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29 septembre 2013

Lectures à la librairie Point d'Encrage à Lyon

Très gentiment accueillis par Françoise Kavauvea dans sa belle librairie Point d'Encrage à Lyon, Jean-Jacques Nuel, Frédérick Houdaer, Roland Tixier et moi-même réunis sous la bannière des éditions Le Pont du Change avons lu des extraits de nos livres. Voici quelques moments enregistrés.



Et quelques photos.

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De gauche à droite : Frédérick Houdaer, Jean-Jacques Nuel et moi

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Au troisième plan : Roland Tixier

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De gauche à droite : Françoise Kavauvea, Frédérick Houdaer et Jean-Jacques Nuel

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Roland Tixier

26 janvier 2013

Carnet du boulevard

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Cette dégradation du lieu longtemps considéré comme un beau quartier où il faisait bon vivre me console de n’avoir pas pu reprendre la maison qui abrita une partie de ma famille depuis le début du vingtième siècle. Je peux certes me réjouir de n’avoir pas perdu la maison de famille où je vis aujourd’hui dans le Jura mais cela ne m’empêche pas d’avoir les tripes tordues et les jambes qui se dérobent lorsque je m’approche d’un peu trop près du portail de la maison du boulevard. Jusqu’à mon adolescence et même encore plus tard, le monde se limita pour moi à cette propriété et à ce quartier. J’en évoque la terrible perte dans ce texte et indirectement dans cet autre.

Pour moi-même et les autres enfants qui vivaient dans cet univers protégé qu’était le boulevard, la mitoyenneté permettait de circuler sans risque d’un jardin à l’autre. Peu de voisins y trouvaient à redire et cette mitoyenneté qui tourne aujourd’hui au cauchemar pour beaucoup de monde se vivait d’autant plus harmonieusement que les propriétés étaient toutes vastes. Comme les autres enfants, je connaissais tous les passages à emprunter lorsque l’idée me prenait d’escalader un muret, une grille ou des haies de buis pour quelques escapades dans les parcs et les jardins des voisins. La plupart d’entre eux me connaissaient et sur mon itinéraire, le même que celui emprunté par les chats, je faisais souvent halte chez une vieille dame qui me donnait des nougats. Son mari s’était suicidé avec son pistolet personnel parce que ses affaires marchaient mal et depuis ce jour funeste, elle habitait seule dans sa grande maison donnant sur les ateliers de la petite entreprise familiale ainsi qu’étaient constituées presque toutes les propriétés du boulevard, y compris celle de ma famille où l’on s’occupait de peigne et d’ornements de coiffure puis d’injection et enfin de confection de maroquinerie en plastique.

Après les massifs et les haies de buis de la vieille dame, on venait aisément à bout d’un mur recouvert de tuiles rouges pour accéder au parc d’une haute demeure où vivait un homme surnommé « Gueule en or » parce qu’il s’était fait implanter des dents en or dans dans toute la mâchoire. Très colérique, Gueule en or proférait d’innombrables jurons dès qu’il avait une contrariété, notamment lorsqu’il entretenait sa pelouse et ses arbres fruitiers. Cela pouvait durer dix ou quinze minutes d’affilée si bien que dès que le festival commençait, mon arrière-grand-mère m’ordonnait de rentrer si elle me voyait circuler dans les parages. Dès qu’elle avait le dos tourné, je sortais sur le balcon de la chambre où j’étais momentanément consigné afin de pouvoir, depuis ce poste d’observation idéal, me régaler de la prodigieuse variété du vocabulaire ordurier de Gueule en or. Une fois l’orage dissipé, mon arrière-grand-mère me rendait ma liberté.

La traversée du parc de Gueule en or effectuée au pas de course, il fallait encore franchir quatre ou cinq autres propriétés avant d’arriver chez mon camarade d’enfance qui se déplaçait en fauteuil roulant parce qu’il était myopathe. Sa maison était aussi dotée d’un parc où trois grands cèdres débordaient sur la voie ferrée qui longeait toutes les demeures du boulevard. L’un de nos jeux préférés consistait à disposer le fauteuil roulant en haut d’une petite côte que nous dévalions le plus vite possible en poussant des cris d’indiens, mon camarade assis et moi debout sur les marchepieds. À l’arrivée, je devais soulever mon camarade afin de l’installer à nouveau dans son fauteuil car nous en avions bien sûr été brutalement éjectés. Pour nous reposer de cet exercice, nous nous préparions à assister à l’attraction du quartier. Mon camarade avait un gros chat blanc nommé Flocon. Tous les jours à la même heure, Flocon apparaissait sur le bord de la fenêtre et, après avoir soigneusement pesé le pour et le contre, s’élançait dans le vide depuis le premier étage pour se réceptionner sur un gros massif de buis taillé. Avec mon camarade, nous allions aussi fouiner dans les entrepôts de la fabrique de boutons de son père, située juste à côté de la maison, pour faucher les boules de résines multicolores destinées à être coupées en rondelles prêtes à garnir les vêtements.

