21 février 2018
JEAN PÉROL, L'INFINI VA BIENTÔT FINIR, poèmes, éditions La rumeur libre, décembre 2017, 136 pages, 16 €.
pressé vers l’ombre de dévaler
sur son vélo au bruit de vent
il fuit toujours vers ses vallées
au fort soleil de ses torrents !
Ces quatre vers lumineux et rapides de la dernière strophe de Torrents, l’un des poèmes qui arrivent en fin du récent recueil L’Infini va bientôt finir (éditions La rumeur libre) me semblent au mieux caractériser, pour qui n’aurait pas encore la chance de la connaître, la poésie de Jean Pérol. Peu importe à quels plis du temps et à quelle ligne d’horizon appartient celui qui file sur sa machine / parmi ses peurs et ses forêts.
Acteur ébloui de jeunesse ou narrateur que l’âge tourmente, ce personnage à vélo traversait déjà les paysages de la précédente brassée de poèmes parue chez Gallimard en 2012, Libre livre. Pour nostalgique qu’elle soit, surtout dans le présent opus composé comme un lamento en cinq chants sur l’ombre du grand âge, l’image du jeune homme à vélo sur les chemins de traverse symbolise l’œuvre poétique et romanesque de celui que Claude Michel Cluny considère comme l’un des meilleurs poètes contemporains.
Engagé dans la vie mais non embrigadé, voyageur mais non sans racines, Jean Pérol a connu les courants des idées et de la création sans se laisser emporter par l’un d’eux. C’est sans doute ce qui peut le rendre si proche à qui le lit aujourd’hui et le lira demain comme un poète certes exigeant mais populaire au sens noble du terme.
Chacun de ses poèmes est une expérience qui peut être intimement partagée parce qu’elle va, comme toutes les grandes œuvres, du particulier à l’universel, y compris dans cet Infini qui va bientôt finir presque toujours écrit à l’encre vraiment très noire quand il évoque les coupeurs de têtes d’hier et d’aujourd’hui (perruque blanche ou barbe noire). Ils peuvent s’embrasser sur la bouche / leurs salives / ont le même goût fétide des vieux sanguinaires écrit-il dans le poème Justiciers qui commence par le nom de Robespierre et continue par ce mot hélas de notre actualité djihadiste.
Depuis son âge et sa campagne qui ne sont pas pour autant des tours d’ivoire, le poète trouve encore un peu de réconfort : passe le vent dans ma prairie / loin des footeux loin des maffieux / j’ai pour tableaux les plus grands cieux. Cependant le paysage, toujours très présent dans la poésie de Jean Pérol, ne fait pas l’économie du trivial contemporain : Passent et passent les joggeurs / lent cinéma de leur supplice / sous leurs baskets les allées crissent / le long des grilles qui les gardent. {...} venus prouver que sans blabla / ils ne font pas que de bouffer / que leur grand ventre reste plat / et qu’au bureau ça va cheffer.
Malgré l’ironie sombre au fil des pages, soulignée par l’emploi de la forme fixe et de la rime, (C’est par la rime et l’assonance / que vient se dire un jour le monde / par la rythmique et la cadence / qu’une parole un jour se fonde / c’est par le son uni au sens / c’est par la règle et c’est par l’ordre / que sur l’absurde on saura mordre / que se dégage enfin l’essence ) L’Infini va bientôt finir s’inscrit dans le grand élan vital des autres recueils. Le désespoir en embuscade ne peut vieillir cette poésie qui, comme Jean Pérol me le dit dans sa dédicace, continue de vouloir bouger...
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19 novembre 2017
Hélène Hérault. LA PETITE PRIGENT, nouvelles, éditions Delphine Montalant. 91p, 2017. 14 €
Le début semble annoncer un moment de lecture au coin du feu, une petite friandise salée. On peut lire ainsi ce recueil tout en demi-teinte et en fraîcheur. Cependant, le style limpide d’Hélène Hérault, une ligne claire qui peut rappeler Claire Keegan, emporte l’attention beaucoup plus loin, au large, dans les profondeurs des expériences et des destins les plus humbles.
Pour l’instant, il lui fallait se réconcilier avec l’océan, se laisser embrasser par les flots ; les êtres humains, c’était autre chose.
