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16 janvier 2022

Carnet / Seul en groupe

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À la sempiternelle question, à quoi reconnaît-on un grand écrivain, je préfère sa version plus sobre, à quoi reconnaît-on un écrivain car de nos jours, grand écrivain ne signifie plus grand-chose.
 
Depuis que je perds un peu de temps à y réfléchir lorsque je me lève du pied gauche ou que j’abandonne la lecture d’un livre auquel je ne comprends rien même s’il est écrit en français, c’est souvent la même réponse qui me vient en premier. Un écrivain (de sexe féminin ou masculin) est capable de retenir votre attention et votre lecture même sur des sujets qui ne vous intéressent pas plus que cela. Pour moi, Jim Harrison est un de ceux-là.
 
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Il y a quelques années, écrit Harrison, j’ai essayé d’expliquer à une longue tablée de pontes des studios de cinéma les plaisirs de la marche au clair de lune en pays sauvage. Ils opinaient du chef, mais je voyais bien qu’ils me prenaient pour un débile mental.
 
J’ai vécu dans un autre contexte voici maintenant trente ans une expérience assez voisine. Je m’étais laissé convaincre par quelques camarades de les accompagner à une de leurs sorties de pêche. J’avais accepté leur invitation dans le seul but de me promener, pour une fois en compagnie de jeunes types de mon âge, au bord d’une rivière qui traversait la forêt. Je les regardais chercher des porte bois qu’ils appelaient improprement des teignes et qu’ils extirpaient des fourreaux tapissés de cailloux et de brindilles tissés par ces insectes assez répugnants pour s’abriter. Il paraît que les poissons en raffolent, notamment les truites.
 
Avant le soir, nous sommes rentrés en traversant des clairières de hautes herbes et nous avons longé de magnifiques massifs de grandes fleurs des prairies humides dont j’ignore le nom. L’arrivée du soir avec sa lumière rasante soulignait en majesté leur couleur entre le parme et le violet. J’ai provoqué l’ironie et la moquerie appuyées du groupe en marquant un temps d’arrêt pour admirer le spectacle. Individuellement, ces gars que je connaissais bien étaient intelligents et sensibles mais comme c’est souvent hélas le cas, ces qualités se diluaient dans le groupe. Plus le groupe est nombreux, plus les qualités individuelles s’estompent ou même s’effacent jusqu’à l’impression de ne plus avoir affaire aux mêmes personnes.
 
Je suis rentré chez moi énervé et mécontent d’avoir perdu ma journée, enfin pas tout à fait tout de même puisque manger des sandwiches au bord de l’eau dans la forêt en buvant un petit vin anobli par le grand air (certes un peu alourdi par les volutes d’un bon cigare) permet de rester en retrait d’à peu près tout ce qui chagrine ou déplaît.
 

06 janvier 2022

Carnet / La poésie et la littérature n’ont rien à voir avec une sortie entre copains.

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J’ai toujours aimé les voitures. Tout jeune, j’étais très pressé de passer mon permis de conduire. Cela peut étonner ceux qui me voient conduire ma modeste Toyota et choquer tous les écolos qui, Dieu sait pourquoi, ne me virent pas de leur liste de contact sur Facebook. Une précision pour ceux-là : j’aime aussi les armes à feu, seulement les armes de poing (pistolets et revolvers) que je n’ai hélas pas le droit de détenir, à l’inverse des autos.
 
Je ne possède qu’une voiture parce que je n’ai pas envie de gaspiller toutes mes économies et la retraite qui m’est désormais versée depuis le premier décembre de cette année mais sinon, j’aurais plusieurs garages remplis de véhicules pour chaque usage parce que j’habite une campagne volontiers neigeuse. D’ailleurs, une moto-neige ne me déplairait pas non plus, même si je n’aime pas la neige ou plutôt parce que je n’aime pas la neige.
 
