue de Nantua qui a été construit en 1845 à Mirecourt dans les Vosges (pays de forêts) par le facteur Nicolas-Antoine Lété. Nantua dans l’Ain est aussi en région forestière.
La restauration de l’orgue de Nantua n’est pas encore commencée que sa voix me manque déjà. Heureusement, je possède les disques enregistrés sur cet instrument exceptionnel, notamment l’œuvre pour orgue de Robert Schumann interprétée par Philippe Lefebvre. Les enregistrements ont été réalisés du 6 au 8 janvier 1976 mais je n’ai découvert cette musique que plusieurs années plus tard, en particulier les Six fugues sur le nom de Bach opus 60 auxquelles je ne cesse de revenir. Ces dernières semaines, je m’en imprègne le jour et parfois la nuit. L’œuvre m’accompagne bien sûr depuis des décennies, comme le son unique de l’orgue de Nantua.
Chaque fois que j’envisage de m’installer à Lisbonne par goût pour cette ville et ce pays mais aussi par lassitude et crainte d’une France qui peine à réagir face à l'ennemi et qui ne semble parfois plus gouvernée, j’imagine tout de même avec perplexité quelle vie serait là-bas la mienne loin de ce repère essentiel qu’est pour moi cet orgue, dans cette abbatiale qui est aussi le centre et le point névralgique de plusieurs moments décisifs de mon existence. Pour mon dernier voyage, le moment venu, il ne me déplairait pas de partir de là-bas si cela n’était pas trop compliqué pour mes proches.
Photo : orgue à Lisbonne © CC-E
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