Parfois, mon camarade recevait d’autres enfants avec qui je n’avais guère d’atomes crochus. Un jour sinistre, à cause d’une bête partie de monopoly à laquelle je refusai de participer en raison de mon absence de goût pour les jeux de société, je choisis de m’éclipser. Dans l’escalier, j’entendis la voix de la mère de mon camarade me réprimander pour mon impolitesse. Aujourd’hui encore, je déplore cette disposition particulière de mon caractère qui me conduisit à ne jamais remettre les pieds chez lui à la suite de cet incident. Nous nous revîmes une dernière fois dans nos vingt ans lorsque, par un hasard extraordinaire, nous nous retrouvâmes face à face quelques instants dans la même chambre d’hôpital, moi pour un bobo, lui pour la phase finale de sa maladie.

Histoire de revenir aux années d’enfance dans ce quartier du boulevard, je voudrais encore mentionner une des rares propriétés dont j’évitais de traverser le parc. Il s’agissait d’une belle demeure habitée par un libraire. Enfant, je fus longtemps aussi intrigué par cet homme routinier que par sa maison dont les contours, côté rue, semblaient s’estomper à travers le feuillage d’un énorme saule pleureur qui existe encore aujourd’hui. Côté parc, la bâtisse était agrémentée d’une belle terrasse reliée aux allées de gravier par un imposant escalier de pierre. Chaque jour, je voyais le libraire manœuvrer sa Renault 16 pour entrer et sortir de son garage. Jamais je ne l’ai vu ouvrir le grand portail donnant sur la rue. Sans doute accédait-il directement à sa résidence par une porte du garage. Parfois, je voyais sa haute et maigre silhouette s’attarder sous le saule pleureur qui n’était jamais taillé. L’arbre inquiétant semblait absorber l’homme comme sa maison. Lorsque je passais à sa hauteur, je saluais le libraire. Il répondait le moins possible. Il était toujours vêtu d’un costume sombre dont la veste était boutonnée sur un gilet bordeaux et une chemise à rayures fines au col fermé par une mince cravate noire. Un imperméable vaguement gris recouvrait le tout tandis qu’un petit chapeau aux bords étroits complétait le tableau. Le gamin que j’étais trouvait un certain prestige à cet homme austère et distant. Il était pour moi un homme du livre, je trouvais qu’il ressemblait plus à un écrivain qu’à un libraire. Inconsciemment, je confondais les deux métiers. Je savais pourtant bien que ces deux activités étaient différentes. En fait, c’était la fiction qui était déjà à l’œuvre dans mon esprit. Je me faisais un roman de ce libraire et de sa maison. Sa vie réglée, sa R16, son saule pleureur géant, ses costumes impeccables et désuets, sa morne silhouette dans le clair-obscur des lampadaires, sa petite librairie en centre ville, tout cela m’impressionnait.

De nombreuses années plus tard, lorsque je publiai à vingt ans mon premier recueil de poèmes intitulé Demi-songes chez feu José Millas-Martin à sa douteuse enseigne des Paragraphes Littéraires de Paris, une mésaventure liée à mon jeune âge et à mon ignorance des usages de l’édition que je raconte en détails dans ce texte, le libraire du boulevard exerçait encore dans sa boutique du centre ville. Ayant très vite mais trop tard compris que j’allais devoir diffuser et distribuer le recueil moi-même, j’entrai dans le magasin pour demander au libraire s’il acceptait de prendre en dépôt quelques exemplaires. Lorsque je lui expliquai qu’il s’agissait de poésie, il soupira et m’invita à prendre la porte. Derrière ses lunettes mal nettoyées, j’avais quand même eu le temps de lire dans son regard le mépris et l’amertume de l’homme qui hait la jeunesse parce que la sienne s’est envolée depuis longtemps. En entrant dans cette librairie poussiéreuse et jaunâtre avec mes Demi-songes sous le bras, je croyais trouver en la personne du maître des lieux le personnage de roman que mon imagination d’enfant avait créé de toutes pièces. En sortant, je laissai derrière mois un être banal, un vieil homme las et hostile. Aujourd’hui, lorsque je cède encore à la tentation mortifère de m’aventurer quelques instants sur le boulevard pour jeter un coup d’œil du côté de la maison perdue, je longe la demeure du libraire, vendue elle aussi, mais où le saule pleureur étend toujours ses immenses ramures.

© Éditions Orage-lagune-Express, 2013. Droits réservés.

