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02 novembre 2022

Aujourd'hui, Jour des Défunts.

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De la dernière demeure

Bien que je n’en fasse pas une obsession, je suis attaché à la Toussaint, au Jour des Défunts et aux sépultures où sont inscrits dans la pierre les noms et les dates des disparus.

Si je respecte la volonté de qui souhaite la crémation, je suis quant à moi rétif à cette pratique funéraire étrangère à ma culture occidentale. Je ne souhaiterais pas plus que ma dépouille soit déposée dans un cercueil en carton ou emmaillotée en position fœtale dans un cocon destiné aux plantations qu’un employé des Pompes funèbres reconverti en pépiniériste irait disposer dans quelque forêt du souvenir.

Je n’en imposerai pas pour autant à mes proches des dernières volontés qui leur causeraient des problèmes matériels et ils pourront agir à leur guise au cas où je n’aurais pas été en capacité de prévoir de mon vivant les obsèques de mon choix.

Tous mes défunts reposent dans des tombes classiques et des caveaux de famille et j’espère qu’il en sera ainsi pour moi avec mon nom et mes dates ainsi qu'au préalable, la Croix sur mon cercueil. À l’ancien cimetière d’Oyonnax, les familles Cottet-Emard-Bondet ont deux caveaux avec monuments situés côte à côte, l’un de style années trente, l’autre beaucoup plus ancien encore marqué par l’esthétique funéraire du dix-neuvième siècle. Comparées à d’autres, ces sépultures sont relativement sobres d’aspect mais de toute façon, en matière d’art funéraire, rien de ce qui peut être aujourd’hui perçu comme théâtral ne me choque, pas même ces monuments munis d’une porte d’entrée et entourés d’une grille avec un portail où ne manque que le panneau Propriété privée ! Une telle sépulture me conviendrait très bien et je serais ravi que des amoureux puissent venir s’y bécoter en toute tranquillité !

J’aime l’idée que les défunts aient leurs parcs arborés où se déploient leurs boulevards, leurs allées, leurs rues, leurs maisons, leurs monuments, leurs colonnes, leurs coupoles, leurs chapelles, en un mot leurs demeures humbles ou prestigieuses avec des limites de propriétés bien tracées. À cet égard, je me situe radicalement à contre-courant de l’esprit funéraire d’aujourd’hui, ce qui m’exposera, je n’en doute pas, si je suis incapable de tout financer et de tout organiser moi-même, à finir en cendres au mieux dans une cavurne (horrible mot !) ou propulsé dans quelque fantaisie écolo-New Age quand ce ne sera pas en carbone vitrifié serti dans une bague qui se retrouvera un jour ou l’autre au fond d’un tiroir ou au marché aux puces.

J’avais dix-neuf ans quand mon arrière- grand-mère née en 1882 est décédée à quatre-vingt seize ans. Très présente dans mon enfance et mon adolescence, c’est à elle que je dois le sentiment d’une profonde proximité culturelle avec le dix-neuvième siècle. À bien des égards, je me sens comme un homme du dix-neuvième siècle, notamment dans mon rapport à la mort et aux rites funéraires. Même si mes obsèques et ma sépulture ont peu de chances de ressembler à celles d’un homme de cette époque, ce que je regrette, je ne me sentirai jamais en phase avec ce qui est aujourd’hui dans l’air du temps en ce domaine. C’est ici malgré moi ce qui parle en tant qu’homme occidental ancré dans l’esprit du dix-neuvième siècle, oscillant en permanence entre une spiritualité assez rustique, un matérialisme certain et un profond individualisme, ce qui explique ma conception classique du rituel funéraire occidental tel que je le conçois, en opposition totale avec ce qui est aujourd’hui préconisé.

