17 novembre 2011
La bonne étoile
Tu regardes toujours à la fenêtre avant de te coucher car ce que tu vois dehors dans le halo du dernier réverbère est ta vie
Dans ce tableau nocturne le pré quelques buissons l’orme les frênes le chat la route où trotte parfois presque tranquille le renard
Pas grand-chose en somme mais tout ce dont pouvait sans doute rêver le pauvre gars dans les tranchées quelle chance fut la tienne de n’être pas ce pauvre gars
Ce clair de lune encadré par la fenêtre quel luxe cette fenêtre entre toi et le monde quelle chance
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Clair de lune derrière la maison (photo Christian Cottet-Emard).
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06 octobre 2011
Retrouvailles
Dans le temps qui parfois coule tel un ruisseau frais mais souvent tel un fleuve fangeux il t’arriva d’attendre la fin des journées de travail
Péripéties suscitant l’approbation d’amis et de connaissances perdus de vue puis retrouvés au coin de la rue alors qu’est-ce que tu deviens comment as-tu réussi à entrer dans ces entreprises on peut dire que tu en as eu de la veine tu étais si mal parti avec tes livres tes poèmes
Ah oui les livres les poèmes oui ils en ont entendu parler un peu mais les entreprises ça les intrigue beaucoup plus comment tu t’es débrouillé
Comme l’araignée qui s’installe dans un coin entre le mur et le plafond et qui n’a plus qu’à attendre au milieu de cette merveille de technique qu’est sa toile pour exercer sa répugnante prédation toutes astuces pour lesquelles l’araignée n’a que peu de mérite ignorant comme nous l’ignorons nous-mêmes d’où lui vient ce savoir faire
Jamais l’araignée n’apprend à tisser sa toile jamais l’araignée ne se préoccupe de savoir que ses fils sont si solides qu’ils peuvent entrer dans la fabrication de gilets pare-balles du moment qu’elle peut capturer les mouches rien d’autre ne semble compter pour elle
Même lorsque tu as l’impression qu’elle t’observe avec ses quatre paires d’yeux pendant que tu écris tes livres tes poèmes si insignifiants aux yeux des amis et connaissances perdus de vue puis retrouvés au coin de la rue
Alors à la prochaine disent-ils en s’éloignant pour toujours
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24 septembre 2011
Le vingtième siècle a inventé une nouvelle forme de nuage,
me dis-je en regardant le ciel depuis la vitre de l’autorail : le nuage rectiligne. Nous sommes les premiers, nous, hères de ce siècle, à voir filer au-dessus de nos têtes des nuages tout droits.
Ce triste constat m’assaille au retour du voyage que m’a imposé la convocation.
Après cinquante kilomètres de miasmes, de regards vitreux et de sommeils contrariés, me voici devant un agent administratif embarrassé : « je dois tout de suite vous préciser quelque chose...
— .../...
— Vous avez été convoqué par erreur. Une bourde de l’ordinateur. Vous savez, l’informatique c’est bien pratique, mais de temps en temps... Enfin vous voyez, il arrive très rarement, certes très rarement... Vous comprenez... Toutes nos excuses et merci de votre compréhension. Et croyez bien...
— Mais comment donc ! Pour qui me prenez-vous ? C’est un comble ! Vous croyez vous en tirer de cette façon ? Je connais du monde ici et ailleurs et je vais vous ameuter la hiérarchie, faire du vent dans toute l’épaisseur de chefs qui vous appuie sur la tête et les épaules. Non mais, qu’est-ce que c’est que cette pétaudière ? Et puis quoi encore ? »
Voilà sans doute ce qu’il aurait fallu répondre en pareille circonstance si la nature m’avait doté d’un seul atome d’amour propre. Mais cette erreur me comble et j’en suis si reconnaissant à son auteur, qu’il soit un être humain ou une pelote de fils et de circuits intégrés, que je l’absous pour l’éternité de tous ses péchés, de toutes ses erreurs passées, présentes ou futures. Et puis je ne me sens guère enclin, même dans la délicieuse conscience de mon bon droit, à affecter de prendre les choses de haut lorsque je suis en position de recevoir des convocations. C’est ainsi, je n’y peux rien. Je ne brille pas devant les convocations.
Alors, je me lève, je dis « au revoir, ce n’est rien, ne vous tracassez pas, ce sont des choses qui arrivent » et je remonte à toutes jambes dans l’autorail d’où, le nez en l’air, par la vitre, je hume la brise du pays natal en suivant des yeux les nuages si parfaitement, si stupidement droits de la fin du vingtième siècle.
Extrait de mon roman Le grand variable, éditions Éditinter, 2002. Épuisé.
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