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23 novembre 2008

Conseils aux écrivains allergiques à la rentrée (Tu écris toujours 46)

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L’odeur de l’encre fraîche vous évoque plus votre entrée au cours préparatoire que la réception de vos premiers exemplaires d’auteur. Les jurys littéraires embusqués derrière leurs piles de livres vous suggèrent la distribution des prix où vous faisiez de la figuration. Le jeune romancier débutant vous rappelle la face de lune du premier de la classe et le vieux débutant le rictus de caïman de votre plus sadique instituteur. Le passage à la télé ravive le souvenir cuisant de l’appel au tableau et la séance de dédicace réveille la hantise du cahier à rendre signé. Pas de doute, vous êtes un grand traumatisé.

Vous n’aimez pas la rentrée ? Moi non plus. Dès ma première heure de classe maternelle, j’ai tout de suite compris que je préférerai toujours la sortie. Plus tard, en promenade dans la berline familiale, j’ai appris à repérer les panneaux en forme de triangle qui signalent un danger, par exemple «ATTENTION ÉCOLE».

Je sais, vous êtes devenu écrivain pour éviter le syndrome du dimanche soir, pour ne plus jamais connaître la rentrée, et voilà qu’on vous colle la rentrée littéraire. Pire, comme si la rentrée d’automne ne suffisait pas, on vous en prévoit une autre alors que le printemps n’a pas encore pointé son premier pissenlit. Les commerciaux de l’édition envisagent même de développer le concept d’une troisième rentrée qui serait bien pratique au début de l’été, à la veille des grandes vacances — en vérité de plus en plus en plus courtes — pour jeter quelques pavés supplémentaires sur les plages et dans la mare aux canards. Bientôt trois rentrées littéraires par an... Heureusement que l’Éducation Nationale ne suit pas le mouvement. Quand même, le monde devient moche.

J’en arrive à me demander si tout ce cirque autour de la rentrée ne témoigne pas d’un complot visant à dégoûter les gens de prendre des vacances, et particulièrement les écrivains qui aiment en prendre de très longues. Non, contrairement à ce que tout le monde semble murmurer dans mon dos, je ne suis pas paranoïaque. Je remarque simplement que ma boîte aux lettres se remplit de prospectus débordant de photos d’individus dynamiques et sveltes aux visages fendus de sourires carnassiers — que dis-je, omnivores — annonçant la rentrée au moment précis où je songe à boucler ma besace de plage ou mon sac tyrolien. À voir tous ces pépés tondeurs, mémés rotofileuses, papas perceurs, mamans visseuses et leur progéniture dopée aux devoirs de vacances, on finirait par croire que la retraite, la RTT, le week-end et les congés scolaires relèvent de la mauvaise hygiène de vie. Bienvenue dans la fourmilière.

Selon l’écrivain que vous êtes, les solutions pour échapper à la rentrée diffèrent. Si la gloire et la fortune transforment votre rentrée littéraire en un épuisant jeu de cache-cache avec vos admirateurs les plus fanatiques, achetez un dixième de Patagonie et commandez vite la clôture en promotion chez www.jebricoleàn’importequelleheuresiçameplaît.com. Si vous n’avez jamais rien publié et que vous écrivez toujours, c’est très bien, continuez ainsi, ne changez rien. S’éditer soi-même fournit aussi un bon moyen de ne pas être concerné par la rentrée littéraire. Lorsque j’ai voulu tenter l’expérience, encore dans les limbes de l’adolescence, cela m’a fait tout drôle de voir rappliquer dans ma cour un camion, lequel, au terme d’une manœuvre délicate suivie d’un éternuement de frein, a expulsé de sa cabine un costaud bougon brandissant un bon de livraison : « j’ai une palette au nom de Cottet-Emard, ouais, des bouquins. » Et le transporteur de s’esclaffer : « ben vous, quand vous lisez, vous faites pas semblant ! On la met où, la palette ? Là ? Dehors ou dans le garage ? » J’ai signé le bon et j’ai dit que j’allais me débrouiller avec les cartons. Le costaud et son camion se sont évaporés dans un nuage de gaz. J’ai regardé la palette et j’ai compris que l’arrivée de 1500 exemplaires d’un livre débarquant à domicile à l’heure du petit déjeuner pouvait susciter une saine remise en question de certaines vues de l’esprit. Cette rentrée-là, je m’en souviens encore.

Si l’expérience vous tente, commandez plutôt dix exemplaires à votre imprimante et allez vite vous réconcilier avec votre éditeur. D’autant qu’à bien y réfléchir, la rentrée littéraire, avec ses palettes, ses cartons, ses offices et ses retours, c’est son problème et celui des libraires. Vous le savez bien, dans ce métier d’auteur, vous n’existez qu’à dix pour cent, alors vous pouvez vous permettre de sécher.

(46ème épisode paru dans le Magazine des livres n°12, octobre/novembre 2008)

Addenda 2014 :

TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 LyonBON DE COMMANDE

 

 

18 novembre 2008

Réagissant à la beauté du monde

« Ce que fait un homme pour gagner sa vie ne présente pas d'intérêt. C'est en tant qu'instrument réagissant à la beauté du monde qu'il existe. Je ne demande jamais à un homme ce qu'il "fait". Ce qui m'intéresse, ce sont ses pensées et ses rêves. »

- Lovecraft -

J'aime beaucoup cette phrase citée par Pascale Arguedas dans sa notice biographique du Magazine des livres.

02 novembre 2008

Qu’un oiseau, qu’un simple oiseau

 

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— une seule pie — soit dépositaire du vol, du franchissement du monde auquel je suis, moi, jeune humain, rivé, n’est-ce pas incroyable ?
Les formes de vie les plus infortunées pourraient se gausser de mon absence de libre arbitre, jusqu’au voile de Chine qui tourne dans son bocal sur le comptoir du buffet de la gare.
La seule distraction de cet être étrange, au milieu de ses huit cailloux, se résume aux variations du jour. Il s’en contente cependant car la porte-tambour qui déroule son ruban d’aigres voyageurs ne signifie rien pour lui.
Pour moi, en revanche, cette porte peut s’avérer lourde de menaces ou claquante d’espoirs selon le sens dans lequel elle bascule.

Extrait de : Le Grand variable, éditions Éditinter, épuisé.

Dessin de Frédéric Guenot.