Une raison plus profonde préside cependant à mon positionnement qui peut évidemment paraître réactionnaire, affecté ou tout simplement folklorique. En ce qui me concerne, je ne crois qu’à une chose en ce monde : l’individu unique et irremplaçable, ce que la science corrobore au moins dans l’état actuel des connaissances. Or, si nous y réfléchissons un peu, nous ne sommes dans la vie pas souvent reconnus comme des individus. Que ce soit dans le travail ou dans la vie sociale, notre individualité est le plus souvent niée. Notre organisation sociale nous conditionne dès l’enfance à l’engagement collectif, à privilégier le fonctionnement du groupe, s’il le faut au détriment de l’épanouissement individuel. Il est toujours assez mal vu de dire je. En littérature, l’autobiographie n’a jamais été aussi décriée qu’aujourd’hui. On m’a plusieurs fois reproché d’employer la première personne dans certains de mes articles publiés dans la presse littéraire. Dans la sphère privée, à part le cercle le plus proche de notre famille et de nos amis, nous ne sommes guère plus considérés dans notre individualité. Quant aux relations amoureuses, qui n’a pas eu au moins une fois dans sa vie l’occasion de mesurer à quel point une rupture sentimentale fait directement passer du statut d’individu unique et irremplaçable au statut de moins que rien ?

Chacun doit s’accommoder à sa manière de cette souffrance à voir son individualité non reconnue voire carrément niée et c’est là que j’en reviens au rite funéraire occidental et à son expression dans la pierre ou le marbre d’une tombe, d’un caveau ou d’un monument surmontés d’un nom et de deux dates, comme un pied de nez certes dérisoire à la fin d’un être unique et irremplaçable qui passa le temps d’un clignement de paupière dans l’immensité absurde de la création et le hasard de l’éternité.

 

Photo Christian Cottet-Emard

 

02 septembre 2022

Carnet / Rencontres photographiques d'Arles 2022. Vers un nouvel art officiel.

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De retour des Rencontres de la photographie d'Arles, la ville du vent dans les allées de platanes et du fleuve en habit de lumière. Toujours le même plaisir de retrouver la grande courbe du Rhône dont les quais soulignent la patine des quartiers anciens mêlant prestige architectural et quotidien des habitants, ce qui fait qu'une cité chargée d'histoire n'en reste pas moins vivante, y compris dans ce que l'évolution de la modernité, pas forcément au bon sens du terme, peut apporter comme désagréments. Par exemple, je ne peux m'empêcher de ressentir un certain malaise face à toutes ces immenses églises « désaffectées » (ce terme signifiant ici qu'à l'issue d'une procédure, elles perdent leur usage religieux et deviennent ainsi de simples bâtiments).

Abondamment utilisés comme lieux d'exposition dans le cadre des Rencontres de la photographie, ces édifices jadis voués au culte sont parfois plus intéressants à visiter que les expositions qu'elles abritent, surtout lorsque, comme pour cette édition 2022 des Rencontres, l'on a affaire à une année médiocre si je compare à ce que j'ai connu en 2018 et 2019. Je regrette de ne pas avoir pu fréquenter l’édition 2021, époque à laquelle les restrictions dues au Covid m'ont dissuadé de me déplacer. Je préfère le retrait dans ma campagne déserte à l'obligation de porter un masque dans une ville du sud en plein été.

Le grand méchant Occident

L'édition 2022 des Rencontres de la photographie d'Arles, comme d'autres grands rendez-vous culturels, illustre l'avènement d'un nouvel art officiel avec ses certitudes, ses messages lourdement assénés, ses thèmes obligés et ses leçons de morale. On y voit et on y analyse le monde et ses problèmes à l'aune de l'accusation permanente de l'Occident dénoncé sans nuance comme seul responsable de tous les maux de la planète. Cette pensée unique soi-disant progressiste que nous connaissons bien désormais n'échappe pas aux vieux démons de l'esprit totalitaire qui ne voit que ce qu'il veut voir (le patriarcat seulement en Occident, les atteintes à l'environnement exclusivement provoquées par les seules activités occidentales, les femmes maltraitées par le seul mâle blanc occidental et tout à l'avenant).

