19 août 2015
Carnet / De la poésie qui va se nicher dans des petits films de rien du tout, de l’envie de changer de pays et d’un cauchemar
En rêvassant dans l’air tiède, assis devant la maison sous les nuages de la nuit, ces mots ont remonté je ne sais pourquoi de ma conscience : « Histoires vraies qui ressemblent à des contes, contes qui ont l’air d’histoires vraies, charriées par le grand fleuve... » J’ai passé plusieurs jours à me demander quelle pouvait bien être l’origine de cette réminiscence et j’ai même feuilleté des recueils de poèmes à la recherche de ces bribes. J’ai fini par trouver qu’il s’agissait de la fin du film de Carmine Gallone, Don Camillo Monseigneur !
J’ai vu cette comédie de 1961 plusieurs fois, notamment dans mon enfance. Où ne va pas se nicher la poésie ! La cloche de l’église toute proche qui venait de sonner 23h avait peut-être libéré ce souvenir enfoui pendant que je guettais en vain, dans les trouées de nuages, les étoiles filantes.
Le souffle d’un orage lointain a dégagé une partie du ciel et j’en ai vu une en même temps qu’un faible éclair. J’ai donc fait un vœu tout en me disant que j’avais déjà le principal de ce qu’il faut pour être heureux, notamment la chance de vivre bien accompagné dans une nature tranquille où la brise d’été apporte la musique familière des cloches et des clarines, comme en Suisse toute proche de l’autre côté de la montagne. La Suisse, un des pays où je me verrais bien vivre, mais aussi en Italie et au Portugal. Évidemment, dans l’espace privé, je me sens bien en France mais c’est de moins en moins le cas dans l’espace public.
Dimanche 9 août, j’étais au deuxième concert de la seizième Académie Internationale de Musique de Nantua Pays du Haut-Bugey, le beau festival porté à bout de bras par le vaillant Guy Dangain. Comme d’habitude, la foule à l’abbatiale Saint-Michel pour écouter des musiciens de grande classe (la pianiste Shoko Gamo, le violoncelliste Sylvain Rolland dans un programme Chopin) et Guy Dangain qui appelle pourtant à l’aide parce que ce temps fort de la vie musicale est menacé.
J’en reviens à ce que j’écrivais plus haut : comment ne pas être tenté de prendre de la distance avec un pays qui ne soutient plus ses artistes, qui n’établit plus de hiérarchie entre ce qui relève de la culture et de l’animation sous prétexte de je ne sais quel élitisme ? Oui, la vraie culture est élitiste, et c’est ce qui fait son intérêt. Qu’avons-nous à gagner au nivellement par le bas ? Rien. Dans le domaine de la culture, c’est en visant haut qu’on a le plus de chance de faire du social. Oui, la culture c’est l’élite, mais c’est une élite ouverte où chacun est bienvenu dès l’instant qu’il en ressent le désir.
Contrairement à ce qu’on persiste à croire depuis trop longtemps, ce n’est pas à la culture d’aller vers les gens, c’est à l’individu d’aller vers elle s’il en ressent le besoin. Et qu’on ne me dise plus qu’il s’agit d’un problème financier pour le public car aujourd’hui, ce n’est plus vrai. Un exemple parmi tant d’autres : les trois grands concerts d’été à Nantua animés par Guy Dangain sont gratuits, déplacent les foules et perdent pourtant des subventions. Cherchez l’erreur...
Je viens de terminer la lecture de Soumission de Michel Houellebecq (éd. Flammarion). Je pensais attendre la sortie de ce livre en édition de poche mais une amie me l’a offert. Je craignais aussi de me saper un moral tout juste renaissant après deux ans de grisaille intérieure en plongeant dans l’insidieux cauchemar qu’illustre cette fable politique diablement habile et cynique de l’écrivain le plus malin de sa génération.
En plus de la morne épouvante que suscite l’évolution politico-religieuse décrite dans cette fiction, j’ai trouvé dans ce roman une illustration de plus de ce que j’ai toujours pensé : si le fascisme revenait en force, ce serait sous une forme molle, mais ce serait le fascisme quand même. Le tout est d’en être suffisamment conscient pour empêcher que cela ne se produise.
