16 septembre 2015
Carnet / En écoutant le vent nocturne dans les frênes
Le grand vent doux secoue les frênes dans la nuit sans lune. Dérangée par les volets qui tremblent, la chatte Linette dresse l’oreille dans son fauteuil.
Ces derniers jours, comme chaque année à la fin de l'été, un bouvreuil vient régulièrement se percher sur le vieux banc de bois et reste ainsi immobile comme s'il attendait quelque chose. Sans doute se gave-t-il tout simplement des baies rouges du sorbier des oiseleurs, juste au-dessus de lui, en prévision des frimas.
Ces temps, j’écoute surtout Francis Poulenc, notamment les concertos pour piano, Aubade, le concerto pour orgue, cordes et timbales, le concerto pour clavecin et le Gloria. Je reviens très souvent à ce Gloria écrit l’année de ma naissance, 1959, quatre ans avant la mort de Poulenc.
Après pas mal de lectures décevantes, notamment Expo 58 de Jonathan Coe, un roman laborieux comme on en produit aujourd’hui à l’échelle industrielle, je retrouve le plaisir de lire avec Autre chose de Thomas Vinau (éditions Les carnets du Dessert de Lune) et des nouvelles de Tchékhov, en particulier Les Groseilliers qu’on peut aussi trouver en Folio 2€. Je commencerai bientôt Les mille et une gaffes de l’ange gardien Ariel Auvinen d’Arto Paasilinna (Folio). Cette année comme les autres, aucun livre de la rentrée littéraire d’automne malgré le matraquage de la presse littéraire en kiosque et surtout pas les nouveautés françaises défendues par Le Monde et Télérama qui nous servent la soupe, je dirais même un brouet dont le pire ingrédient est Christine Angot.
L’incroyable suffisance de Télérama : « Comme chaque année, nous avons choisi, parmi les nouveautés de l’automne, les romans les plus réussis... » Ils auraient au moins pu écrire « les romans que nous estimons les plus réussis ! » Quant à Angot en tête de leur sélection, elle n'a pas de style, je trouve qu’elle écrit avec les pieds. C'est aussi ce que déplore Nicolas Ungemuth du Figaro, l’un des rares critiques rétif à ce remède contre la littérature. Il ne s'en prend d'ailleurs pas à la personne mais à l'engouement médiatique pour ce néant (tout à fait révélateur à mon avis de l'état famélique dans lequel se trouve aujourd'hui la littérature française de grande diffusion). Il n'y a que le débonnaire François Busnel de La Grande librairie pour avoir la patience de rester professionnel face à cette caractérielle qui passe son temps à reprendre ses interlocuteurs à seule fin de leur démontrer qu'ils ne comprennent vraiment rien à ses radotages amphigouriques.
J'ai lu deux livres d'Angot : un paru chez Mille et une nuits il y a longtemps, acheté chez un soldeur (je ne me rappelle plus du titre et du contenu) et un plus récent en poche Folio où il est question d'une tranche de jambon utilisée comme accessoire sexuel. Le seul souvenir que je garde de ces lectures est le charabia (pardon le style) d'Angot, le même qu'elle utilise dans les interviews exaspérées qu'elle donne. Pathétique.
J’attends maintenant mon prochain départ pour Barcelone. Les billets d’avion et l’hôtel sont réservés. Bientôt la douceur de la promenade dans une grande ville du sud et le repos de ne rien comprendre à la langue qui se parle autour de moi ! À moi la Rambla, les cigares, la Sagrada Familia, la façade maritime et les coupes de Cava, panoplie du parfait touriste !
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09 février 2015
Carnet / Du voyage nocturne
Je me suis toujours considéré comme quelqu’un qui n’a aucun sens de l’orientation.
Entre dix-sept et trente ans, les années où j’ai été le plus contraint de me déplacer pour des raisons professionnelles, j’en étais même arrivé à la conclusion que je souffrais de débilité spatiale. En réalité, je me perdais partout où j’allais parce que je n’avais pas envie d’y aller ! J’ai commencé à m’en rendre compte lors de mes séjours à Venise, ville où je me repère assez bien parce que je n’ai aucune urgence à le faire lorsque je m’y promène. Mais s’il est une ville dont l’organisation spatiale s’est très rapidement installée dans mon esprit, c’est bien Lisbonne. Pour oublier la neige, j’y flâne ce soir en rêve éveillé puisque j’ai l’impression de ne plus rêver en dormant. Je dors d’un sommeil léger et fatigant déserté par les grands rêves baroques desquels il m’arrivait d’émerger tout ébloui il y a très longtemps. Ce soir, j’essaie de me conditionner pour une balade en songe à Lisbonne, pourquoi pas dans le grand parc du Principe Real que j’affectionne tout particulièrement ? J’y trouverai bien un banc pour rêvasser au son d’une Gnossienne de Satie (en hommage au grand Aldo Ciccolini tout récemment disparu) extraite de ma discothèque portative, celle que j’ai dans la tête et qui me rend distrait de tout ce qui me fatigue en ce moment d’être français. Sur le soir, je pourrais descendre direction Restauradores puis remonter vers mon magasin de cigares, juste derrière la statue de Pessoa attablé au très touristique café A Brasileira.
J’aurais d’ailleurs croisé le poète quelques mètres plus bas au milieu des passants car à Lisbonne, il est partout. La dernière ville littéraire d’Europe, j’ai désormais la chance d’y aller quand je veux. Que mon sommeil lent comme un vieil electrico m’y conduise cette nuit !
Photos © Christian Cottet-Emard, 2014
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17 novembre 2012
L’ordre cosmique du vieux square (pensées du 2 novembre)
Cette photo du vieux square aux bancs et aux arbres vermoulus si tu pouvais
Ah oui l’ancien square détruit pour laisser place à la gare routière
Si tu pouvais sauter dans cette photo de 1973 comme Mary Poppins (Julie Andrews) sautait à pieds joints dans les tableaux dessinés aux craies de couleur par Bert (Dick Van Dyke) sur le trottoir
Tu te retrouverais dans le monde de 1973 sous les lampadaires du square maigrichon entre la lune et la pendule de la gare et il y aurait tout près le Picasso de la voie ferrée qui ferait les gros yeux il y aurait
Personne ne serait mort il y aurait ce prodige les tiens tous vivants sous les toits de la petite ville chez eux derrière les haies de buis de leurs jardins
Chez eux tout près du square une arrière-grand-mère (Clotilde) deux grands-mères (Yvonne et Marie-Rose) un grand-père (Charles) un père (Jean) une marraine (Geneviève) gamin tu disais ma reine et tu attendais pendant des heures de la voir descendre de l’autorail Picasso traverser la voie et ouvrir le portillon du jardin ils seraient tous là autour du square
Une dame encore inconnue d’eux (Gisèle la mère de ta future épouse) calerait son vélo contre un banc
Dans l’ordre cosmique du square dans son monde lisible les tiens
Planètes dans ton ciel étoiles dans ta nuit comme dans les nuits de 1973 où cillait l’ampoule du lampadaire au milieu des branches
Le square jadis détruit pour laisser place à la gare routière existe plus aujourd’hui que la gare routière c’est normal et ce qui n’est pas normal c’est la gare routière où attendent tous ces gens qui ont des têtes à ne pas avoir envie d’aller où les bus les emmènent
À coup sûr le diable s’en est mêlé ou alors qui et pourquoi te demandes-tu dans l’ombre en regardant trembler la flamme des cierges
© Texte et photos, éditions Orage-Lagune-Express 2012. Droits réservés.
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