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05 décembre 2019

Carnet / Une leçon de Venise

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Venise est bien sûr la ville de ce que j’appelle des moments à poèmes, ces étranges épiphanies somme toute assez rares dans une vie et qui surviennent aussi dans les endroits les plus inattendus. L’une d’elles a saisi le jeune homme flottant dans un imperméable gris à la mode des années 80 que j’étais ce soir-là dans un arrêt de vaporetto.

À l’intérieur de ces petites stations flottantes reliées au quai par une passerelle, règne à cette heure tardive une atmosphère d’atelier où l’on a oublié d’éteindre les néons.

C’est pourtant bien à l’éclairage jaunâtre des ateliers d’usine de ma bourgade d’origine, Oyonnax, que je pensais malgré moi avant d’entendre le moteur du vaporetto et le clapot sur sa coque.

Je ne sais pas précisément pourquoi cette pensée m’a rempli d’une joie aussi intense dans cet abri bercé par l’onde du canal et dont les vitres exposées aux embruns me renvoyaient le pâle reflet d’un jeune touriste insignifiant qui se prenait pour un roi du monde au seul prétexte qu’il était à Venise au lieu de croupir dans son lycée vétuste puis dans les locaux blafards de l’industrie où risquaient de déboucher des études trop tôt interrompues.

Je suis au moins certain qu’en ce qui me concerne, mon obsession de Venise n’est pas pour rien dans la chance qui m’a permis d’éviter ce funeste destin. Il ne s’agissait pourtant que de monter dans le dernier vaporetto du soir, celui qui, cependant, ne risque pas de vous emmener là où vous ne voulez pas aller.

 

Extrait de Carnet vénitien © Club et éditions Orage-Lagune-Express 2014.

Photo : Venise, années 80, en attendant le dernier vaporetto du soir. (photo M.)

 

26 novembre 2019

Carnet vénitien

Je voulais parler ce soir de Peggy Guggenheim après avoir vu à la télévision un documentaire consacré à cette femme que j'admire. En effectuant sur internet quelques recherches complémentaires à son sujet, je suis tombé sur un très ancien billet de mon blog que je remets donc en ligne avant de donner dans les prochains jours un texte récent évoquant cette personnalité d'exception.  

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Pages d'un de mes anciens carnets


Je vais encore m'attirer des ennemis parmi les connaisseurs. Mais c'est chez moi une seconde nature et, il me faut l'avouer, un plaisir délicat.

Eh bien oui, dans la débauche des palais qui, au temps de leur splendeur, se disputèrent le luxe et la hauteur le long du grand canal, deux ont ma préférence : l'Aldramin et le Venier dei Leoni. (J'entends déjà grincer quelques dentiers).

Ma première visite au palazzo Venier dei Leoni qui abrite depuis 1949 au 701 Dorsoduro la collection de Peggy Guggenheim, fut dédiée, n'en déplaise aux empêcheurs d'admirer en rond, au peintre Giorgio de Chirico. Mon cœur battait un peu plus vite en franchissant le délirant portail d'entrée signé en 1961 par Claire Falkenstein car j'allais m'approcher « pour de vrai » de trois tableaux où quelques-uns de mes songes d'adolescent les plus tenaces ont élu domicile depuis ma rencontre avec l'oeuvre de Chirico : Le rêve du poète nommé aussi La nostalgie du poète sur certaines reproductions (huile et fusain sur toile, 89,5 x 40,5 cm), La tour rouge (huile sur toile, 73,5 x 100,5 cm) et L'après-midi délicat (huile sur toile, 65 x 58 cm).

