19 février 2007
L'éditeur et le poète
Lettre d'un éditeur de poésie à un poète en quête d'éditeur, Louis Dubost, Ginkgo éditeur. 2006, 123 p., 7 euros.
(Cet article est paru dans la revue La Presse littéraire n°7, août, septembre, octobre 2006)
Certains savourent d’autres toussent. La Lettre d’un éditeur de poésie à un poète en quête d’éditeur de Louis Dubost, dès ses premières éditions, malmène l’ego de quelques candidats à la publication aux manières désinvoltes. Ce texte instructif et malicieux dont je m’étais procuré le mince livret publié chez Deleatur (2001) vient de reparaître chez Ginkgo, augmenté de réponses d’auteurs et de considérations sur le dur métier d’éditeur. Cela donne un petit livre encore plus savoureux aux couleurs d’un bonbon mais d’un bonbon qui pique. Amateurs de douceurs onctueuses s’abstenir !
En effet, à l’ironie somme toute assez bienveillante de Louis Dubost (lorsqu’on sait la goujaterie de certains plumitifs), viennent s’ajouter les rages, dépits et coups de sang de ceux qui s’exposent imprudemment en envoyant leurs oeuvres à l’aveuglette, c’est-à-dire sans prendre au moins le soin de se renseigner sur le catalogue et sur la sensibilité d’un éditeur de poésie recevant cinq cents manuscrits par an. Parmi ces velléitaires qui se rêvent ou se cauchemardent écrivains, certains ne sont pas le moins du monde gênés de déclarer qu’ils n’ont pas le temps de lire. Et Louis Dubost de leur répondre du tac au tac : Vous avez bien le temps d’écrire !
Cette petite déprime passagère dont l’éditeur des poètes d’aujourd’hui avoue s’offrir parfois le luxe en rêvassant au montant d’une commande d’un livre à dix euros par les seize mille pourvoyeurs de manuscrits, on la comprend, surtout à la lecture des instantanés que Louis Dubost appelle des clips, moments glanés sur les stands des foires aux livres et autres salons, notamment au Marché de la poésie parcouru par des porteurs de cartables et de saccoches plus gonflés de manuscrits inédits qu’affamés de livres exposés à la vente. En un geste révélateur de leur mentalité, ces chasseurs d’éditeur posent parfois sans vergogne leur bagage sur les livres présentés au public !
Les poètes en quête d’éditeur ne sont heureusement pas tous des mufles. Beaux joueurs, quelques uns reconnaissent la vertu pédagogique de la Lettre dont cette nouvelle édition, illustrée par les petits personnages du dessinateur Pascal Jousselin (http://pjousselin.free.fr/), offre un point de vue imprenable sur l’étrange paysage éditorial d’aujourd’hui où tentent de survivre les artisans de la poésie. Un livre à se procurer d’urgence avant de laisser dégénérer une subite crise de vers en un envoi irréfléchi ou prématuré de manuscrit.
Christian Cottet-Emard
23:40 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Édition, poésie, Ginkgo éditeur, Louis Dubost, L'idée bleue, Le Dé bleu
18 février 2007
Poussières
« J'ai examiné des petits bouts de mon enfance. Ce sont des morceaux d'une vie lointaine qui n'ont ni forme, ni sens. Des choses qui se sont produites comme des poussières.»
- Richard Brautigan -
(extrait de « Poussières » page 149 du recueil « La Vengeance de la pelouse », éditions 10/18.)
01:53 Publié dans Alliés substantiels | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Brautigan, La Vengeance de la pelouse, éditions 10/18
14 février 2007
Spécialités au feu de bois
Tu venais manger dans cette auberge perdue dans la forêt dès le milieu des années soixante « cet enfant a un appétit d'ogre »
Et voilà que l’an deux mille est déjà dépassé de sept ans le menu « spécialités au feu de bois » n’a presque pas changé et rien n’a changé non plus dehors
Ce lieu est une perle de ton collier de paysages sensés
Jusqu’à aujourd’hui tu n’as manqué aucun épisode du feuilleton du papier peint et des tentures murales
Une année mythologique ta grand-mère était revenue du centre-ville avec son permis de conduire et t’avait payé le petit déjeuner à l’auberge du lac (pain grillé maison et beurre des fermes voisines)
En ces autres temps la tenture murale était écossaise et un orage grondait comme un farceur caché dans les bois
Tu trouvais prodigieux ce matin si sombre que la serveuse avait dû éclairer en apportant le café et le lait quel farceur cet orage qui courait les bois et la tourbière qui faisait des ronds dans le lac et qui versait des gouttes de nuit dans le bol du jour
Ce soir comme tant d’autres soirs le patron fait cuire la viande et le saucisson au vin dans la cheminée tu trouvais cet homme immense au milieu des années soixante à cause de la danse indienne de son ombre autour de l’odorant feu de bois
Et ce même homme de taille tout à fait normale vient aujourd’hui à ta table te dire bonsoir monsieur saluer d’autres habitués puis repart surveiller la cuisson au feu de bois pendant que son ombre continue sa danse indienne du milieu des années soixante
C’est encore un beau soir pour dîner dans cette auberge un de ces soirs à voir rappliquer le lac et la forêt dans la salle pour saluer quelques habitués si heureux que le menu n’ait pas changé
Et rien ni personne hormis l’archange de l’Apocalypse à l’heure d’enrouler le décor ne peut y changer quelque chose pas même au menu « spécialités au feu de bois »
Copyright : Orage-Lagune-Express, 2007.
Photo MCC.
14:29 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Brouillon de poème, réflexions littéraires, lac, forêt, spécialités au feu de bois