18 septembre 2016
Carnet / Camões, Pessoa, García Márquez, bibliothèque purgée, livres d’occasion et comportement d’achat.
Plus je lis et relis les Lusiades de Luís Vaz de Camões publiées en 1572 et Message de Fernando Pessoa sorti en 1934, plus je mesure la puissance du lien entre ces deux épopées. Ces deux œuvres débordent largement du cadre national portugais. Pour le lecteur moyen du 21ème siècle que je suis, elles irriguent ma réflexion sur la renaissance de l’idéal occidental que j’appelle de mes vœux. À plus de trois siècles et demie de distance, les Lusiades et Message sont des balises, des repères dans ce cheminement vers le nécessaire renouveau de l’Occident.
En comparaison de ces deux chefs-d’œuvre, tout ce que je lis en littérature récente me paraît bien fade. Quant à ce qu’on appelle la rentrée littéraire, cela m’évoque un sentiment d’étrangeté et de découragement qui m’est venu en purgeant ce qui me fait office de bibliothèque, une vieille armoire bressane et des rayonnages relégués dans une pièce annexe de la maison. J’ai en effet réalisé, en remplissant des colis destinés aux entrepôts de la librairie Gibert, que depuis des années, je n’ai pas lu une seule des nouveautés que la presse et l’édition industrielles cherchent à nous fourguer à coups de plus en plus vains de promotion et de publicité massives.
Lorsqu’une de ces nouveautés me passe parfois sous les yeux, elle n’en est plus une puisque je l’ai acquise en édition de poche. Parmi ces livres de tous genres, certains, très peu, m’ont au mieux distrait ou vaguement diverti, ce qui est déjà beaucoup, mais je n’en garde qu’un souvenir flou. J’ajoute que j’ai souvent acheté ces ouvrages en occasion chez Gibert voire dans des dépôts-vente où l’on trouve des fripes, des vieux meubles, des bibelots et de la vaisselle.
En trois ans de lecture, à l’exception de mes livres de chevets auxquels je reviens toujours, les seuls que je conserve depuis des années en rayon, toujours à portée de main, un seul titre m’a donné le frisson de la très grande littérature. Il s’agit des Douze contes vagabonds de Gabriel García Márquez (Grasset), un recueil de nouvelles imprimé en mars 1993 et provenant d’un dépôt-vente, que m’a prêté mon ami artiste plasticien et auteur Jacki Maréchal.
J’étais ennuyé et légèrement honteux d’avoir été incapable, malgré plusieurs tentatives à plusieurs années de distance, d’apprécier et même de lire jusqu’au bout ce que l’on considère habituellement comme le chef-d’œuvre de García Márquez, Cent ans de solitude, beaucoup trop touffu, proliférant et grouillant de personnages à mon goût pour que je puisse m’en imprégner. Après une autre tentative infructueuse avec un grand roman plus classique, L’amour au temps du choléra dont j’avais aimé l’adaptation au cinéma, j’avais la désagréable impression de manquer quelque chose, d’être exclu d’une fête, ce qui m’a dans un second temps conduit à chercher du côté des textes courts du grand écrivain colombien, notamment le délicieux Mémoire de mes putains tristes. Mais c’est vraiment avec les Douze contes vagabonds que j’ai enfin pu accéder au grand art littéraire de García Márquez.
Comme d’habitude lorsque je lis de la littérature romanesque, j’adhère assez peu aux histoires mais essentiellement au style, à la capacité unique d’un écrivain doté d’une vision n’appartenant qu’à lui d’évoquer un univers en quelques phrases voire en quelques mots ainsi qu’on peut le mesurer dans ce formidable instantané : La mer réapparut au bout du labyrinthe de ruelles : neuf mots pour confronter deux espaces qui résument la moitié du monde !
Et après la perspective, le mouvement : En sortant de l’auberge, la señora Prudencia Linero eut devant elle une autre ville. Elle s’étonna de la lumière du soleil à neuf heure du soir, et prit peur en voyant la multitude braillarde qui avait envahi les rues pour profiter du bien-être de la brise nouvelle. Elle se demandait comment il était possible de vivre au milieu des pétarades des Vespa en folie, conduites par des hommes torse nu avec, assises à califourchon sur le porte-bagages, des filles magnifiques accrochées à leur taille, et qui se frayaient un chemin en bondissant et en louvoyant entre les jambons suspendus et les étals de pastèques (extrait de Dix-sept Anglais empoisonnés).
Après de telles fulgurances, se risquer dans l’écrasante majorité des ouvrages mis en avant à grand renfort de marketing et de matraquage publicitaire lors de chaque rentrée littéraire française revient à parcourir l’annuaire des abonnés au téléphone dans la salle d’attente d’une gare de sous-préfecture ! En réalité, la vraie question est de savoir combien de temps ce système éditorial qui a connu son apogée dans les années soixante-dix du vingtième siècle va tenir.
