05 mai 2018
Mauvais esprits, nous m’dame ?
En complément de mon billet sur la statue de Voltaire installée à Oyonnax, je mets en ligne ce texte que j'avais donné à la revue Le Croquant n°16 (automne - hiver 1994). Et en plus, une petite référence musicale à Candide qui a inspiré Leonard Bernstein.
Autour du lycée, les préfas poussent comme des verrues sur un visage obèse qui peut tout aussi bien être celui du proviseur. Convoqué dans le bureau de cet homme sans cou ni taille, en raison de mon absence permanente au cours de gymnastique, j’ai failli m’asseoir sur son chapeau déposé là par quelque haineux subalterne.
Vraiment fort le proviseur : Voltaire dans un sermon, il fallait oser. Le chapeau sur la chaise, à côté, c’est l’harmonie, la logique, l’équilibre... La grâce ? Tout de même, n’exagérons rien.
La grâce, c’est plutôt le rayon de la prof de français, joli brin de fille épanoui entre les lézardes des préfas aux quatre vents mutins des affectations. Une fleur de décombres en quelque sorte, une belle plante rudérale... Dans la bouche du proviseur, Voltaire cité en rafales automatiques siffle mépris et reproches et sent l’aigre des digestions approximatives. Entre les lèvres de la prof de français, Voltaire gazouille tel l’oiseau de la pluie dans l’effluve d’un Chanel au numéro inférieur ou égal à ma moyenne en maths.
Cette appétissante oiselle a ses pudeurs. Elle nous fait travailler Voltaire dans une édition de classiques à deux sous vierge de tout épisode égrillard, notamment expurgée d’une bonne partie du chapitre seizième de Candide. Voltaire y prend plaisir à relater les clameurs qui partaient de deux filles toutes nues qui couraient légèrement au bord de la prairie, tandis que deux singes les suivaient en leur mordant les fesses.
Nous sommes deux dans la classe à posséder les romans et les contes de Voltaire dans une édition de poche récente qui donne le texte intégral, selon la formule consacrée, ce qui nous conduit à demander l’autorisation de lire le passage manquant où Candide prend son fusil espagnol à deux coups, tire et tue les deux singes. Dieu soit loué, mon cher Cacambo ! J’ai délivré d’un grand péril ces deux pauvres créatures : si j’ai commis un péché en tuant un inquisiteur et un jésuite, je l’ai bien réparé en sauvant la vie à deux filles...
À la vue du rictus qui commence à tortiller le minois de la petite prof, nous comprenons que cette adepte de Voltaire allégé regrette aussitôt de nous avoir donné la parole. Pourtant, le plus dur est à venir. Candide continue de se féliciter de sa bonne action mais sa langue devint percluse quand il vit ces deux filles fondre en larmes sur leurs corps, et remplir l’air des cris les plus douloureux. Je ne m’attendais pas à tant de bonté d’âme dit-il enfin à Cacambo ; lequel lui répliqua : vous avez fait là un beau chef-d’œuvre, mon maître ; vous avez tué les deux amants de ces demoiselles.
Cette fois, le rictus libère une sorte de coassement. Le visage de notre juvénile enseignante vient de prendre quinze ans en deux secondes, et tout cela à cause de nous, adolescents vulgaires travaillés par nos hormones.
— Excusez-nous m’dame. Pour nous faire pardonner, on va vous lire un autre passage extrait de Micromegas et qui manque aussi à votre édition : son Excellence se coucha de tout son long car s’il se fût tenu debout, sa tête eût été trop haut au-dessus des nuages. Nos philosophes lui plantèrent un grand arbre dans un endroit que le docteur Swift nommerait, mais que je me garderai bien d’appeler par son nom, à cause de mon respect pour les dames...
— Mauvais esprits, nous m’dame ? Eh ben, si on peut même plus participer...