Ce que quelqu'un ressent devant un tableau reste un secret. Je ne parle pas des études critiques très pertinentes et très sérieuses qui sont publiées ici et là mais de cet instant qui naît, qui s'évanouit ou qui se perpétue par la seule grâce de la rencontre entre la toile et le regard. Cet instant est pour moi l'or du temps (Je cherche l’or du temps, écrivait André Breton) et j'en dois bien quelques pépites à ce palais inachevé que les vénitiens appellent il palazzo non compiuto. Ces connaisseurs, dont je me plais ici à défier le bon goût, estiment que l'inachèvement des travaux du palais Venier (commencé en 1749) est une chance si l'on se réfère à l'unique réalisation vénitienne de son architecte, Lorenzo Boschetti, l'église San Barnaba à la façade jugée « lourdement classique » . Querelles de puristes, sans doute les mêmes qui se considèrent comme suffisamment compétents pour décider à votre place de ce que vous devez aimer ou dédaigner...

« Et en plus vous aimez Chirico ! » Certes, et je me souviens non sans délectation d'une interview retransmise à la télévision dans le cadre d'un programme intitulé Archives du vingtième siècle. Le vieux peintre, un rien distant et pince-sans-rire, s'ingéniait avec malice à répondre à côté des questions qui tombaient en rafales pour tenter de pallier son laconisme. De temps en temps, son regard ébauchait un sourire à la fois confus et goguenard qui cherchait à se dérober au malaise mêlé d'enfantine vanité que suscitent presque toujours caméras et projecteurs. Peut-on sérieusement penser que de tels appareillages puissent prétendre débusquer, dans leur aveuglante lumière, l'obscurité du geste créateur ? En revanche, plus que la qualité et la précision des questions, plus que l'image du peintre sur le qui-vive, c'était bien le décalage entre lui et son interlocuteur qui révélait en filigrane l'intérêt du documentaire : les tentatives de fuite de l'artiste.

Et le mystérieux palazzo Aldramin dans tout cela ? Le plan de Venise le plus précis ne vous sera d'aucun secours pour le trouver. Ouvrez plutôt La vie vénitienne du cher vieil Henri de Régnier (Mercure de France) qui avoue avoir inventé cette demeure tout entière dédiée à la cause romanesque dans un livre au titre redoutable : La peur de l'amour !

Un palais vénitien inachevé, un autre qui n'existe pas, un peintre et un écrivain passés de mode, serais-je perdu pour l'art et le bon goût ? Si l'on me pose ainsi la question, je l'espère bien.

© Orage-Lagune-Express, 2006. Tous droits réservés.

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À Venise, en juin 2003.

02 juillet 2019

Carnet / Juillet, le mois des voyages rêvés et réels

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Lisbonne, détail de la fontaine du Rossio un jour de juillet (photo Christian Cottet-Emard)

Je ne suis pas un voyageur. Jamais l’illusion des lointains ne m’a taraudé. Lors de mes rares déplacements, seul m'importe le retour. Là sonne pour moi l'heure du vrai voyage, le plus complet et le plus aventureux, non plus dans l'espace comme celui qui lui préluda, mais dans le temps.

Parmi les pays que j'ai traversés, par plaisir et par nécessité, l'Italie et le Portugal m'éblouissent et me hantent. D'ailleurs, je suis encore loin d'en avoir épuisé, si cela est possible, toutes les surprises. Les meilleurs moments de ces découvertes ont toujours coïncidé avec des étapes importantes de mon passage de l'adolescence à ce que je ne peux me résoudre à nommer l'âge mûr. D'une certaine manière, l'Italie et le Portugal se sont peu à peu imposés à moi comme une mesure du temps, ce temps où, je le répète, s'accomplit le seul et vrai voyage.

À travers ces notes qui ne relèvent ni du carnet de voyage ni du journal intime, se confondent des lieux et des instants, le plus souvent heureux. Moments du quotidien mille fois revécus en rêves, échappées belles, fuites et retours, exercices d'admiration, ces quelques épisodes ne peuvent sans doute pas signifier grand-chose pour l'amateur éclairé des départs ou pour le chasseur d'aventures inédites.

Que ceux-là passent leurs chemins de hauts vols car c'est au passant des rues mornes que je m'adresse, à l'arpenteur mélancolique des dimanches soirs qui, du fond de sa bourgade, rêve lui aussi de son Italie et de son Portugal vécus et connus de lui seul.

© Éd. Club collection, droits réservés