Dans l’accélération de ce processus consistant à fabriquer artificiellement du best-seller dans l’espoir de continuer le plus longtemps possible à faire du chiffre, la littérature s’achemine vers la survie dans une économie de niche, l’un des symptômes les plus évidents de cette évolution étant l’explosion de l’auto-édition. Cette pratique qui ne concernait récemment que les refusés des grands groupes d’édition s’étend désormais aux auteurs de moyens et petits tirages dont la tendance actuelle est de se voir priés par leurs éditeurs (pour ceux qui en ont encore un) d’accepter d’être payés en considération distinguée ou de bien vouloir prendre la porte. À l’évidence, nous entrons dans un autre monde.
Sur ce sujet, la plupart des analyses se focalisent sur les éditeurs et les auteurs. On aurait cependant tort d’oublier que dans ce processus, ce seront les lecteurs et leurs nouveaux comportements de lecture et d’achat de livres qui auront le dernier mot. N’étant probablement pas le seul à ne plus tenir compte des prescriptions de la presse littéraire en matière de nouveautés, à choisir en majorité les éditions de poche et à privilégier l’approvisionnement en livres anciens et d’occasion, de surcroît souvent hors du circuit des librairies, je crois m’inscrire en tant que lecteur dans une tendance lourde qui se fait déjà ressentir dans toute la chaîne de l’économie du livre.
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24 avril 2016
Carnet / Demi-songes hypnagogiques
De tous les poètes que je lis et que j’admire, c’est Fernando Pessoa avec qui j’aurais aimé prendre un verre de vin à un comptoir de Lisbonne.
Dans la vie, nous devons nous fixer des objectifs à notre portée. C’est pourquoi j’ai tendance à ne m’en fixer aucun.
Pour me distraire des miasmes de l’actualité locale, je ne vois pas d’autres solutions que de lire les Lusiades de Luis Vaz de Camões.
La vie n’ayant aucun sens, peu importe d’échouer ou de réussir.
Pourquoi l’individu devrait-il s’engager dans une collectivité qui n’aspire qu’à le faire dégager ?
Faire le point est d’autant plus bénéfique que cela n’engage pas à aller à la ligne.
Quand je vois une étoile filante, je pense à Laïka, la petite chienne de l’espace, et je n’ai même plus envie de faire un vœu.
Parfois, je me sens aussi peu réel que les personnages du roman auquel je travaille. Plutôt que d’écrire la suite, je suis alors tenté de la lire dans le roman d’un autre.
© Éditions Orage-Lagune-Express 2016
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12 mars 2016
Carnet / De la quête de joie
Ce qui me frappe lorsque j’écoute de la musique de Jean-Sébastien Bach, c’est que cet homme devait savoir au plus profond de son âme ce qu’est la joie.
Pourquoi ai-je toujours le Portugal en tête ? Parce que j’aime ce pays qui, malgré ses problèmes et les grandes difficultés des gens, me semble à l’aise avec son identité et sa culture et qui n’est pas déchiré, en train de se fragmenter et de se couper de ses racines comme la France. Les Portugais n’ont pas besoin de grands mots vides et d’incessantes controverses sur des sujets d’un autre âge. Ils ne sont pas tirés vers le bas par la complaisance envers des croyances et des mœurs archaïques qui tentent de s’imposer chez nous par la pression sur les institutions ou par la violence. Leur mode de vie, leur sensibilité à la culture littéraire et ce que Pessoa appelle « l’âme Atlantique » contribuent à les définir et à les unifier. C’est en tous cas ainsi, en toute subjectivité, que je perçois ce peuple sans pour autant l’idéaliser et bien sûr sans prétendre le réduire à ma simple vision de touriste, ce qui serait heureusement impossible.
Les crocus et quelques jonquilles devant chez moi, enfouis sous vingt centimètres de neige depuis une semaine, réapparus tout frais comme si de rien n’était au petit soleil. Je devrais m’en inspirer sous le voile gris qui me masque si souvent la lumière depuis trois ans. Mais je ne suis pas une fleur.
La croissance des jours enfin perceptible, pour sortir un peu de la déprime de la neige et de l’obscurité. La nuit, j’entends le fracas sinistre des blocs de neige gelée qui s’écroulent des toitures quand le vent tourne au sud et que la campagne s’ébroue comme un ours au réveil.
Pas question de vacances d’hiver ou de printemps. Je persisterai à dire « les vacances de Pâques, « les vacances de Noël » , surtout dans le contexte actuel.
Mes récentes emplettes musicales :
Camille Saint-Saëns, trios piano, violon, violoncelle n°1 opus 18 et n°2 opus 92 par le trio Wanderer (Harmonia Mundi).
Alexandre Guilmant, sonates n°1 opus 42 et n°5 opus 80 par Olivier Vernet à l’orgue Thomas de la cathédrale de Monaco (Ligia).
Nikolaus Bruhns, Cantates allemandes par le Cantus Cölln et Konrad Junghänel (Harmonia Mundi), très bien pour commencer à s’immerger dans l’ambiance de Pâques, fête à laquelle je suis particulièrement sensible.
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