06 janvier 2015
Carnet / Du chant des possibles
Une rareté désormais : la carte de vœux fabrication maison en exemplaire unique reçue l’autre jour au courrier. Au verso d’une belle photo, l’amie de trente ans a recopié un instantané de François Xavier Maigre, un poète que je ne connaissais pas, publié aux éditions Bruno Doucey :
« Janvier. Son parfum hivernal, sa fraîcheur drue sur nos visages. le vent qui souffle... L’entendez-vous ? C’est le chant des possibles qui érafle les fenêtres de nos vies. »
Chez moi après les récentes chutes de neige
Chaque année le lendemain de l’Épiphanie, je regarde avec un petit pincement au cœur mon épicéa de Noël qui a perdu sa couleur et ses aiguilles mais dont le parfum rappelle encore ces fêtes de fin d’année pour moi toujours éclairées d’une certaine magie malgré tout ce qu’on leur reproche en ces temps de cynisme nanti et d’affectation blasée. C’est ma culture, avec ses imperfections, mais je m’y sens à l’aise et sans souhaiter la brandir comme un drapeau, je ne voudrais pas la voir remplacée par une autre.
Je suis bien conscient de la nécessité de ne pas tomber dans certains pièges politiques sordides mais je pense aussi que refuser de hurler avec les loups ne signifie pas pour autant accepter de bêler avec les agneaux.
J’ai rythmé les fêtes avec les somptueux motets de Jean Gilles (Cantate Jordanis incolæ, Diligam te Domine), le fracassant Te Deum Dettingen de Haendel et des pièces pour orgue de Gaston Litaize, notamment sa Sonate à deux pour grand orgue, à quatre mains, et son étonnant Cortège pour trois trompettes, trois trombones et orgue.
J’avais besoin de ces musiques pleines d’élan vital et de beauté pour tenter d’éloigner les vulgarités (hystérie sportive locale variée, passage à ma porte du lancer de Cochonou, autrement dit le Tour de France) et les chagrins de cette année 2014 qui s’est très bien terminée sur le plan matériel mais qui fut désastreuse sur le plan relationnel. Au milieu de ces chefs-d’œuvre musicaux, ma brève incursion dans l’univers symphonique du compositeur Howard Hanson ne m’a pas convaincu. Ce n’était peut-être pas le bon moment pour cette découverte.
On ne peut pas me soupçonner de me défier de la musique dite contemporaine, ma discothèque peut en témoigner, mais encore moins de renoncer à mes goûts personnels.
À cet égard, certaines « œuvres » me paraissent relever de la plus éhontée culture des poires, notamment celle d’un « compositeur » d’aujourd’hui dont j’ai oublié le nom et les sons (les trous de mémoire ont parfois du bon) mais pas le comique involontaire de son entretien avec une journaliste, laquelle, manifestement bien intentionnée, lui déclarait après avoir diffusé un salmigondis d’indigents borborygmes « je crois discerner dans cette pièce de subtils effets de miroirs, une composition en strates » (!) Et notre compositeur de lui répondre sur le ton matois caractéristique des adeptes et profiteurs de la culture des poires, tout heureux qu’on puisse trouver à leurs productions un intérêt, une beauté ou un sens qu’ils s’étaient abstenus d’y inclure : « Euh... Eh bien oui, on peut l’entendre ainsi, pourquoi pas ? » Ma foi oui, pourquoi pas ! Quant à moi, auditeur tombé par hasard sur cette séquence, j’aurais pu croire qu’un voisin bricolait mais comme je n’ai pas de voisin... Forcément, c’était France Musique !
Moins sonné psychologiquement qu’en fin 2013, j’ai réussi à me remettre un peu dans l’ambiance que j’agrémente chaque année de deux petits rituels : je regarde à la télé les retransmissions en direct de la messe de minuit à Saint-Pierre de Rome et du concert du nouvel an à Vienne.
Cette année, je craignais une perte d’éclat de cette grande messe en raison du style du Pape François enclin à plus de simplicité. Ce ne fut heureusement pas le cas, voire tout le contraire, avec en prime d’accompagnement musical, en plus de l’orgue et des chants, le concours d’un orchestre de chambre avec des solistes ! Une ambiance de concert !
Bien qu’étant agnostique, j’ai toujours aimé la pompe ecclésiastique sans laquelle des pans entiers de l’art occidental n’existeraient pas. Quant au concert du nouvel an, j’en aime depuis l’enfance ses morceaux de bravoure. J’ai toujours la larme à l’œil en écoutant la barcarolle des contes d’Hoffmann, je vibre à l’ouverture de la Chauve-Souris et la Marche de Radetsky m’électrise !
