15 février 2015
Carnet / De la sincérité
Levé à 6h ce samedi matin. Je ne dors que d’un œil et seulement quelques heures. Dehors, grand vent, averses et éclaircies dans la matinée. Les frênes s’ébrouent de leurs glaçons et se redressent.
La maison émerge peu à peu de sa gangue de neige. Encore quelques gros flocons fondus transformés en pluie battante. C’est toujours moins pénible que la neige. Dès qu’il fait plus doux, les parfums de terre sont libérés. J’ai de nouveau entendu la chouette.
Musiques chorales et avec orgue de Walton le matin (The Twelve, Coronation Te Deum, Magnificat and Nunc Dimittis, Jubilate Deo, Antiphon) et Brahms l’après-midi (Variations sur un thème de Haydn, Ouverture tragique, Ouverture académique). Poursuite de la lecture du pavé de Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations.
Avant de rendre visite à ma mère vers midi, une brève incursion au marché d’Oyonnax pour acheter du comté Seignemartin. Oyonnax, bourgade de plus en plus déprimante et pas question de lui préférer Saint-Claude qui est dix fois pire dans un autre style. Pas étonnant que le photographe Raymond Depardon ait fait son miel de ces deux villes dans son affreuse et éprouvante série intitulée La France.
Je remonte vite dans mon village jurassien où ma maison et ma propriété un peu à l’écart et donnant sur un beau paysage me plaisent (malgré l’hiver) mais je n’irai ni plus haut ni plus loin dans la Franche-Comté que je trouve sinistre.
Ce coin de nature où je suis installé est une bulle spatio-temporelle dans laquelle j’arrive à faire mon nid parce que je sais que je peux m’en échapper quand je le souhaite. Cette solution me semble plus prudente et plus adaptée à mon caractère assez réactionnaire, craintif, méfiant et peu enclin aux adaptations rapides que nécessiterait un déménagement dans le Sud-Ouest ou à Lisbonne ainsi que j’en suis souvent tenté. C’est aussi une question d’argent. Je ne suis pas dans le besoin mais je n’ai pas non plus les moyens d’avoir des résidences secondaires. Le mieux pour moi est donc de garder ma base actuelle et d’effectuer des séjours touristiques dans les grandes villes et capitales qui me plaisent. En plus, j’aime les hôtels (de préférence standards et où l’on parle français).
Je sais, tout cela n’est ni brillant ni original mais l’originalité, j’essaie de la réserver à la littérature tout en lui préférant tout de même la sincérité. Sinon, à quoi bon ces carnets ?
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09 février 2015
Carnet / Du voyage nocturne
Je me suis toujours considéré comme quelqu’un qui n’a aucun sens de l’orientation.
Entre dix-sept et trente ans, les années où j’ai été le plus contraint de me déplacer pour des raisons professionnelles, j’en étais même arrivé à la conclusion que je souffrais de débilité spatiale. En réalité, je me perdais partout où j’allais parce que je n’avais pas envie d’y aller ! J’ai commencé à m’en rendre compte lors de mes séjours à Venise, ville où je me repère assez bien parce que je n’ai aucune urgence à le faire lorsque je m’y promène. Mais s’il est une ville dont l’organisation spatiale s’est très rapidement installée dans mon esprit, c’est bien Lisbonne. Pour oublier la neige, j’y flâne ce soir en rêve éveillé puisque j’ai l’impression de ne plus rêver en dormant. Je dors d’un sommeil léger et fatigant déserté par les grands rêves baroques desquels il m’arrivait d’émerger tout ébloui il y a très longtemps. Ce soir, j’essaie de me conditionner pour une balade en songe à Lisbonne, pourquoi pas dans le grand parc du Principe Real que j’affectionne tout particulièrement ? J’y trouverai bien un banc pour rêvasser au son d’une Gnossienne de Satie (en hommage au grand Aldo Ciccolini tout récemment disparu) extraite de ma discothèque portative, celle que j’ai dans la tête et qui me rend distrait de tout ce qui me fatigue en ce moment d’être français. Sur le soir, je pourrais descendre direction Restauradores puis remonter vers mon magasin de cigares, juste derrière la statue de Pessoa attablé au très touristique café A Brasileira.
J’aurais d’ailleurs croisé le poète quelques mètres plus bas au milieu des passants car à Lisbonne, il est partout. La dernière ville littéraire d’Europe, j’ai désormais la chance d’y aller quand je veux. Que mon sommeil lent comme un vieil electrico m’y conduise cette nuit !
Photos © Christian Cottet-Emard, 2014
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27 janvier 2015
Carnet / Les jours regorgeaient d’images à venir, à cueillir le nez en l’air
La nuit dernière, j’ai dormi sans interruption de 2h30 à 8h, ce qui ne m’était pas arrivé depuis des années. Cela m’a rappelé les majestueux sommeils de mon adolescence et de mes dix-huit ans. Je me sentais littéralement plonger dans le repos sans la moindre inquiétude du lendemain.
Une nuit, après une fête chez des amis et connaissances de cette époque, je me suis endormi torse nu dans un hamac. Le lendemain lorsque j’ai émergé, j’avais le dos entièrement marqué par le maillage du hamac. Cela n’avait aucune importance car une belle journée de début d’été commençait. Les jours regorgeaient d’images à venir, à cueillir le nez en l’air.
Lisbonne, septembre 2014 (photo © Christian Cottet-Emard)
J’ignore pourquoi ce moment me revient à l’esprit des décennies plus tard, en particulier ce soir en voyant ployer de nouveau mes frênes sous le poids de cette neige incessante. Jusqu’à l’heure où j’écris ces lignes, c’était plutôt de la poudreuse mais maintenant, le vent a tourné et ce sont désormais de gros flocons qui dansent autour de l’ampoule de l’éclairage public.
Hier et aujourd’hui, je me suis autorisé quelques verres de Lagavulin à l’apéritif, histoire de me réchauffer un peu le physique et le mental.
Des poèmes essaient de s’organiser dans ma tête mais leur moment n’est pas venu. Il ne faut rien forcer, juste attendre que ces mots et ses images passent par moi et en sortent dans l’ordre qui leur plaira. J’ai mis longtemps à comprendre que cela fonctionnait ainsi, trop longtemps sans doute, mais comme dans tous les aspects de ma vie, je suis allé à mon rythme car je suis incapable d’en adopter un autre ou d’accorder le mien à celui des autres. C’est pourquoi je ne peux m’intégrer à aucun projet collectif et encore moins travailler en équipe.
C’est aussi pour cela que l’écriture me convient comme moyen d’expression. Peu de matériel, pas de dépendance à autrui pour des tâches annexes et pas de budgets à engager. L’art du pauvre. Même pas un art d’ailleurs, ce qui satisfait ma totale absence d’ambition sociale, inversement proportionnelle à ma véritable ambition, la plus difficile à réaliser, celle de se créer soi-même en compagnie de personnes bienveillantes dans un monde lisible. Tout un programme, même pour un type de cinquante-cinq balais !
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