Lorsqu'on enchaîne les visites des nombreuses expositions et installations, on imagine sans difficulté les critères de choix appliqués aux photographes et vidéastes retenus. Il apparaît que même dans les rares créations moins politisées, les artistes ont sans doute dû se débrouiller pour laisser dans leurs textes de présentation au moins une trace, aussi succincte fût-elle, d'allégeance au discours tacitement imposé. Souvent pollués par l'écriture dite inclusive, les commentaires et textes de présentation perdent en lisibilité, ce qui m'a permis de faire l'économie du catalogue général dont je fais habituellement l'acquisition (je pratique le boycott de toute publication ainsi rédigée).

Fatigue créative

Malgré les travers que je viens d'évoquer, j'ai eu plaisir et intérêt à arpenter quelques expositions thématiques et documentaires, Lee Miller (mannequin, proche des surréalistes, photographe accréditée par l'armée américaine à la Libération), Un monde à guérir (photos témoignant de l'action de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge) et Chant du ciel (réflexion sur le thème du nuage incluant aussi ce fameux « cloud » où vont s'accumuler les traces les plus apparemment anodines de nos activités virtuelles sous formes de données qui finissent par nous échapper individuellement tout en prenant une valeur commerciale collective). 

Cependant, c’est sur le plan de la photo et de la vidéo de création que s’illustre la faiblesse des Rencontres 2022. De nombreux aspects de ce segment attestent d’une fatigue voire d’un épuisement des démarches créatives individuelles par conséquent affectées par les habituelles dérives de l’art contemporain : facilité minimaliste masquant sa vacuité par la prolifération et donc l’inflation du commentaire, concepts relevant du gadget voire de l’imposture (ou carrément de ce que j’appelle la culture des poires) et délectation morose. Une des rares grandes expositions évitant certains de ces écueils (mais hélas pas celui du récurrent message anti-occidental) est L’avant-garde féministe où parviennent à s’équilibrer le documentaire et la création.

Déambulation

Les Rencontres de la photographies d’Arles, dans leurs différents et forcément inégaux millésimes, sont toujours l’occasion d’une agréable déambulation dans des lieux surprenants et parfois étranges (grands appartements désertés voire en ruine, terrasses sur les toits, hangars, églises désaffectées, ailes de musées, squares et jardins publics, parking intérieur du Monoprix local…) dont l’atmosphère apporte un supplément d’âme à ce qui est montré quel qu’en soit l’intérêt au sens très subjectif du terme. On peut même se restaurer dans certains lieux comme l’Espace Croisière.

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À l'espace Croisière

Rien ne vaut pourtant un bon restaurant après une journée de visite à pied. Si cette visite s’est accompagnée d’un passage à la vaste librairie Actes Sud où l’on trouve l’intégralité de la fameuse collection Photo Poche éditée par cette maison, il ne reste plus qu’à s’installer juste à côté à une table en plein air de L’entrevue, tout près du quai du Rhône, un excellent restaurant de spécialités méditerranéennes (délicieux et copieux Tajines). Autre bonne adresse plus haut dans la ville : L’Escaladou (cuisine provençale maison).

  

 

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30 juin 2022

Carnet / Du moment à poème

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Il m’arrive d’évoquer ce que j’appelle un moment à poème. Voilà qui mérite une définition précise.
 
Ce que je nomme ainsi, faute de mieux, est un épisode de la vie, rare, souvent assez bref mais pas forcément fugace, au cours duquel les conditions se réunissent pour que naisse un poème, y compris pour quelqu’un qui n’écrit pas de poésie ou qui n’écrit pas du tout mais qui a, comme beaucoup de monde, une nature poétique ou tout au moins une forme de conscience qui s’en approche, ce qui fait encore plus de monde.
 
