03 octobre 2014
Carnet / Du sentiment d'habiter
Je trouve amusant de m’entendre dire « toi sur Facebook ? » Pourquoi pas ? Il y a des gens très bien sur Facebook, et très intéressants, avec qui il est agréable d’échanger des textes, des idées, des blagues, des photos, des vidéos, des bonjours. Je n’ai absolument pas le sentiment d’y exposer ma vie privée ou de m’y livrer à quelque exhibitionnisme narcissique. Les « amis » inconnus avec qui je peux parler art, poésie, littérature me sont souvent plus proches que des gens que je connais, que je peux croiser tous les jours dans la rue et qui ouvrent des yeux ronds comme si je venais de prononcer un gros mot lorsque je me hasarde à leur parler d’un livre, d’un auteur, d’un poème, d’un tableau. Ceci est particulièrement vrai à Oyonnax où je ne vis plus mais où je suis obligé de descendre pour des courses et des démarches. Je n’ai vraiment presque plus rien à voir avec cette bourgade où je me sens plus que jamais un étranger alors que ma famille y a vécu depuis des générations. Ce constat me tourne dans la tête chaque fois que je reviens de voyage. Avec les liens tissés grâce à Facebook et aux blogs, je me sens moins prisonnier, moins isolé et incompris d'un point de vue culturel.
Lors de mon récent séjour à Lisbonne, nous avons dîné dans un petit restaurant mon épouse et moi avec une amie qui a traduit un de mes recueils de poèmes en langue portugaise. Nous parlions de Facebook qui nous avait permis de nous donner rendez-vous dans le quartier du Miradouro de Sào Pedro de Alcantara et notre amie a prononcé une phrase qui m'a frappé : « Ici, avec mes amis, nous n'avons pas besoin de nous donner rendez-vous pour nous voir. Nous savons que nous sommes dehors à tel endroit, à tel moment de la journée. »
Voilà bien ce qui me manque ici, dans ma région où la convivialité urbaine et la qualité de vie à l'extérieur n'existent pas.
Sans vouloir comparer ce qui ne peut pas l’être, le contraste est rude au retour de Lisbonne. Ah, le climat tempéré océanique (on dit aussi méditerranéen influencé par le Gulf stream), les squares, les immenses jardins publics avec leurs kiosques où grignoter un sandwich et siroter un café, une bière ou un verre de vin, fumer un cigare sans être embêté par un ou une militante hygiéniste, « les nouvelles chaisières » ainsi que les appelle Jean Pérol ! À Lisbonne, je ne râle presque plus et je ne ressens plus cette fatigue qui m’écrase depuis ma petite enfance. Et puis ce suprême plaisir : n’entendre que la musique de la langue portugaise sans comprendre ce qui se dit et se trouver de ce fait préservé de toute actualité.
Insouciance de ne comprendre aucune autre langue, pas même l’anglais, sensation délicieuse d’être à l’écart de tout, sauf des sensations immédiates de la flânerie, luxe d’être un touriste anonyme avec qui l’on se montre affable et courtois si l’on reste simple et sans arrogance, si l’on comprend que comme tout lisboète, vous êtes vous aussi capable de trouver du bonheur à vous asseoir sur un banc pour « prendre un bain de temps » ainsi que l’écrivait le poète Jean Tardieu.
Après deux séjours successifs à Lisbonne, j'ai beau avoir peur en avion et dans les aéroports, je referai le voyage, y compris pour de simples week-ends.
Photos : bancs publics dans le quartier Principe Real.
Cyprès géant en tonnelle, quartier Principe Real.
Pause café sous le kiosque du parc das Amoreiras sous l'Aqueduc des Aguas livres.
Un petit verre dans un autre jardin public ! (Photos © Christian Cottet-Emard)
01:21 Publié dans carnet, Voyage | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sentiment d'habiter, habiter, sentiment, voyage, flânerie, promenade, oyonnax, ain, rhône-alpes, france, lisbonne, portugal, christian cottet-emard, carnet, blog littéraire de christian cottet-emard, touriste, tourisme, cigare, café, bière, vin, sandwich, facebook, littérature, art, poésie, écriture de soi, autobiographie, saudade, parc, square, jardin public, douceur de vivre, climat, gulf stream, climat méditerranéen, climat océanique, un bain de temps, jean tardieu, plaisir simple, vie, insouciance, art de vivre, qualité de vie, banc public
05 janvier 2011
Escape-landscape
Dans une petite ville de province sans autre intérêt que celui qu’on veut bien lui prêter, on détruisit un jour un square minuscule pour construire une gare routière. Des arbres maigrichons mais gracieux furent empilés avec de vieux bancs publics dans la benne d’un camion.
Un poète à qui l’idée d’écrire un poème ne serait pas venue mais qui savait très bien prendre des photographies avait réuni dans un album, peu avant la destruction, des images du square.
Je relate ceci, croyez-moi, sans la nostalgie poisseuse en vogue ces derniers temps. Non. C’est juste une histoire de lumières pâles dans le soir bleu et de quelques piétons un peu plus attentifs que d’autres aux paysages qu’ils frôlent de leur pas le plus banal. Juste une histoire de paysage remplacé par un autre paysage où se croisent sans se voir des passants, un poète-photographe et encore d’autres passants.
Adulte, je traverse parfois l’étendue de la gare routière. Enfant, adolescent, je coupais souvent par le petit square et, entre ces deux époques (ou entre ces deux lieux), il y a quelque chose que je ne peux pas décrire mais qui existe pourtant avec force. Quelque chose qui pourrait peut-être se nommer en langue étrangère dans mon esprit lorsque je tourne les pages de l’album photographique. Quelque chose qui pourrait se traduire par « escape-landscape » et qui chante en moi.
(Extrait de : Le Grand variable, éditions Editinter, 2002, épuisé.)
Photo : Oyonnax, le petit square disparu, place de la gare, 1973.
01:28 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : photographie, square, oyonnax, ain, rhône-alpes, le grand variable, éditinter, christian cottet-emard, littérature, place de la gare, escape, landscape