À cet égard, je suis d’une génération qui doit revoir tous ses modes de pensée et rompre avec toute une batterie de bons sentiments certes utiles en leur temps révolu mais désormais totalement inadaptés au monde de l’après 11 septembre 2001.
01:30 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, écriture de soi, prairie journal, carmine gallone, don camillo monseigneur, étoile filante, nuit des étoiles, perséides, météores, suisse, italie, portugal, france, nantua, haut-bugey, rhône-alpes, abbatiale saint miche, concert, guy dangain, shoko gamo, piano, chopin, sylvain rolland, violoncelle, musique, culture, blog littéraire de christian cottet-emard, 11 septembre 2001, soumission, michel houellebecq, éditions flammarion, écrivain
06 août 2015
Carnet de voyage / Sardaigne : Enola Gay
Lors de mon second séjour en Sardaigne, dans la lumineuse ville d'Alghero, je tombai en arrêt, au cours d'une flânerie dans le centre historique, devant la vitrine d'un magasin de vêtements spécialisé dans les jeans à la mode. Si la marchandise était celle que l'on peut désormais aussi bien trouver dans un bourg du Jura que dans une ville au milieu de la Méditerranée, l'enseigne du commerce me laissa un moment incrédule : Enola Gay.
Dans quel esprit suffisamment inconscient avait pu naître l'idée de donner à une boutique de mode le nom du bombardier B-29 qui largua la bombe atomique sur Hiroshima le 6 août 1945 ? Au cas où le client n'aurait pas fait le rapport, des images de l'avion accompagnaient les sinistres lettres inscrites en gros caractères sur la vitre. Enola Gay est aussi le nom de la mère du colonel Paul Tibbets qui « baptisa » ainsi son B-29 en une délicate attention, d'un goût aussi sûr que celui dont fit preuve le marchand de jeans.
Il faisait beau dans les rues d'Alghero ce jour-là, comme le 6 août 1945, et je dois dire que cette enseigne stupide suffit à assombrir un moment (dérisoire) mes pensées. Je ne pus que m'éloigner en souhaitant une faillite rapide à ce commerce et j'aime à songer aujourd'hui que mon voeu fut exaucé car durant mon dernier séjour à Alghero, je pus constater la disparition d'Enola Gay au profit d'une autre échoppe au nom plus engageant.
(Extrait de mon recueil de carnets de voyages en Italie)
22:08 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, prairie journal, carnet de voyage, sardaigne, italie, alghero, jeans, boutique, vêtements, blog littéraire de christian cottet-emard, enola gay, b29, avion, forteresse volante, 6 août 1945, hiroshima, bombe atomique, arme nucléaire, dissuasion, équilibre de la terreur, armement, atome, énergie nucléaire
04 août 2015
Carnet / Réac
Au rayon livres de l’Uniprix du coin, un titre qui retient mon regard : Du bonheur d’être réac de Denis Tillinac. Envie de lire ce petit livre. Je le trouverai facilement en occasion. Je n’achète les essais et les témoignages (vite périmés) qu’en occasion ou en poche mais je suis bien de l’avis de Tillinac même si je suis loin de ses amitiés politiques, être réac, quel bonheur !
Ah les mines déconfites à l’apéritif ou pendant le dîner quand vous lâchez d’une voix calme et l’air distrait deux ou trois saillies bien réacs en plein milieu des embrasseurs d’arbres, des dormeurs en yourte, des écolos décathlon, des retraités quechua, des quinquas en crise d’ado, des islamo-gauchistes, des voisins en fête, des engagés dans la vie locale, des adorateurs du Che, des citoyens du monde, des pierrerabiens planant sur colibri, des mâchouilleurs de pain noir, des opposants au ruban à glue et à la tapette à mouches, de ceux qui ont de l’empathie pour tout le monde mais pour personne en particulier et toute l’armée des militants qui feront votre bonheur de gré ou de force...
Le nec plus ultra : leur siffler sous le nez toute la bouteille de vin bio et les finir avec un cigare bien brutal !
02:03 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : réac, du bonheur d'être réac, denis tillinac, carnet, note, christian cottet-emard, prairie journal, autobiographie, écriture de soi, journal, blog littéraire de christian cottet-emard, littérature, essai, cigare, vin bio, tapette à mouches, ruban à glue