25 mars 2024
L'avis de Jacki Maréchal à propos de mes deux derniers livres (disponibles à la librairie Buffet pour les personnes d'Oyonnax et sa région) :
00:05 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, lecture, les fantômes de ma tante, christian cottet-emard, humour, roman, littérature, blog littéraire de christian cottet-emard, blog l'annexe, nuel, orage lagune express éditions, christian cottet-emard, fantômes de ma tante, livre, nonsense, absurde, humour anglais, roman humoristique, club cigare, joaquim vaz de andrade, club cigare info, une folle nuit d'amour ou un bon dîner chez lapin ?, porto, portugal, douro, fleuve, orage lagune express, vila nova de gaïa, pont luís
04 décembre 2023
Une folle nuit d'amour ou un bon dîner chez Lapin ? (Extrait)
Porto depuis le Pont Luís. Photo Ch. Cottet-Emard
La matinée était déjà bien entamée mais d’ici vingt heures, j’avais largement le temps de tenter une nouvelle visite au domicile de Béatrice Domenc. Je franchis donc de nouveau le Pont Luís en direction de Vila Nova de Gaia. Depuis la rambarde, la vue vertigineuse sur Porto et le Douro transforma mon anxiété diffuse en angoisse. Que faisais-je ici ? Je me sentais comme un rat de laboratoire soumis à des expériences destinées à tester et analyser son comportement. Peut-être avais-je perdu Madeleine et pourquoi ? Pour une simple remarque de travers ? C’était absurde.
L’arrivée devant le petit restaurant de Dona Lucinda me réconforta un peu. J’entrai directement dans la cour, franchis la deuxième porte, gravis l’escalier et fis grésiller le bouton de sonnette. La porte s’ouvrit doucement. Bonjour madame Domenc, je suis le mari de Madeleine. Puis-je entrer ? Béatrice Domenc sourit et me céda le passage d’un geste de la main. Madeleine m’avait dit qu’elles avaient le même âge mais je notai que son amie affichait un style complètement différent. Sa chevelure grise encadrait un visage à l’expression un peu molle. Elle referma la porte et m’indiqua un fauteuil maigrichon en rotin qui émit d’inquiétants craquements lorsqu’il recueillit mes quatre-vingt-cinq kilos. Voulez-vous boire quelque chose ? proposa-t-elle en ajustant l’ample robe imprimée dans laquelle flottait sa silhouette frêle.
L'appartement où il me semblait détecter une trace du parfum de Madeleine était constitué d’une grande pièce avec deux fenêtres protégées de rideaux occultants. On devinait dans le fond une alcôve ainsi qu’une kitchenette aménagée dans un renfoncement qu’une porte accordéon en plastique marron était censée dissimuler. La décoration du séjour sortait tout droit des années soixante-dix avec des arbres de vie tendus sur les murs, des foulards indiens posés sur des abat-jours, un canapé deux places et un fauteuil crapaud.
Béatrice Domenc apporta une infusion qu’elle mit une éternité à servir avec des gestes savants dans de petits bols qu’elle disposa sur un plateau métallique oriental en équilibre sur un pouf en cuir puis s’assit en face de moi sans se départir de son sourire. Boire chaud est préférable quand on veut vraiment se désaltérer énonça-t-elle doctement. Pas convaincu, je portai avec prudence le bol à mes lèvres et le reposai aussitôt en raison de l’odeur de poussière du breuvage et de son goût de vieille betterave oubliée à la cave. Ça vous ennuierait si on se tutoyait ? Parce que j’ai perdu l’habitude de dire vous aux gens depuis que j’ai refait ma vie ici. Non, pas vraiment, répondis-je en pensant que rien ne m’énervait plus que ces gens qui vous tutoient deux minutes après vous avoir rencontré pour la première fois.
Domenc accentua son sourire figé qui m’énervait aussi. Tu as donc fait tout ce voyage parce que tu penses que Madeleine est venue se réfugier chez moi après votre dispute ? On ne s’est pas vraiment disputés, rectifiai-je, il s’agit plutôt d’un malentendu. Domenc hocha la tête d’un air amusé. Ah oui, pardon, ce genre de nuance m’échappe un peu depuis que je suis divorcée. Désolé de vous rappeler de mauvais souvenirs, risquai-je sans céder au tutoiement. Domenc me scrutait avec amusement ou condescendance, de toute façon, j’en étais irrité dans les deux cas. Pendant qu’elle prenait une autre gorgée de sa tisane de poussière, je l’observai à mon tour.
Elle n’était pas trop mal dans son genre, plutôt bien conservée. Je parie que tu es en train de te dire que je suis bien conservée pour une femme de mon âge, pas vrai ? Euh, oui, balbutiai-je, troublé. Et j’ajoutai : oui, vous êtes très bien. Un léger voile effleura son sourire. Pourtant, il manque quelque chose, soupira-t-elle, à quoi je ne pus rien répondre de plus original que : je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Elle se leva, s’approcha, prit brusquement ma main et la plaqua contre sa poitrine. Il m’en manque un, tu sens ? J’étais si abasourdi que je restai pétrifié quelques secondes avant de trouver la répartie : oui, mais l’autre continue de vous avantager. Elle rit et retourna s’asseoir.