30 septembre 2006

L'oreille du libraire

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François Perche vient de m'envoyer son nouveau livre de poésie, Le Troupeau au détour, publié aux éditions L'Improviste. Je suis en train de le lire et j'en parlerai. En attendant, l'occasion m'est fournie de donner de nouveau un petit coup de projecteur sur un de mes livres préférés de François Perche, L'Oreille du libraire. Ma critique de ce livre est parue dans le n°40 (2003) de la revue Le Croquant.

François Perche
L'Oreille du libraire
HB Éditions, 2003, 136 p.

Surnommé "La grande oreille" par les passants, visiteurs et clients de la librairie qu'il ouvrit en 1987 à Paris, François Perche a publié chez HB Éditions le récit, sous forme de chronique au quotidien, de ses moments de vie entre deux univers de parole rassemblés en un même lieu. Dans les murs de cette boutique qu'il trouva toute noire et qui devint bientôt toute blanche avant que les livres ne prennent place sur les étagères, cette parole dont le libraire-écrivain fait son miel circule à deux vitesses, l'une lente et distanciée, fixée sur le papier, l'autre rapide et spontanée, mouvante au gré des échanges, des bribes de dialogues et de conversations. Ainsi entouré de ces voix qui parfois se mêlent, se frottent, se télescopent pour bientôt s'inscrire dans le cahier qu'il a acheté, le libraire se trouve vite rattrapé par l'écrivain, non pas le chasseur de bons mots, de tranches de vie ou de sujets à exploiter mais au contraire une sorte de témoin, de veilleur discret dont le véritable territoire est le langage.

Dans son commerce, au double sens du terme, non seulement vendre des livres pour gagner sa vie mais encore "commercer" avec les gens c'est-à-dire les accueillir, les renseigner sur un ouvrage, les observer, les comprendre ou bien être confronté à leur énigme, François Perche se retrouve parfois au cœur d'un tourbillon de sens et on le sent proche du vertige que ne peut manquer de saisir celui qui refuse de rester sourd à la voix humaine pour se protéger. Derrière ce titre aux accents surréalistes, "L'oreille du libraire", le récit de François Perche est un livre d'amitié, de bienveillance et d'indulgence. Les gens qui passent le seuil de la librairie par hasard ou qui la fréquentent régulièrement, les clients bien sûr mais aussi celles et ceux qui s'y allègent un peu d'une souffrance, d'une solitude, d'un deuil voire d'un fardeau de silence ne sont jamais jugés mais regardés. Souvent ombres d'eux-mêmes, ils retrouvent un peu de contour et d'épaisseur lors d'un salut, d'un bref dialogue ou même lors d'une simple remarque drôle ou terrible qui tombe parfois de leur bouche comme un implacable constat.

Dans ce que François Perche nomme "une commune vibration d'humanité", le tragique ne prend pas toute la place et le quotidien du libraire se teinte d'un humour pince-sans-rire que le lecteur retrouve dans des anecdotes et des portraits toujours empreints de cette sympathie au sens étymologique du terme avec laquelle l'auteur aborde la relation humaine : à une stagiaire qui se coule des journées durant dans le divan, il lance ce compliment sincère : "le canapé vous va bien." Après avoir accepté de garder un chat jusqu'au soir mais que sa propriétaire ne vient chercher qu'au bout de trois jours, il note : "c'est vraiment une expérience intéressante que celle d'un libraire qui a un chat qui veut sortir chaque fois qu'un client ouvre la porte."

Mais c'est par le croquis de la silhouette furtive d'un prix Nobel de littérature qui finit par fréquenter la librairie dans un silence assourdissant que se résume l'ironie chaleureuse de François Perche. Le récit de sa non-rencontre avec Samuel Beckett qualifié par le balayeur malien du quartier de "grand marabout connu du monde entier" et, de surcroît, "très gentil avec tous les balayeurs" est à cet égard le plus bel hommage miniature rendu à l'univers absurde rageusement décliné par le grand Sam.

Que cet épisode proprement beckettien rapporté dans les premières pages de L'oreille du libraire ne conduise pas le lecteur à penser que le lieu d'où François Perche capte "la vibration d'humanité" se limite à la librairie et à son petit univers de papier. En effet, au fil d'une narration qui porte en toute simplicité le lecteur au coeur de la complexité humaine, ce qui constitue la marque des vrais écrivains, François Perche ouvre brusquement des fenêtres insoupçonnées dans les murs tapissés de livres de son échoppe. Le grand courant d'air des voyages chéris par l'auteur s'y engouffre alors (Venise, Florence, Rome, le Mexique...) et la géographie intime du libraire-écrivain-poète s'imprime et se dessine dans un livre toujours recommencé, son oeuvre en somme, riche d'une bonne vingtaine de titres pour lesquels il faut espérer la meilleure des publicités : le bouche à oreille... Du libraire bien entendu.