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24 septembre 2011

Le vingtième siècle a inventé une nouvelle forme de nuage,

le grand variable, christian cottet-emard, éditions éditinter, fiction, poésie, récit, roman, hirondelle des rivages, mer, papillon, enseigne de vaisseau, mhorn,nuage,vingtième siècle,pays natalme dis-je en regardant le ciel depuis la vitre de l’autorail : le nuage rectiligne. Nous sommes les premiers, nous, hères de ce siècle, à voir filer au-dessus de nos têtes des nuages tout droits.
Ce triste constat m’assaille au retour du voyage que m’a imposé la convocation.
Après cinquante kilomètres de miasmes, de regards vitreux et de sommeils contrariés, me voici devant un agent administratif embarrassé : « je dois tout de suite vous préciser quelque chose...
— .../...
— Vous avez été convoqué par erreur. Une bourde de l’ordinateur. Vous savez, l’informatique c’est bien pratique, mais de temps en temps... Enfin vous voyez, il arrive très rarement, certes très rarement... Vous comprenez... Toutes nos excuses et merci de votre compréhension. Et croyez bien...
— Mais comment donc ! Pour qui me prenez-vous ? C’est un comble ! Vous croyez vous en tirer de cette façon ? Je connais du monde ici et ailleurs et je vais vous ameuter la hiérarchie, faire du vent dans toute l’épaisseur de chefs qui vous appuie sur la tête et les épaules. Non mais, qu’est-ce que c’est que cette pétaudière ? Et puis quoi encore ? »
Voilà sans doute ce qu’il aurait fallu répondre en pareille circonstance si la nature m’avait doté d’un seul atome d’amour propre. Mais cette erreur me comble et j’en suis si reconnaissant à son auteur, qu’il soit un être humain ou une pelote de fils et de circuits intégrés, que je l’absous pour l’éternité de tous ses péchés, de toutes ses erreurs passées, présentes ou futures. Et puis je ne me sens guère enclin, même dans la délicieuse conscience de mon bon droit, à affecter de prendre les choses de haut lorsque je suis en position de recevoir des convocations. C’est ainsi, je n’y peux rien. Je ne brille pas devant les convocations.
Alors, je me lève, je dis « au revoir, ce n’est rien, ne vous tracassez pas, ce sont des choses qui arrivent » et je remonte à toutes jambes dans l’autorail d’où, le nez en l’air, par la vitre, je hume la brise du pays natal en suivant des yeux les nuages si parfaitement, si stupidement droits de la fin du vingtième siècle.

 

Extrait de mon roman Le grand variable, éditions Éditinter, 2002. Épuisé.

09 septembre 2011

Chaque fois l'éternité

chaque fois l'éternité,roland tixier,éditions le pont du change,lyon,simples choses,poésie,recueil,rhône-alpes,limousin,villeurbanne,blog littéraire de christian cottet-emardRoland Tixier, Chaque fois l’éternité, éditions Le Pont du Change, (préface de Geneviève Metge), 70 p., 12 €. Port gratuit. Juillet 2011.

Un mystère Tixier ? Je finirais par le croire. Depuis le temps, comment fait-il pour ne jamais me lasser de l’instant, de la sensation, des cinq lignes par page (je n’ose même pas écrire des cinq vers par page parce qu’il ne prend aucune posture de poète). Il faut pourtant compter Roland Tixier au registre de la poésie, même s’il ne presse pas la langue française comme un citron, même s’il ne la « déconstruit » pas, même s’il ne la tortille pas dans tous les sens. Se contente-t-il d’un sujet, d’un verbe et d’un complément ? Pas forcément. Souvent, l’énumération suffit. Moins de vingt mots et voici réunis le clair et l’obscur, l’espace et le confinement, le mouvement et l’immobilité :

La nuit
la veilleuse mauve
les vitres froides
la lumière des gares
où l’on ne s’arrête pas

Poète voyageur Roland Tixier ? chaque fois l'éternité,roland tixier,éditions le pont du change,lyon,simples choses,poésie,recueil,rhône-alpes,limousin,villeurbanne,blog littéraire de christian cottet-emard,geneviève metgeDans le temps un peu, dans l’espace pas beaucoup plus. Le temps d’un voyage d’enfance entre le bitume et le talus, le temps de glisser entre des pages un fragment d’été à la campagne au milieu du vingtième siècle, le temps d’un battement de paupières pendant lequel un monde a succédé à un autre. Comment dire ? « Chaque fois l’éternité » , évidemment.

Éditions Le Pont du Change, 161 rue paul Bert, 69003 Lyon,

Photo : Roland Tixier avant une lecture en public à la Scène Poétique à Lyon.

BON DE COMMANDE :

TIXIERBONDECOMMANDE_chaquefois.pdf

 Rappel : du même auteur, chez le même éditeur : Simples choses. Article ici.

04 septembre 2011

Paysage de petite montagne avec homme invisible

récit des lisières,éditions Orage-Lagune-Express,Christian Cottet-Emard,poésie,homme invisible,campagne,montagne,frêne,bois,La route de campagne loin de la ronde des frênes autour de toi on la devine mais personne depuis le talus ne peut soupçonner ta présence assis dans ce fauteuil en résine au milieu de la dalle de ciment coulée par ton père derrière la maison

Une charpente en bois devait s’élever au-dessus de cette dalle mais ton père n’a pas eu le temps de la construire et te voilà assis sous le grand ciel d’été à l’affût de quelques bribes d’un poème ou d’un récit qui aurait peut-être un sens qui serait peut-être lu par quelqu’un et qui pourrait peut-être s’élever dans les airs comme la charpente en bois

À la pelouse plein sud avec ses éclosions de parasols rouge cerise et bleu campanule tu préfères cette dalle de ciment qui s’avance sur le grand pré au nord côté chambre parce que tu as l’illusion que personne n’aurait l’idée de venir te débusquer ici au milieu des fleurs des foins mais ce n’est pas tout à fait une illusion

Qui en effet viendrait te chercher ici où l’on ne peut soupçonner ta présence depuis le talus mais où tu peux en revanche entendre chaque mot prononcé par les promeneurs du sommet du crêt jusqu’à la route comme dans un rêve le rêve de l’homme invisible

Ah mais cela ne colle pas tu ne peux vouloir être invisible et vouloir être lu oh pourquoi pas finalement c’est comme la charpente elle est là sans être là massive et pourtant invisible elle aussi

Dire qu’il suffisait d'écrire quelques poèmes qu’il suffisait de quelques frênes finalement ce n’était pas si compliqué de devenir l’homme invisible comme tu le croyais quand tu étais petit

 

© Éditions Orage-Lagune-Express 2011. Droits réservés.

Photo : le crêt, derrière chez moi.