On devine les sensations à fleur de peau et les sentiments malmenés. La Petite Prigent qui ouvre la première nouvelle La mer avait bon dos par un retour dans la maison de la lande en compagnie intime et pleine d’espoir du plus surprenant des narrateurs est un être à la fois unique et multiple. Toutes les nouvelles rayonnent doucement de sa présence au monde, celui, cher au cœur d’Hélène Hérault, des îles, du Ponant ou de bien plus loin.
Chaque histoire au fil souvent ténu, parfois presque anecdotique, se tresse aux suivantes à l’image des entrelacs de cordages et de filets de pêche sur la photo de couverture. L’écriture économise tout ornement pour laisser sourdre les émotions de personnages taiseux, secrets et tourmentés, la rencontre improbable, l’enfance dont il faut larguer les amarres, le désir d’empathie, la volonté de renaissance, toutes ces nuances de frêle humanité déclinées sur fond d’immensité battue de vents et d’embruns.
Christian Cottet-Emard
01:38 Publié dans Lectures, Service de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la petite prigent, hélène hérault, éditions delphine montalant, blog littéraire de christian cottet-emard, lecture, service de presse, océan, mer, embruns, filets de pêche, cordages, christian cottet-emard, note de lecture, îles, ponant, côte atlantique, nouvelles, recueil, littérature
26 août 2017
Carnet / De l’inconvénient de mourir pour un écrivain
Pour beaucoup de gens mourir est ennuyeux mais pour les écrivains, l’un des inconvénients supplémentaires est la récupération. Rien de plus facile que de sortir de son contexte une phrase, une affirmation ou une idée d’autant que l’écrivain n’est plus là pour apporter contradiction ou démenti. Seule demeure son œuvre pour le défendre, à condition qu’elle soit bien lue par un lectorat honnête. Tout récemment sur le réseau social, en conversation privée, quelqu’un m’a fait part de son étonnement à la lecture de mes éloges à propos d’Antonio Tabucchi. Cette personne se place évidemment sur le terrain politique et je comprends sa perplexité.
Antonio Tabucchi, hélas décédé en 2012 à soixante-neuf ans, est un intellectuel de gauche très représentatif des années soixante-dix et quatre-vingt du vingtième siècle. Je ne partage pas beaucoup de ses opinions politiques, surtout dans les temps que nous connaissons, mais cela ne m’empêche pas de le considérer comme un très grand écrivain d’un point de vue strictement littéraire et cela suffit à mon bonheur de le lire.
Je crois que c’est Borges qui disait que les opinions politiques individuelles d’un écrivain n’avaient guère d’intérêt, ce que je pense moi aussi. Par exemple, s’il m’est arrivé de citer Tabucchi à propos des Lusiades de Camões, ce n’est pas du tout pour étayer ma lecture personnelle de l’épopée nationale portugaise, ce à quoi je me garderais bien de me hasarder.
J’ai lu une grande partie de l’œuvre publié de Tabucchi et, dans les années quatre-vingt-dix, j’ai été très impressionné par son livre Pereira prétend, roman éminemment politique mais surtout, à mes yeux, ouvrage d’une rare virtuosité narrative. Le message politique ne m’a certes pas échappé mais il est pour moi resté au second plan. Ce qui m’a retenu est essentiellement l’atmosphère du roman, le cadre, Lisbonne, le style, la composition, la narration, l’intégration des dialogues dans le corps du récit sans guillemets ni tirets.
Quant au personnage principal, ce Pereira qui prétend, ce n’est pas son évolution politique qui m’a le plus intéressé mais sa nature, ses habitudes, son cadre de vie, ses sentiments, sa mélancolie, sa manière d’être au monde, de se déplacer, de bouger, de se nourrir, de vivoter.
Comment un écrivain est-il compris ou espère-t-il l’être par le lecteur ? Vaste question. Peut-être Antonio Tabucchi serait-il très mécontent de ma lecture apolitique de son Pereira prétend, c’est même fort probable...
01:17 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, billet, journal, opinion, autobiographie, littérature, blog littéraire de christian cottet-emard, tabucchi, pereira prétend, camões, lusiades, borges, politique, lecture, apolitique, christian cottet-emard, réception de l'œuvre littéraire