Illustrations : détail de la statue de Voltaire installée à Oyonnax et 4ème de couverture de la revue Le Croquant n°16
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03 novembre 2017
Carnet / De l’impossibilité de ronchonner
J’aime beaucoup ronchonner parce que c’est bon pour la santé. Je ne m’en prive ni sur ce blog ni dans mon quotidien mais parfois, cela devient difficile voire impossible lorsque la vie fait des cadeaux.
Comment ronchonner quand l’arrière-saison est douce, quand le spectacle de la nature où se trouve nichée ma maison est un enchantement, quand l’aube et le crépuscule rivalisent dans des mauves qui défient la palette du plus fou des peintres et quand je n’ai qu’à lever les yeux vers ma fenêtre pour en profiter à ma guise car, cerise sur le gâteau, j’ai tout mon temps pour moi ?
Alexander Paley, Froberger, Roland Furieux : quand l’initiative culturelle privée vient à la rescousse.
L’offre culturelle locale publique en concerts classiques s’est effondrée ? Qu’à cela ne tienne, le privé prend la relève : après le récital du grand pianiste Alexander Paley invité à Nantua à l'initiative de Mireille Sourieau-Ecoiffier et de son époux Robert voici quelques semaines, deux concerts oyonnaxiens rien que ces derniers jours et non des moindres : l’avant-dernière partie de l’intégrale des suites pour clavecin de Froberger donnée par Olivier Leguay chez mon ami le peintre et auteur Jacki Maréchal dans son atelier et une mémorable soirée proposée la veille de la Toussaint chez mes amis Marie et Bernard Grasset dans leur maison avec l’ensemble Le Ridotto qui offrait au public un épisode du poème épique Le Roland Furieux de l’Arioste avec Florence Grasset (soprano), Dana Howe (luth) et Nicolas Hémard (récitant).
Ces trois artistes ont une telle connaissance de leur répertoire et une telle maîtrise de leurs spécialités respectives qu’ils parviennent en une heure à nous transporter dans cet univers à la fois si lointain et si proche de la Renaissance italienne. L’ouvrage était présenté dans la traduction de Mellin de Saint-Gelais et de Jean-Antoine De Baïf, ce qui permettait au public de mesurer l’art du récitant Nicolas Hémard, notamment dans la diction du vieux français.
L’ensemble Le Ridotto, sous la direction de Nicolas Hémard, revisite la littérature italienne. Grâce à son effectif adapté à l’intervention dans un petit espace, on peut le solliciter pour organiser des concerts à domicile, ce qui permet de renouer avec la tradition ancienne des salons de musique et de littérature, une aubaine si l’on réside comme moi dans une province où les saisons officielles de spectacles n’en finissent plus de décliner.
Par les temps qui courent, aussi bien en musique qu’en littérature, en spectacle vivant ou dans mon domaine, l’édition, je suis persuadé que l’initiative privée à destination de publics restreints peut offrir d’intéressants débouchés aux artistes et aux auteurs attachés à l’exigence et à la qualité.
Photo : hier devant chez moi (photo prise par Marie)
02:21 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, spectacles, concerts, concerts privés, froberger, clavecin, olivier leguay, roland furieux, arioste, orlando furioso, ludovico ariosto, florence grasset, soprano, dana howe, luth, nicolas hémard, récitant, ensemble le ridotto, direction nicolas hémard, mellin de saint-gelais, jean-antoine debaïf, poème épique, renaissance italienne, blog littéraire de christian cottet-emard, oyonnax, ain, rhône-alpes auvergne, france, europe, photo, nature, ciel, nuages, aube, crépuscule, campagne, arrière-saison
21 avril 2017
Ce samedi soir 22 avril à Oyonnax : troisième concert de l'intégrale Froberger à l'atelier de Jacki Maréchal
19:21 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, concert, atelier jacki maréchal, oyonnax, ain, rhône-alpes auvergne, france, europe, haut bugey, johann, jakob froberger, olivier leguay, clavecin, épinette, blog littéraire de christian cottet-emard