Toi au moins, tu ne manques pas d’esprit. Ce n’est pas comme mon mari. Il m’a plaquée juste après mon opération. Il faut croire que pour lui, une femme qui n’a plus qu’un sein n’est plus une femme. C’est ridicule et injuste, dis-je. Elle haussa les épaules. Je t’épargne les détails, la dépression, la rage et tout le reste, et après la vie qui reprend le dessus parce qu’il n’y a pas d’autre choix et enfin ma décision de m’installer ici, dans cet endroit du monde qui me plaît. Ça fait maintenant cinq ans et jamais je ne me suis sentie aussi bien que dans ce petit appartement qui sent la frite mais qui suffit désormais à mon bonheur.
Elle se leva de nouveau et ouvrit les rideaux, dégageant la vue sur les quais animés du Douro. Je crois que pouvoir contempler ça tous les jours grâce à Lucinda qui ne me demande qu’un loyer symbolique a contribué à me redonner une santé. Dans cette nouvelle vie, je n’ai de comptes à rendre à personne mais je dois quand même reconnaître que je n’avais pas prévu de finir célibataire, sans enfants de surcroît.
Le sourire de Béatrice Domenc ne m’irritait plus du tout. Je fus tenté de lui assurer qu’il n’était pas trop tard pour rencontrer un homme digne d’elle mais je jugeai cette remarque stéréotypée indigne de la situation. Je décidai maintenant de la tutoyer. Vous dites, pardon, tu dis que ton appartement sent la frite mais il m’a aussi semblé reconnaître quelque chose d’assez proche du parfum de Madeleine, or c’est une marque plutôt rare. Je serais étonné que tu portes le même… Béatrice hocha la tête. Tu as non seulement de l’esprit mais du nez. Madeleine est passée me voir ce matin puisque c’est cela que tu veux savoir mais elle est repartie avec son amie.
Pour les personnes d'Oyonnax et de sa région, ce roman est en vente au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax au prix de 10 € (format poche).
05 octobre 2023
Carnet / Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre *
Plaire est agréable mais déplaire est amusant. Voilà pourquoi j’aime déclarer au milieu d’une assemblée d’adeptes du mouvement et du changement à tout prix, autrement dit de la gesticulation stérile, le mantra de notre époque, que lorsque les choses changent, c’est rarement en bien.
Divertissez-vous en sortant ça en pleine réunion au travail (de préférence à un mois de la retraite, c’est plus prudent) et vous pourrez savourer votre effet sur tout représentant de n’importe quelle élite dirigeante qui pratique probablement le « gattopardisme » (il faut que tout change pour que rien ne change) comme monsieur Jourdain dit de la prose, sans le savoir. De toute façon, le niveau culturel de nos chefs actuels, petits ou grands, nous incite à douter qu’ils aient lu attentivement Le Guépard (Il Gattopardo) de Giuseppe Tomasi di Lampedusa et Le Bourgeois gentilhomme de Molière.
On s’accrochait hier aussi désespérément à l’idéal de permanence qu’à celui d’impermanence aujourd’hui mais bien sûr, notre fragile condition humaine oscille entre les deux.
Je me suis agrippé une grande partie de ma vie comme un naufragé à cette planche de salut qu’est l’obsession de la permanence, celle des propriétés, des maisons, des paysages, des êtres et que sais-je encore mais tout en acceptant de douter des certitudes qui l’accompagnent, je n’ai pas pour autant lâché prise pour me laisser emporter dans le courant de l’illusion de l’impermanence.
Pour mon confort personnel, je m’en veux d’avoir mis très longtemps à découvrir qu’il existait une troisième voie. La lecture de Paul Verlaine en mon adolescence aurait pourtant dû m’y aider plus tôt : « Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. » Mais oui ! Comme l’eau de la source, la vague sur le sable, la rumeur de la forêt, l’aube après la nuit, la grappe de raisin, la goutte de rosée, le flocon de neige, l’aiguille du mélèze, la feuille et la fleur de l’arbre…
(Extrait de Prairie Journal 2, deuxième tome de mes carnets, coédition Club / Orage-Lagune-Express. En parution programmée sur Amazon, c'est-à-dire enregistré mais non encore disponible au public.)
* Ni tout à fait la même / Ni tout à fait une autre (extrait de Mon rêve familier, Poèmes saturniens de Paul Verlaine) est aussi le titre d’un roman de Flora Groult.
Photo / Chaque goutte d’eau de la fontaine n’est ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. (Détail de la fontaine du Rossio à Lisbonne. Photo Christian Cottet-Emard).
17:39 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, voyage, lisbonne, rossio, portugal, fontaine, permanence, impermanence, gattopardisme, le guépard, il gattopardo, giuseppe tomasi di lampedusa, le bourgeois gentilhomme, molière, paul verlaine, poèmes saturniens, mon rêve familier, littérature, poésie, blog littéraire de christian cottet-emard, flora groult