29 novembre 2019
Carnet d'avant L'Avent
À quelques jours de l'Avent, c'est toutes les années la même rengaine des blasés, des austères, des pisse-froid, des sévères, des ricaneurs, des snobs, des aigris, des constipés, de ceux qui se détestent eux-mêmes et qui veulent en faire profiter les autres, de ceux qui auraient besoin de passer huit jours sous une benne, la longue plainte des allergiques à Noël.
À chaque fois cela me rappelle cette lettre d’information du responsable d’une revue littéraire reçue voici quelques années et qui se termine ainsi : « Et ne vous laissez pas submerger par la tristesse de Noël. Je vous souhaite de survivre. »
Je suis impressionné par tant d’anticonformisme ! Normal, je fais partie des benêts un brin réacs qui aiment Noël et ses musiques. Sans pour autant me laisser ensevelir sous la pacotille des marchands du temple, sans exiger disneyland de ma commune, j’avoue adorer les guirlandes, les bougies et le sapin décoré de toutes les couleurs. Pire, bien qu’agnostique, je reconnais être encore ému par la crèche. Il m’arrive même de me débarrasser d’une pièce de monnaie pour allumer une veilleuse ou un cierge dans les églises.
Je n'y peux rien, je suis un homme simple !
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26 novembre 2019
Carnet vénitien
Je vais encore m'attirer des ennemis parmi les connaisseurs. Mais c'est chez moi une seconde nature et, il me faut l'avouer, un plaisir délicat.
Eh bien oui, dans la débauche des palais qui, au temps de leur splendeur, se disputèrent le luxe et la hauteur le long du grand canal, deux ont ma préférence : l'Aldramin et le Venier dei Leoni. (J'entends déjà grincer quelques dentiers).
Ma première visite au palazzo Venier dei Leoni qui abrite depuis 1949 au 701 Dorsoduro la collection de Peggy Guggenheim, fut dédiée, n'en déplaise aux empêcheurs d'admirer en rond, au peintre Giorgio de Chirico. Mon cœur battait un peu plus vite en franchissant le délirant portail d'entrée signé en 1961 par Claire Falkenstein car j'allais m'approcher « pour de vrai » de trois tableaux où quelques-uns de mes songes d'adolescent les plus tenaces ont élu domicile depuis ma rencontre avec l'oeuvre de Chirico : Le rêve du poète nommé aussi La nostalgie du poète sur certaines reproductions (huile et fusain sur toile, 89,5 x 40,5 cm), La tour rouge (huile sur toile, 73,5 x 100,5 cm) et L'après-midi délicat (huile sur toile, 65 x 58 cm).
Ce que quelqu'un ressent devant un tableau reste un secret. Je ne parle pas des études critiques très pertinentes et très sérieuses qui sont publiées ici et là mais de cet instant qui naît, qui s'évanouit ou qui se perpétue par la seule grâce de la rencontre entre la toile et le regard. Cet instant est pour moi l'or du temps (Je cherche l’or du temps, écrivait André Breton) et j'en dois bien quelques pépites à ce palais inachevé que les vénitiens appellent il palazzo non compiuto. Ces connaisseurs, dont je me plais ici à défier le bon goût, estiment que l'inachèvement des travaux du palais Venier (commencé en 1749) est une chance si l'on se réfère à l'unique réalisation vénitienne de son architecte, Lorenzo Boschetti, l'église San Barnaba à la façade jugée « lourdement classique » . Querelles de puristes, sans doute les mêmes qui se considèrent comme suffisamment compétents pour décider à votre place de ce que vous devez aimer ou dédaigner...
« Et en plus vous aimez Chirico ! » Certes, et je me souviens non sans délectation d'une interview retransmise à la télévision dans le cadre d'un programme intitulé Archives du vingtième siècle. Le vieux peintre, un rien distant et pince-sans-rire, s'ingéniait avec malice à répondre à côté des questions qui tombaient en rafales pour tenter de pallier son laconisme. De temps en temps, son regard ébauchait un sourire à la fois confus et goguenard qui cherchait à se dérober au malaise mêlé d'enfantine vanité que suscitent presque toujours caméras et projecteurs. Peut-on sérieusement penser que de tels appareillages puissent prétendre débusquer, dans leur aveuglante lumière, l'obscurité du geste créateur ? En revanche, plus que la qualité et la précision des questions, plus que l'image du peintre sur le qui-vive, c'était bien le décalage entre lui et son interlocuteur qui révélait en filigrane l'intérêt du documentaire : les tentatives de fuite de l'artiste.
Et le mystérieux palazzo Aldramin dans tout cela ? Le plan de Venise le plus précis ne vous sera d'aucun secours pour le trouver. Ouvrez plutôt La vie vénitienne du cher vieil Henri de Régnier (Mercure de France) qui avoue avoir inventé cette demeure tout entière dédiée à la cause romanesque dans un livre au titre redoutable : La peur de l'amour !
Un palais vénitien inachevé, un autre qui n'existe pas, un peintre et un écrivain passés de mode, serais-je perdu pour l'art et le bon goût ? Si l'on me pose ainsi la question, je l'espère bien.
© Orage-Lagune-Express, 2006. Tous droits réservés.
À Venise, en juin 2003.
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10 juillet 2019
Carnet / Des Lusiades de Camões, de Message de Pessoa et de l'Occident
Pessoa Camões
Les Lusiades de Luis Vaz de Camões et Message de Fernando Pessoa sont à mes yeux les deux grandes épopées occidentales.
Je conseille la lecture en français du grand œuvre de Camões dans l’édition Poésie/Gallimard avec la traduction et la préface de Hyacinthe Garin et une préface de Vasco Graça Moura. La traduction en alexandrins rimés permet une lecture aisée.
Pour Message de Pessoa, je me réfère à l’édition établie à l’enseigne de José Corti avec la préface de José Augusto Seabra et la traduction de Bernard Sesé.
Dans son roman à la publication posthume Pour Isabel sous-titré Un mandala, Antonio Tabucchi fait dire à un des personnages évoquant des années de lycée à l’époque où le Portugal avait encore des colonies : on y divisait en morceaux stupides le poème national Les Lusiades, qui est un beau poème de mer, mais qui était étudié comme s’il s’agissait d’une bataille africaine.
Je pense qu’il ne faut bien sûr pas lire Les Lusiades comme s’il s’agissait seulement d’une bataille africaine mais les lire comme un simple beau poème de mer serait tout aussi réducteur.
Plus je lis et relis les Lusiades de Camões publiées en 1572 et Message de Pessoa sorti en 1934, plus je mesure la puissance du lien entre ces deux épopées. L'une est dans l'espace et l'autre dans le temps. Ces deux œuvres débordent largement du cadre national portugais.
Pour le lecteur moyen du 21ème siècle que je suis, elles irriguent ma réflexion sur la renaissance de l’idéal occidental que j’appelle de mes vœux. À plus de trois siècles et demi de distance, les Lusiades et Message sont des balises, des repères dans ce cheminement vers le nécessaire renouveau de l’Occident.
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