Après ces propos scandaleux, il ne me reste plus qu’à m’amuser à compter le nombre d’amis facebook qui m’auront viré... Les autres, en chair et en os, après avoir entendu bien pire, sont encore là, et c’est l’essentiel.
10:53 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, écriture de soi, blog littéraire de christian cottet-emard, voeux, meilleurs vœux, cartes de voeux, janvier, poésie, françois xavier maigre, éditions bruno doucey, messe de minuit, saint pierre de rome, italie, concert du nouvel an, vienne, autriche, musique, strauss, offenbach, howard hanson, jean gilles, haendel, motets, gaston litaize, orgue, épiphanie, épicéa, chauve-souris, barcarolle, contes d'hoffmann, marche de radetsky, facebook, amis, christian cottet-emard, occident, culture occidentale, art occidental, pompe écclésiastique, agnostique, agnosticisme, pape françois, culture chrétienne, france musique, radio, te deum dettingen, hystérie sportive, vulgarité
31 décembre 2014
Mon herbier de Noël
L’épine noire
Quand ralentit le cœur du passereau dans la nuit blanche l’épine noire veille et ouvre ses prunelles
Que ces petites lunes bleues soient de bon bec ô palpitant
Le houx
Dans le sous-bois l’automne madame houx met son collier et court quand vient le marché de Noël un grand danger
Le gui
Drôle d’idée par Saint-Sylvestre de s’embrasser sous les joues rondes et pâles de ce petit vampire des arbres
Le lierre
Le lierre aime les vieilles pierres la pierre aime les jeunes lierres ainsi toujours en sera-t-il et contre cet amour le givre ne peut rien
Le fusain
Le fusain prend sous son bonnet de si bien briller en automne que pour la messe de minuit le voilà tout ratatiné
L’hellébore noir
© Éditions Orage-Lagune-Express (textes), 2010. Droits réservés.
Photos : (1) prunelles (bélosses) sous la neige dans ma haie. (2) Houx sauvage photographié dans la forêt près de chez moi. (3) Gui. (4) Lierre. (5) Fusain (bonnets d'évèque dans ma haie) (6) Hellébore noir (Rose de Noël) séché dans un de mes carnets.
Photos Ch. Cottet-Emard et Marie-Christine Caredda (sauf gui (3) et lierre (4).
00:59 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : noël, saint-sylvestre, lierre, houx, gui, hellébore noir, épine noire, fusain, herbier, christian cottet-emard, poésie, botanique, prunelle, bélosses
15 novembre 2014
Carnet / De la veille et des rêves errants
Autant de mal à me lever qu’à me coucher ce vendredi. Et sous mes yeux qui picotent, le fantôme complice de Pessoa : « Quel grand repos de n’avoir même pas de quoi avoir à se reposer ! » Et plus loin dans son poème : « Grande joie de n’avoir pas besoin d’être joyeux... » Et encore : « Sommeille, âme, sommeille ! Profite, sommeille ! »
Il est 2h30 et la pluie bat contre les vitres. Ambiance parfaite pour écouter une fois de plus le sombre et majestueux concerto pour piano du compositeur britannique Ralph Vaughan Williams (1872-1958).
Le soir, j’écris dans mon bureau mais cette nuit, je me suis installé sur la table de la salle à manger. Quand j’étais enfant, cette table art nouveau composée d’un grand plateau épais soutenu par un socle en arche inversée était celle de mes grands-parents. Tous les enfants et petits-enfants de la famille se sont nichés dessous, y compris moi bien sûr qui l’utilisais comme une cabane. Elle continue désormais sa carrière au centre de ma maison posée au milieu des intempéries jurassiennes.
Derrière la fenêtre, dehors, je vois s’agiter les branches nues et luisantes des frênes sous l’assaut des bourrasques et des trombes d’eau. Le halo du dernier lampadaire du village suffit à révéler le jaune des feuillages d’érables moins prompts que les frênes à se dépouiller. Impossible de sortir fumer un cigare avec ce qui tombe du ciel.
Je devrais m’inspirer de la chatte Linette qui dort sur le coussin de son fauteuil en rotin. Elle rêve. Moi aussi, bien que je sois éveillé. C’est là tout le problème, ces rêves têtus qui errent comme des fêtards aux cravates de travers, pas décidés à se résoudre à rentrer chez eux, dans la maison du sommeil.
Photo © Marie-Christine Caredda, 2014 (chambre de Fernando Pessoa, Lisbonne)
03:08 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, écriture de soi, insomnie, sommeil, fernando pessoa, ralph vaughan williams, poésie, musique, concerto pour piano vaughan williams, piano, orchestre, nuit, pluie, automne, table art nouveau, enfance, rêve, frêne, érable, feuilles d'automne, chat, blog littéraire de christian cottet-emard, nocturne, christian cottet-emard, prairie journal