Mon goût des voitures ne vient pas d’un intérêt pour la mécanique et ses performances. Ce sont les carrosseries qui me plaisent, surtout celles des voitures anciennes, notamment des années trente aux années soixante. Tout ce qu’il y a sous la carrosserie m’indiffère, exactement comme m’indiffère ma propre mécanique, ce que j’ai dans le corps. Comprendre comment fonctionne la mécanique automobile ou corporelle ne m’intéresse pas, tout ce que je demande, c’est que ça marche le plus longtemps possible.
 
La poésie et la littérature ont plus à voir avec les voitures qu’on ne le croirait. Dans le temps, lorsque j’allais parler de mes livres dans des librairies, des classes et des bibliothèques, il m’arrivait parfois de discuter avec des petits jeunes qui voulaient écrire. Quelques-uns sont même venus me voir chez moi, ce qui me mettait un peu mal à l’aise tant je me sentais ridicule dans le rôle du conseilleur surpris dans son quotidien le moins littéraire et qui, en plus, n’avait guère à conseiller : passe ton permis de conduire d’abord et si tu veux écrire, prends un carnet, un crayon et un ordinateur. Si tu t’aperçois alors que tu aimes encore plus écrire que conduire ta bagnole, alors vas-y franchement mais comme dans la conduite, ne t’occupe que d’une chose, la route, rien que la route (et le rétro, très important le rétro pour l’écrivain et le poète).
 
La poésie et la littérature sont des véhicules, chaque auteur a le sien que lui-seul peut conduire. Ne mets pas la radio en conduisant ; la route, rien que la route. Rien que ce que tu vois devant le pare-brise et dans le rétro. À la rigueur un coup d’œil dans la lunette arrière quand tu vois s’envoler des feuilles mortes à ton passage, ça peut faire un bout de poème ou de nouvelle ; ou le début d’un roman. Ne laisse pas perdre, ne gaspille pas trop, la vie peut se montrer avare à certains moments. Pourquoi n’écrirais-tu pas un poème, une nouvelle ou un roman qui s’appellerait La vie avare ? Trop tard, je vais l’écrire dès que tu auras tourné les talons et je déposerai le manuscrit chez mon notaire, à la Société des gens de lettres et partout où l’on pourra attester que c’est bien moi qui l’ai écrit, jusque devant un tribunal s’il le faut. Ça te fait rire ? Ne ris pas. Si tu n’es pas raisonnablement parano, laisse tomber l’écriture et la publication (et peut-être la conduite automobile où la conscience du danger est indispensable).
 
Je te vois venir. Tu vas monter dans d’autres véhicules parfois conduits par des potes, personne ne peut t’en empêcher. Je te le dis quand même, évite les potes (en plus, ta copine t’en sera reconnaissante), conduis en solo. La littérature et la poésie n’ont rien à voir avec une sortie entre copains. Si tu m’avais lu avant de venir me voir, tu te serais rappelé que j’ai écrit quelque chose comme ça dans mon livre que j’ai intitulé Aux grands jours (page 72). Tiens, cadeau. Je t’écris la dédicace au crayon de papier pour que tu puisses la gommer au cas où tu voudrais le revendre mais je te préviens, tu auras du mal à le fourguer parce que ce sont des poèmes et qu’il y a très peu de poèmes d’amour.
 
L’amour aussi est une voiture, avec beaucoup de chevaux sous le capot. Ça bondit et ça fonce tout droit comme une petite sportive ou une grosse berline mais ça n’a pas de volant et pas de conducteur, que des passagers, et ça finit dans le décor. Voilà, c’est l’heure. Content de t’avoir déçu, ça t’évitera de me copier, c’est pour ton bien parce qu’au fond, je trouve que tu as une bonne tête, un peu comme la mienne quand j’avais ton âge.
 
© Éditions Orage-Lagune-Express (extrait de mon livre Prairie Journal, tome 2)
 

22 décembre 2021

Carnet / Du premier jour de l’hiver et du Docteur Jivago

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Derrière chez moi mardi matin (photo Marie-Christine Caredda)

 
Le brouillard givrant, les nuits glaciales et les matins ensoleillés enveloppent la maison dans une de ces cartes de Noël dont je croyais, enfant, les dessins de paysages naïfs saupoudrés de sucre.
 
