16 avril 2018
Oh !
Aujourd’hui je vais commettre un impair dans le monde des poètes
Quelque chose de pas joli-joli de pas loyal une faute de goût
Quelque chose de bien pire que de ne pas aimer le rap
Après ça je suis bien conscient que je n’aurai plus qu’à aller me faire lire ailleurs mais je dois avouer que ça me démange depuis longtemps
Je vous vois venir vous croyez que je vais me contenter d’écrire un sonnet rimé avec alexandrins et césures à l’hémistiche puis repartir tout content oh non
Non je vais faire bien pire parce que je me sens tout à mon aise même si je sais qu’après ce coup-là je pourrai toujours courir pour me faire publier par un éditeur artisan alternatif militant engagé citoyen indigné nuit-deboutiste subventionné ou pas
Eh bien voilà il est temps Mesdames et Messieurs temps pour moi d’en venir au fait
D’autant qu’à cinquante-huit ans je peux me le permettre sans conséquences sérieuses sur ma vie sociale et littéraire
Aux nez et aux barbes de tous les pâles et retardataires imitateurs des beats qui croient casser trois pattes à un canard parce qu’ils farcissent leurs poèmes de mec putain et de oh-putain-mec alors qu’on s’amusait déjà ainsi comme des petits fous au milieu du vingtième siècle de l’autre côté de l’océan Atlantique
Eh bien oui Mesdames et Messieurs voici le moment où je vais commettre l’irréparable et en finir avec plus de cinquante ans de poésie lettriste de poésie sonore de poésie-action de poésie expérimentale de poésie oulipienne de poésie littéraliste de nouveau réalisme poétique de poésie électrique enfin bref
Bon allez cette fois qu’on en finisse il le fallait allez hop
Je vais employer le mot âme dans un poème eh bien voilà c’est fait
© Éditions Orage-Lagune-Express, 2018.
Photo © Christian Cottet-Emard (affiche détournée)
02:39 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : estime-toi heureux, poème, poésie, âme, mot interdit en poésie, blog littéraire de christian cottet-emard, littérature, poète, conformisme, nouveau conformisme, éditions orage lagune express, christian cottet-emard, oh !, ironie, humour, photo lisbonne
06 avril 2018
Carnet / Des résidences d'écrivains
Ces derniers jours, sur internet, j’ai découvert le site d’Isabelle Collombat. Elle tient sur son blog, semaine après semaine, le journal de sa résidence d’écrivain à Oyonnax, ville où j’ai passé la majeure partie de ma vie et dont je ne me suis éloigné que de dix kilomètres pour habiter dans la nature à la limite d’un village.
J’ai lu ce journal avec beaucoup d’intérêt car, conforme à ce que j’imaginais d’un tel dispositif dans une ville qui confond action culturelle et action sociale, il m’a enlevé tout regret d’avoir écarté l’idée même de partir en résidence. Le quotidien de sa mission (qu’elle décrit d’ailleurs sans se plaindre) serait au-dessus de mes forces et de ma capacité pratiquement inexistante d’adaptation à un tel contexte.
Pour les auteurs qui n’ont pas comme moi la chance de pouvoir se consacrer exclusivement à l’écriture, la résidence d’écrivain constitue l’une des alternatives à la pratique d’un second métier alimentaire.
À l’origine, le concept offrait un indéniable attrait pour qui ne craignait pas de bouger d’un pays ou d’une région à l’autre, surtout lorsqu’il s’agissait de résidences essentiellement destinées à favoriser la création littéraire en donnant à l’auteur toute liberté de mener une de ses œuvres à terme et en lui garantissant non seulement le gîte mais encore une rémunération correcte. Dans le meilleur des cas, cette œuvre n’avait pas forcément un rapport avec le lieu d’accueil et l’on pouvait ainsi parler d’une forme de mécénat.
Hélas, ce concept est aujourd’hui de plus en plus dévoyé et rares sont désormais les résidences qui n’obligent pas l’auteur à se prêter à des activités d’animation scolaire et sociale souvent au détriment de la création littéraire. Le but premier de la résidence qui consistait en l’écriture d’un ouvrage littéraire est de nos jours passé au second plan.