Je crois que n’importe qui peut vivre un moment à poème sans y prêter beaucoup d’attention ou sans s’en apercevoir tout de suite mais il suffit de se montrer attentif au discours d’un individu pour parvenir parfois à en détecter un dans son récit, le plus souvent dans le récit de ses souvenirs. Le moment à poème a beaucoup à voir avec un sentiment de plénitude intellectuelle, affective et physique bien qu’il ne relève pas d’une forme de spiritualité particulière et encore moins d’une illumination mystique ou simplement philosophique.
 
Le moment à poème survient dans un contexte très concret voire carrément dans le quotidien mais c’est justement aux limites du cadre du quotidien, un petit peu comme un enfant déborde dans ses coloriages, que l’épisode se produit dans une sorte de bulle temporelle et dans un espace qui semble lui aussi se modifier, même de la manière la plus infime. La seule certitude est qu’il se passe quelque chose et que cela restera inscrit dans la conscience et dans la mémoire jusqu’à la fin de la vie. Le moment à poème est un état très affuté de la conscience positive car s’il contenait ne fût-ce qu’une once de négativité, il n’entrerait pas dans la définition et n’aurait de la sorte ni intérêt ni bénéfice à rester gravé aussi durablement dans l’esprit. Alors serait-ce tout simplement ce qu’on appelle un moment de bonheur ou de grâce ? Pas seulement.
 
Les moments de bonheur peuvent être nombreux, aisément identifiables et aussi faciles à expliquer qu’à décrire, ce qui n’est pas le cas du moment à poème. La conscience du moment à poème ne navigue pas sur les eaux troubles de la nostalgie parce qu’en un tel cas, il serait prisonnier du passé; or cet épisode qu’on ne peut pas qualifier de révélation mais plutôt d’épiphanie si l’on veut se rapprocher d’une définition plus adaptée, se caractérise par l’intensité de son éclat et de sa permanence dans le temps d’une vie humaine dans laquelle il brille comme l’or, le diamant ou l’étoile, même s’il naît du quotidien le plus humble. L'une des principales caractéristiques de cette expérience est une sensation de parfaite présence au monde et d'adéquation avec l'environnement dans lequel elle survient.
 
J’ai identifié un moment à poème dans la vie de plusieurs membres de ma famille. Ils en vécurent peut-être d'autres au cours de leur existence ainsi qu'il en est dans la mienne. En ce qui me concerne, la pratique de l'écriture qui est une sorte de vie multiple m'aide à les détecter.
 
Pour un de mes oncles, ce fut un matin clair, très tôt, en voiture sur une petite route baignée de la lumière des beaux jours. Pour ma mère, ce fut au bord d'un lac qui n'est presque plus accessible aujourd'hui. Pour mon père, ce fut dans la forêt en hiver. C’était beaucoup plus qu’un souvenir. Il racontait qu’avec quelques camarades, au début des années soixante, il avait passé une journée à aider un ami à couper des épicéas et des sapins sur sa parcelle forestière pour le Noël de la paroisse. L’activité s’était prolongée jusqu’au soir de ce début décembre et dès la nuit tombée, une nuit très froide et très étoilée, le petit groupe avait fini la soirée par un casse-croûte et un vin chaud dans la cabane forestière, autour du poêle à bois et dans le halo de la lampe à pétrole. Mon père a eu une vie austère et semée d’embûches mais ce moment qu’il évoquait parfois avec une sorte d’étonnement était à l’évidence un des creusets de sa jeunesse, de son élan vital, de sa présence au monde et de son espérance en l’avenir. Bien que doté d’un esprit rationnel et d’une intelligence qui le portait plus vers les techniques et les sciences que vers la poésie, il avait réalisé que ce moment serait unique et qu’il le resterait jusqu’au bout ainsi que le lui murmurait cette voix discrète qu’est la nature poétique présente dans la noblesse de chaque esprit élevé.