Le soir, tout ce scintillement évoquerait des scènes du film Le docteur Jivago réalisé par David Lean d’après le fameux roman de Boris Pasternak mais heureusement sans la plainte des meutes de loups. Si l’un de ceux qui circulent dans la région vient à traîner dans les parages, j’espère que la lumière de mes guirlandes de Noël multicolores dans les arbustes de lilas l’éloignera car je n’ai pas le courage de Youri, l’humaniste docteur Jivago (Omar Sharif), qui les fait détaler d’un geste, en écartant les bras, depuis le seuil de la maison prise dans les glaces où il s’est réfugié avec Lara (Julie Christie).

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Près de ma maison, mardi matin (photo Marie-Christine Caredda)

 
Le hasard de la programmation à la télévision m’a fait revoir deux jours avant le début de cet hiver, une fois de plus (je ne les compte plus) ce film culte de la jeunesse de mes parents. Moi-même, je ne m’en lasse pas.
 
Tous les spectateurs qui en ont fait et en font encore l’immense succès populaire s’identifient à l’histoire intime de Youri et de Lara entraînés malgré eux et broyés dans la fureur absurde de l’Histoire collective parce que tout individu a conscience de ce qu’il pèse, rien, quand déferle la folie des foules manipulées et fanatisées, quand des tyrannies succèdent à d'autres. Il s’agit là d’un classique ressort romanesque qui ne masque en rien l’intensité et l’épaisseur des personnages dits secondaires.
 
L’un de mes personnages préférés est le général Yevgraf Jivago (Alec Guinness), demi-frère de Youri qui intervient comme narrateur. Son évolution durant les différentes périodes auxquelles se réfère l’action du film montre un homme qu’on pourrait réduire à une certaine froideur mêlée d’un opportunisme et d’une lucidité pouvant expliquer son engagement social et militaire qui n’est sans doute qu’une forme d’adaptation au chaos. Il révèle en réalité une personnalité complexe, notamment dans ses tentatives pour aider son demi-frère si différent de lui, en particulier dans sa nature de poète.
 
Le recueil de poèmes publié par Youri constitue un des fils narratifs de l’histoire. Yevgraf qui a tout compris de son époque sait que ce livre met son demi-frère en danger parce que les poèmes qu’il contient sont jugés individualistes et bourgeois par les nouveaux maîtres du pays. Derrière sa façade impersonnelle de militaire rigide qui lui a permis de s’adapter à la dureté et aux périls de la nouvelle société en devenant général, Yevgraf cache un certain étonnement mêlé de fascination pour la poésie en laquelle il discerne l’origine de la force morale de Youri. Lorsqu’on le retrouve près d’aboutir dans son enquête pour retrouver sa nièce, la fille de Youri et de Lara tous deux disparus, les quelques mots qu’il prononce en présence de celle qu’il suppose être sa nièce à la fin du film dévoilent enfin la part d’humanisme qu’il partage avec son demi-frère.
 
C’est un instrument de musique qui permet de dérouler le fil narratif de cet épisode et de refermer le cercle de l’histoire en remontant au début, lorsque Youri petit enfant perd sa mère qui lui lègue la balalaïka dont elle jouait avec talent. À la fin, après son entretien avec celle qu’il estime être sa nièce, Yevgraf remarque qu’elle en porte une en bandoulière alors qu’elle prend congé en compagnie de son partenaire. Yevgraf les hèle une dernière fois en demandant au jeune homme si sa compagne sait bien jouer de la balalaïka. Le jeune homme répond par l’affirmative avec enthousiasme. « Alors, c’est un don... » , admet le général Yevgraf Jivago dont la raide silhouette sanglée dans son uniforme trahit pourtant d’un léger fléchissement un bref instant de trouble admiratif.