Cette dérive a commencé le jour où l’on a demandé à l’auteur d’écrire un texte en lien avec son lieu de résidence, ce qui a rapidement et fréquemment donné de piètres résultats, des textes de commande au pire sens du terme. La situation s’est aggravée lorsque l’auteur a été contraint d’animer des ateliers d’écriture, de participer à des projets pédagogiques voire à intervenir dans des milieux sensibles (quartiers difficiles, prisons).
Presque tous les auteurs en résidence que je connais travaillent maintenant sous cette contrainte et ont souvent du mal, au sein même de ce dispositif, à dégager le temps, la concentration et l’énergie nécessaires à leur propre création même si certains à la fibre plus sociale s’en sortent mieux que d’autres.
À l’époque pénible où je devais concilier écriture et second métier purement alimentaire, ce qui ne me mettait pas de bonne humeur, il s’était bien sûr trouvé de bonnes âmes pour me conseiller de poser ma candidature à des résidences d’auteurs. C’était méconnaître mon allergie à toute mobilité géographique professionnelle. À l’exception des voyages de tourisme et d’agrément, je suis totalement perdu et angoissé dès que je suis loin de chez moi, de mes proches, de mes repères, de mon confort et de ma routine matérielle. Cerise sur le gâteau, je suis incapable de me repérer rapidement en terrain inconnu. Quant aux grandes villes, les seules où j'arrive à ne pas me perdre sont Venise, Lisbonne et Lyon.
Malgré ces mauvaises dispositions, une résidence parmi beaucoup d’autres avait attiré mon attention parce qu’elle semblait conforme à l’esprit d’origine du dispositif. Peu de temps après avoir demandé des précisions aux organisateurs, j’ai reçu une lettre de l’écrivain et poète Jean-Claude Pirotte. Le ton était aimable et chaleureux et Pirotte m’expliquait que cette résidence pouvait me convenir si elle parvenait à continuer alors que les difficultés financières menaçaient son fonctionnement.
Le temps que je me décide à répondre, la résidence avait été supprimée. Je dois avouer avec un peu de honte que j’en ai conçu un indéniable soulagement. J’ai gardé en souvenir l’enveloppe décorée d’un dessin de la propre main de Jean-Claude Pirotte. Elle contenait les modalités de la résidence et un de ses livres. Au moins, je n’avais pas fait la démarche pour rien.
PS : ce lien vers un texte (de mauvaise foi) sur le thème des résidences d’écrivains, extrait de mon livre Tu écris toujours ? (éditions Le Pont du change).
03:12 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, billet, chronique, blog littéraire de christian cottet-emard, résidences d'écrivains, jean-claude pirotte, christian cottet-emard, isabelle collombat, littérature, oyonnax, ain, rhône-alpes, haut bugey, centre culturel aragon oyonnax, atelier d'écriture, médiathèque oyonnax, action culturelle, action sociale, tu écris toujours ?, éditions le pont du change
08 mars 2018
Septième poème du bois de chauffage
En mauvaise lune
J’ai pensé que mon bois avait été coupé en mauvaise lune
En y songeant dans la voiture j’étais mal luné
J’ai aboyé contre un bénévole fluorescent qui bloquait la circulation à cause d’une course cycliste vous n’aviez qu’à partir plus tôt m’a-t-il répondu en m’expliquant par où je devais passer pour faire un détour de vingt kilomètres
Je lui ai répondu que je n’avais pas besoin d’un dessin car j’étais d’ici On dirait pas a-t-il sifflé à quoi j’ai rétorqué je le prends comme un compliment
Cet incident m’a au moins montré pourquoi je ne serai jamais un auteur local authentique
Parce que ce genre de type ne gueule pas contre les courses cyclistes et ne se fait pas refiler du bois coupé en mauvaise lune
Photo : la lune à ma fenêtre, récemment.
© Éditions Orage-Lagune-Express, 2018
00:27 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poèmes du bois de chauffage, éditions orage lagune express, christian cottet-emard, jura, nature, auteur local, poésie, littérature, campagne, forêt, blog littéraire de christian cottet-emard, lune, bois coupé en mauvaise lune, bénévole, course cycliste, vélo, aboyer, mal luné, voiture